L'apparition au niveau mondial d'une main d'œuvre précarisée, majoritairement originaire d'Asie et d'Afrique, dans un contexte de politiques néo-libérales en Europe et aux Etats-Unis, a engendré une "nouvelle forme de colonisation" des pays du Sud, soutient l'universitaire française Françoise Vergès lors d'une conférence donnée mardi à Alger en marge du 18ème SILA. Dans son argumentation, Françoise Vergès établit un parallèle entre les entreprises de déshumanisation induites par la colonisation et l'esclavage et celles menées par une forme d'"économie prédatrice" qui cantonne aujourd'hui de nombreux travailleurs africains et asiatiques, au Nord et dans leurs pays respectifs, dans le textile et les services domestiques. Pour la politologue, cette nouvelle "forme de travail servile" témoigne de la "marque profonde" imprimée dans la "culture" européenne par des siècles de colonisation, et se traduit par la "légitimation des politiques racialisées" et la résurgence de l'extrême droite en Europe. Analysant les causes de cette "marchandisation de l'humain", Françoise Vergès pense que la création de nouveaux "besoins de consommation" (modes vestimentaires, nouvelles technologies...) par un marché mondialisé, est responsable de l'affrontement entre "consommateurs" des pays du Nord et "producteurs" au Sud. Du moins en partie. Cette réalité est comparable, affirme la spécialiste de l'histoire de l'esclavage, à la situation prévalant au 17e et 18e siècles où des de produits comme le sucre et le café, alors peu consommés en Europe sont entrés dans les mœurs alimentaires après la colonisation, légitimant l'exploitation des pays colonisés, soutient-elle. Pour l'universitaire française, ces nouveaux besoins expliquent également la diffusion d'une "forme d'idéologie xénophobe" en Europe, y compris chez les ouvriers et plus généralement les classes sociales les plus pauvres. Les nouvelles formes de colonisation se traduisent, en outre, par le "décalage" entre le développement des nouvelles technologies, de l'information en particulier, et l'appauvrissement des sciences humaines dont le jargon s'appauvrit pour épouser "celui du marché mondialisé", considère-t-elle encore. A ce propos, F.Vergès plaide pour des "solidarités transnationales" et pour une vraie coopération Sud/Sud, en "réactualisant" les principes proclamés à la conférence de Bandung, un forum ayant réuni pour la première fois en 1955 des chefs d'Etat de pays d'Afrique et d'Asie en prélude au Mouvement des Non-alignés. Il s'agit, pour elle, de "repenser un nouvel humanisme", souhaité par Aimé Césaire et Frantz Fanon, en procédant à une "critique" de notions comme le développement, en vogue après les indépendances. Né en 1952 à Paris, Françoise Vergès est docteur en sciences politiques. Fille du militant anticolonialiste Paul Vergès et nièce du célèbre avocat français Jacques Vergès, elle est l'auteur de plusieurs ouvrages dont "Fractures postcoloniales"(2010) et "L'homme prédateur, ce que nous enseigne l'esclavage sur notre temps"(2011). Le 18ème SILA se poursuit jusqu'à vendredi prochain avec des conférences sur des thèmes historiques et littéraires.