La clôture, samedi soir, du 8e festival du chant Aïssaoua, à Constantine a été marquée par un hommage à Salim Mezehoud, le dernier cheikh encore en vie de la zaouïa Aïssaoua de Constantine. Cet hommage a donné l'occasion aux puristes de l'art Aïssaoua de constituer une troupe "ad hoc" pour animer le temps d'une soirée un spectacle selon la tradition authentique de la zaouïa de Constantine. La nouvelle qui a vite circulé parmi les initiés et les connaisseurs de cet art dans la ville des ponts, a fait sortir un public nombreux, constitué en majorité de femmes et de familles dont une bonne partie n'a pas pu accéder à la salle du théâtre qui, encore une fois, s'est avéré trop exigüe pour accueillir des manifestations à large public. Constitué de 14 membres sobrement mais élégamment vêtus de costumes traditionnels gris et blanc, la troupe qui monte pour la 1re fois sur la scène du festival, a chanté des qacidat d'une grande beauté, sortant des sentiers battus des textes usés à force d'tre ressassés par tous et repris à toutes les sauces. Le spectacle donné samedi soir par cette troupe a rappelé que dans la tradition des Aïssaoua de Constantine, le chant aïssaoui est d'abord et avant tout un chant mystique et qui donne la primauté à la poésie du texte invitant à l'ascension de l'âme et au message qu'elle véhicule, plus qu'aux performances vocales et rythmiques. Il a également donné une idée sur le genre de danse accompagnant généralement ce genre musical à Constantine à travers une très belle démonstration exécutée par un jeune homme et qui est autre que la danse de transe ou le "tahoual" très énergique et saccadé accompagnant généralement les percussions enflammés des troupes aïssaoua. "Aujourd'hui, on a tendance à considérer tout ce qui est rythmé de musique Aïssaoua alors que les vrais constantinois et les anciens de la ville étaient épris des textes et connaissaient toutes ces qacidat par cœur et nous accompagnaient en chantant avec nous", explique cheikh Mezehoud, comme pour rappeler que tout le charme du spectacle aïssaoua réside justement dans cette interactivité aujourd'hui escamotée par des salles de spectacle originellement conçues pour d'autres genres et par la le caractère trop hétéroclite et peu connaisseur du public. Comme la plupart de ses pairs, des connaisseurs et des initiés du monde des aïssaoua, cheikh Salim Mezehoud est très critique envers la pratique en vogue aujourd'hui dans le domaine de ce chant : "ils ne devraient plus porter le nom des aïssaoua" car, a-t-il estimé, "ils ont dévoyé l'esprit de cette confrérie qui ne chantait pas pour de l'argent mais pour mettre de la joie dans une fête, célébrer un événement religieux ou autre sans contrepartie matérielle, à part des dons qui étaient soit répartis sur des nécessiteux soit versés dans le budget d'entretien de la zaouïa". La zaouïa des Aïssaoua à Constantine a quant à elle disparu et la confrérie vient de perdre avec la disparition, il y a de cela moins de deux mois, du cheikh Abed Charef, l'une de ses plus grandes figures, tout un pan de son patrimoine. Selon cheikh Salim Mezehoud, les textes connus et repris par les chanteurs ne représentent qu'une infime partie des "sfaines" qui existent et qui sont en sa possession. D'abord sceptique quant à sa disposition à continuer à transmettre et à enseigner ce patrimoine pour une génération qui se montre trop pressée d'en faire un business lucratif, M. Mezehoud finit par avouer que la perte de la zaouïa de Sidi Bouannaba devenue une mosquée, constitue une entrave dans ce sens. "Les autorités de la ville qui dépensent beaucoup d'argent dans des manifestations d'animation sans lendemain, devaient à présent penser à des programmes mieux ciblés de sauvegarde et de promotion de ce patrimoine", estime le cheikh, soulignant qu'en la matière, un local où se rencontrer et travailler "pourrait rendre bien des services".