En orchestrant un subit afflux migratoire dans l'enclave espagnole (Ceuta), Rabat a provoqué une grave crise avec Madrid et, par-delà, Bruxelles, a indiqué le journal français "Le Monde" dans son éditorial paru vendredi, soulignant que l'épisode a jeté une lumière crue sur la véritable nature du régime marocain qui est prêt à "sacrifier froidement sa jeunesse sur l'autel de ses intérêts diplomatiques". "La montée de la tension à Ceuta a de quoi alarmer. Sous l'œil passif de la police marocaine, près de 8 000 Marocains, souvent très jeunes, ont réussi à se glisser en début de semaine à l'intérieur de l'enclave espagnole sur la côte septentrionale du royaume", a expliqué le quotidien dans son éditorial. Jeudi, après l'expulsion de 5 600 de ces migrants vers le Maroc, soutient le journal, "cet épisode va marquer durablement les relations entre Rabat et Madrid et, au-delà, Bruxelles", car cette crise, explique la même source, "a été mûrie et mise en scène par les autorités marocaines, dont la police a quasiment montré la voie de Ceuta à une jeunesse en pleine détresse sociale". L'attitude de Rabat constitue un fâcheux précédent, selon le quotidien qui a précisé que "l'origine de la crise est connue" : Rabat a vécu comme un geste d'inimitié inacceptable l'hospitalisation sur le sol espagnol du président sahraoui, Brahim Ghali. "C'est un pari risqué. La réputation internationale du Maroc en sort fortement dégradée", affirme Le Monde, indiquant que "les scènes d'adolescents et même de nourrissons risquant leur vie dans les eaux de Ceuta avec la complicité de la police marocaine trahissent le cynisme d'un pouvoir prêt à sacrifier froidement sa jeunesse sur l'autel de ses intérêts diplomatiques". Elles illustrent également, ajoute la même source, "la précarité sociale dans laquelle végètent des catégories entières de la population, à mille lieues du Maroc scintillant que certains thuriféraires se plaisent à vanter à Paris et ailleurs". L'éditorial a souligné qu'"il est temps de sortir d'une certaine naïveté dans le regard porté sur le Maroc" qui connait une régression autoritaire inquiétante, "comme en témoignent les emprisonnements de journalistes et d'intellectuels critiques", et l'un d'entre eux, Soulaiman Raissouni, risque actuellement sa vie, en grève de la faim. Le Maroc a laissé passer des enfants et des nourrissons Le gouvernement espagnol avait encore haussé le ton jeudi contre le Maroc, accusé d'"agression" et de "chantage" par la ministre de la Défense après l'arrivée de plus de 8.000 migrants, dont un grand nombre d'enfants, depuis lundi dans l'enclave espagnole. L'afflux de ces migrants en provenance du Maroc "est une agression à l'égard des frontières espagnoles mais aussi des frontières de l'Union européenne", avait dénoncé Margarita Robles sur la radio publique, en dénonçant un "chantage" de Rabat qu'elle a accusé d'"utiliser des mineurs". "Nous ne parlons pas de jeunes de 16, 17 ans", le Maroc a laissé passer des "enfants de 7 ou 8 ans, d'après ce que nous ont rapporté les ONG (...) en faisant fi du droit international", avait-elle souligné. L'image d'un bébé sauvé de la noyade par un agent de la garde civile espagnole a notamment fait le tour du monde, suscitant l'effroi sur les réseaux sociaux. A travers ces déclarations de la ministre de la Défense, le gouvernement espagnol hausse encore le ton contre le Maroc, dont il avait convoqué l'ambassadrice en Espagne mardi pour exprimer son "mécontentement". Le Premier ministre Pedro Sanchez avait lui accusé mercredi Rabat "de manque de respect". Depuis lundi, une marée humaine de plus de 8.000 candidats à l'exil, en très grande majorité des Marocains, a rejoint sans entrave le petit port espagnol à la faveur d'un relâchement des contrôles frontaliers de la part du Maroc. Parmi eux, un nombre impressionnant de jeunes partis seuls ou d'enfants en bas âge, emmenés par leur famille. Plusieurs ONG espagnoles et marocaines ont dénoncé le fait que ces mineurs se retrouvent victimes de la brouille entre les deux pays et s'inquiètent de les voir expulsés vers le Maroc.