«Nous respectons et jugeons justifiée la conduite des Français qui estiment de leur devoir d'apporter aide et protection aux Algériens opprimés au nom du peuple français. La cause du peuple algérien, qui contribue de façon décisive à ruiner le système colonial, est la cause de tous les hommes libres» : l'écrire, le revendiquer et l'assumer, ainsi, dans la France de 1960 ne pouvait être considéré que comme l'expression majeure d'une défiance inédite dans l'Histoire de France. Ce point fort, parmi d'autres du «Manifeste des 121», porte sur la place publique, en une position courageuse, grave et solennelle, le désaveu d'une politique coloniale et le soutien au grand jour d'une cause, celle de la lutte des Algériens pour leur indépendance. Qualifié de «brûlot du XXe siècle», l'appel de 121 intellectuels français, parmi les plus grands penseurs et agitateurs d'idées hors microcosmes et cénacles parisiens, correspond à un point de rupture décisif dans l'opinion française. Les militaires putschistes et la grosse colonisation en Algérie viennent de perdre définitivement la bataille de l'opinion métropolitaine. La qualité des signataires, les valeurs morales et républicaines qu'ils défendent ne peuvent qu'avoir raison des groupes d'intérêts et des aventuriers en armes qui rament à contre-courant de l'Histoire. Les signataires du texte, dans la diversité de leurs appartenances intellectuelles et politiques, viennent de fédérer des solidarités intellectuelles jusque-là bridées, réprimées et camisolées. On y trouve Jean-Paul Sartre, le plus grand philosophe français du siècle et sa compagne Simone de Beauvoir , Robert Barrat, Marguerite Duras, André Mandouze, François Maspero, André Masson, Théodore Monod, Alain Resnais, Jean-Francois Revel, Pierre Vidal-Naquet. Philosophes, historiens, artistes de renom, éditorialistes de renom, universitaires engagés…les signataires ont en partage une idée de la France qui se confond avec l'idéal de liberté et de résistance. Alors que l'année 60 tire à sa fin dans un contexte d'accélération de ce qui était pudiquement appelé «Les événements d'Algérie», à titre individuel ou par petits groupes, des intellectuels brisent la chape du silence, défient la censure et affichent leur soutien aux Algériens en lutte. Le procès du réseau Jeanson les révélera au grand jour. Le 5 septembre 1960 s'ouvre, devant un tribunal militaire, le procès éponyme. 23 personnes (17 Français et 6 musulmans) sont accusées de transport de fonds et de matériel de propagande du FLN), de location d'appartements pour des militants algériens, recherchés. Ils risquent gros car les faits qui leur sont reprochés justifient une inculpation d'«atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat». La publication du Manifeste des 121donnera une forte résonnance au procès des «Porteurs de valises» du FLN. «La guerre sans nom» y est dénoncée et le «droit à l'insoumission», dans la Guerre d'Algérie, défendu et encouragé. Le «brûlot» ponctua donc spectaculairement le procès en révélant au grand public une liste de personnalités prestigieuses, impliquées par leur engagement pour l'indépendance de l'Algérie. Après Henri Alleg et son livre sur la torture La question, le combat de l'historien Vidal-Naquet pour faire éclater la vérité sur l'assassinat de Maurice Audin et une longue suite de dénonciations et de prises de position individuelles, des intellectuels français viennent de contribuer à sauver l'honneur de leur pays. A. S.