Malheureusement, c'est une formule qui n'a plus rien de magique de nos jours et qui n'ouvre plus aucune porte dans cette partie du monde où nous évoluons. Pourtant, même si elle a été bien ciselée dans le fameux conte des Mille et Une Nuits, elle a pris par la suite une autre charge, positive celle-là, pour symboliser, durant des siècles, la grande gestuelle de l'esprit arabo-musulman et sa capacité à ouvrir les portes de l'inconnu et donc de l'ignorance. Cela se passait à l'époque où le grand lexicographe et encyclopédiste, Ibn Al Nadim, qui vécut au Xe siècle, compilait son grand ouvrage Kitab al Fihrist pour suivre, pas à pas, l'ingéniosité de l'être humain depuis que celui-ci avait appris à enregistrer les acquis du savoir. Ce besoin immense de ne rien laisser au hasard, de tout régenter, s'est fait grandement sentir le jour où la civilisation musulmane parvint à maturité. On le sait, la nécessité de disposer d'une vision encyclopédique propre devait, en quelque sorte, s'emparer des hommes du savoir, entre Baghdad et Cordoue, faisant par la suite des émules dans la périphérie du monde musulman pour donner naissance, au XIIe siècle à une vision analogue à Tolède, à Padoue et dans les confins de l'Inde et de la Chine quand en Europe, on attendra par exemple un Diderot au XVIIIe siècle pour entreprendre un tel chantier. Toute cité musulmane se donnant comme telle se soumettait, impérativement, à ce charme dénommé encyclopédisme même s'il arrivait que des charlatans trouvaient le moyen de se faufiler pour imposer leur vision fantaisiste sinon scabreuse du monde. On en dénombre même dans certains cénacles pourtant réputés comme purement scientifiques. Ces hommes mariaient sciences exactes et occultisme, tels Abou Maâchar Al Falaki au Moyen-Orient, El Bouni au Maghreb central, Nostradamus en Europe et tant d'autres. C'est que chacun d'entre eux tentait, dans son petit univers, de décrypter ce qu'était ce Sésame qui ne pouvait être l'apanage de quelques clercs ou de quelques palais princiers ou royaux. Dans les Mille et Une Nuits, cette belle féerie de l'esprit, ce sont des bandits qui ont, au départ, donné naissance à la célèbre formule : Sésame, ouvre-toi ! Cependant, la rationalité s'en est vite saisie pour en faire un véritable symbole de toute tentative de décryptage des choses de l'existence de la même manière que le « Eureka » (j'ai trouvé) d'Archimède avait symbolisé la découverte des savants. Ainsi, avec ce Sésame, l'homme se permettait de prétendre à ce qu'il y a derrière le trône du Créateur, selon la tradition du Prophète. En fait de décryptage, le philosophe Michel Foucault (1926-1984) se tenait à quelques brassées seulement d'Ibn Al Nadim qui, en son temps, a dû se sentir tout près de Platon et de sa fameuse parabole de la grotte symbolique. Dans L'Archéologie du savoir, œuvre maîtresse de Foucault, ce sont les acquis du savoir européen depuis la Renaissance qui font l'objet d'une nouvelle approche dans un but précis : celui de se ramasser pour faire un bond gigantesque vers l'avant. Il se trouve, aujourd'hui, que la clé de l'énigme, longtemps détenue par ceux qui en ont façonné les saillies et les contours, n'est plus en mesure d'ouvrir la grotte qui recelait les trésors du savoir autrefois. Il semblerait même que les bandits d'Ali Baba dans tout le monde arabo-musulman ont encore de beaux jours devant eux pour narguer les bonnes âmes et les esprits brillants.