Dans le conflit gazier qui l'oppose à l'Ukraine, Moscou n'a nullement l'intention d'arrondir les angles. Sa décision de suspendre l'approvisionnement de son voisin témoigne d'une intransigeance russe qui n'est sans doute pas motivée par des contingences économiques. Les relations commerciales ont certes beaucoup à y voir, la Russie pouvant faire valoir qu'elle ne cède pas gratuitement son gaz à quiconque et encore moins à l'Ukraine. Le contentieux, bien qu'unilatéral, touche aussi d'autres pays européens dont les fournitures en gaz russe deviennent aléatoires. Au point de constituer un très sérieux motif d'inquiétude au moment où l'hiver s'annonce particulièrement rigoureux dans cette partie du monde. Dans son bras de fer avec l'Ukraine, Moscou n'a cure de telles considérations et campe sur ses positions avec d'autant plus de fermeté qu'elle argue de son bon droit en réfutant toute dimension idéologique au conflit. Beaucoup voient, en effet, dans l'attitude russe une réponse du berger à la bergère. La thèse la plus largement répandue est que l'Ukraine se voit ainsi privée de gaz russe, punie des velléités que lui prête Moscou de s'aligner sur les Etats-Unis et l'Europe pour affaiblir la Russie. Cette hypothèse est d'autant moins acceptable, d'abord par le Kremlin, que l'Ukraine ne représente pas uniquement une profondeur géographique dans l'inconscient collectif russe. Même si cela n'apparaît pas dans le discours officiel du Kremlin, les Russes n'ont jamais accepté que l'Ukraine fasse bande à part après le démembrement de l'URSS. Moscou admettrait encore moins que le territoire ukrainien devienne un poste rapproché où pourrait s'établir l'OTAN qui s'assurerait, du même coup, le contrôle des débouchés stratégiques, pour la Russie, de la mer Noire. Dans de telles conditions, le gaz serait-il pour le Kremlin le levier par lequel il compte actionner le modelage des équilibres économiques et militaires dans la région ? A travers le conflit gazier, ce serait donc un message politique que Moscou envoie aux puissances qui seraient tentées d'encercler la Russie. Et c'est un message qui a d'autant plus de résonance qu'il intervient juste après le conflit avec la Géorgie. Le Kremlin, sans dévoiler pour autant tous ses atouts, avertit dans la foulée les anciens pays affiliés à l'URSS qui voudraient se rapprocher plus que de raison des Etats-Unis. Dans ces pays, comme en Ukraine, vivent des communautés russophones qui pourraient, si elles se trouvaient menacées, fournir le prétexte au Kremlin de les défendre. Le premier point chaud pourrait être, à cet égard, la Crimée dont une partie de la population, notamment à Sébastopol, réfute son appartenance à l'Ukraine et affirme son ancrage dans la mère patrie russe. Nul doute que sur un tel terrain, Moscou pourrait avoir des cartes à jouer. C'est pourquoi la crise gazière n'est que l'expression d'un enjeu plus vaste et plus lourd qui est, pour la Russie, celui de son redéploiement face à l'emprise des Etats-Unis sur le monde et sa quasi intervention dans le jardin russe.