Si son intitulé suggère a priori un livre plaidoyer en faveur de l'illustre héros de la révolution que fut Abane Ramdane, tout comme le nom de son auteur lui-même un proche parent, « Abane Ramdane et les fusils de la rébellion », est pourtant loin de cet étiquetage réducteur. Tout au long des 500 pages, le médecin Bélaid Abane nous propose une analyse chirurgicale et nous plonge dans les entrailles de la révolution algérienne, ses hommes, ses événements, ses hauts faits d'armes, mais aussi ses coups bas. Ce travail titanesque, qui s'apparente à une véritable enquête historique qui puise ses matériaux dans des documents et des témoignages précieux, se décline aussi comme un film documentaire objectif sur les péripéties d'une guerre qui n'en finit pas de faire parler d'elle. Que Bélaid Abane soit un proche de son vaillant aîné n'enlève en rien de la pertinence de son propos, de l'exactitude des événements relatés qui, au demeurant, sont facilement vérifiables dans les ouvrages de références sur la révolution algérienne. Ce livre, loin d'être de trop sur la glorieuse révolution, ne succombe pas au « narcissisme » de ceux qui voudraient projeter une image sainte de leurs parcours personnels ou de celui d'un des leurs. Si Abane Ramdane est effectivement le personnage central de ce « roman » historique, c'est simplement parce que la révolution lui doit son organisation et son succès. Comme le suggère bien son titre, le livre du brillant médecin recueille, raconte, analyse, et commente comment Abane Ramdane a su et pu transformer une insurrection de fusils en une véritable révolution, avec ses structures, son organisation et son mot d'ordre : l'indépendance. Seulement avant d'en arriver là, Bélaid Abane fait remonter le lecteur jusqu'à 1830 pour dépeindre ce que fut la longue nuit algérienne (comprendre coloniale). Il en détruit à force d'arguments le mythe de la « colonisation civilisation ! », qui a inspiré la scandaleuse loi du 23 février 2005. L'auteur a d'ailleurs ajouté une post-face pour y dénoncer ce texte scélérat. Le chapitre additif La torture, la colonisation, l'Algérie et la France est une sorte de cri à la face de cette France oublieuse d'aujourd'hui, lui signifiant que sa colonisation a été non pas une civilisation mais une entreprise « de viol à main armée ». La mise au point sèche du descendant de Abane Ramdane ne souffre point de clarté. Passé ce très douloureux rappel historique, l'auteur déroule les péripéties d'une insurrection mal préparée et d'une révolte mal partie. C'est à ce niveau qu'apparaît au lecteur le rôle majeur de Abane Ramdane dans la posture d'un homme de rassemblement. Enquête historique En véritable chef d'orchestre persuasif, il réussira à fédérer les différents courants du mouvement national et obtiendra le ralliement des communistes, des oulémas et des amis du manifeste à la cause nationale. Ce qui n'était pas une sinécure quand on sait les luttes fratricides qui opposèrent messalistes et indépendantistes (FLN) par exemple. Ce rôle de (re)mobilisateur et de superviseur de l'inoubliable bataille d'Alger ont fait de Abane Ramdane le centre de gravitation de la révolution. Et c'est tout naturellement qu'il prend sur lui d'être l'architecte du congrès de la Soummam qui aurait dû être organisé une année auparavant. Ce congrès a, en effet, donné à la révolution son assise, ses hommes et ses fusils. Il marque, d'après l'auteur, la « reprise en main de l'insurrection au bout du souffle » et « l'institutionnalisation de la rébellion ». Ce fut un embryon d'un Etat mais en guerre… La Soummam n'est pas que cela. Bélaid Abane a surfé sur le projet politique résolument démocratique de son illustre proche parent dont les premières étincelles ont jailli un certain octobre… 1988. Ce fut d'ailleurs son déclic pour écrire ce livre et exhumer le rêve de Abane. Pour cause, l'auteur pense que « le système algérien » d'après 62 ne pouvait pas assumer le projet de Abane. Il lui fallait donc bricoler une histoire qui correspondait aux intérêts de ces animateurs pour asseoir leur hégémonie. Ce chapitre éclaire un peu sur les motivations profondes de l'élimination physique de Abane et l'enterrement de son projet pour l'Algérie. Il permet également de mieux saisir les enjeux politiques de l'Algérie indépendante, mais aussi l'assise idéologique du régime à ce jour. Et à l'heure où la guerre des mémoires fait encore rage entre la France et l'Algérie, ce livre a le mérite de clarifier à nouveau les termes de l'équation. Pour Bélaid Abane, il ne s'agit point pour la France « d'un exercice d'autoflagellation, mais il lui reste de reconnaître les torts faits au peuple algérien ; impatient d'ouvrir une nouvelle page ». La mémoire apaisée est à ce prix.