N'était le grave scandale du trafic de drogue qui ne pouvait pas être étouffé vu son ampleur, ses connexions étrangères et l'alerte info partie des autorités espagnoles, il n'y aurait sans nul doute pas tout ce branle-bas de la justice auquel on assiste depuis l'éclatement de l'affaire avec des inculpations en cascade en rapport avec l'activité visible — l'immobilier — du principal inculpé, Kamel Chikhi. Il reste à espérer seulement que le puzzle de toutes ces affaires qui s'imbriquent les unes dans les autres soit reconstitué dans la transparence et que la loi soit appliquée dans toute sa rigueur, comme l'a promis le garde des Sceaux lors de sa conférence de presse. Avec ce nouveau scandale, la justice et, d'une manière plus globale, le président Bouteflika, auquel le discours officiel prête la volonté de tordre le cou à la corruption pour s'amender — à la fin de sa présente mandature et à la veille de l'élection présidentielle sur laquelle il n'a pas encore dit son mot — de ce cancer qui a gangrené son règne se trouvent confrontés à un test de vérité crucial. Les verdicts des procès des dossiers Khalifa, Sonatrach et de l'autoroute Est-Ouest ont laissé au sein de l'opinion et à l'international un parfum de parodie judiciaire dans la mesure où de hauts responsables, ministres et autres, cités dans ces affaires, sont allégrement passés entre les mailles du filet de la justice. Les premiers éléments des investigations des services de sécurité et le niveau de responsabilité subalterne des cadres de l'administration de l'urbanisme et de la Conservation foncière, inculpés pour corruption dans l'enquête ouverte sur le scandale immobilier de Kamel Chikhi, laissent sceptiques quant à la volonté politique d'arriver aux commanditaires. Car on a peine à croire, connaissant la nature jacobine de l'administration algérienne et de l'exercice du pouvoir d'une manière générale, qu'un chef de service aussi indélicat et véreux soit-il puisse apposer sa signature sur un dossier délicat entaché d'irrégularités s'il n'est pas couvert par ses supérieurs hiérarchiques. D'autant que le patrimoine immobilier inestimable qui intéresse aujourd'hui la justice, dans le sillage de l'enquête sur le trafic de drogue, se trouve dans la capitale, à Alger, sans que cela ait pu susciter le moindre soupçon. Ni des administrations centrales et des ministères en charge du secteur de l'habitat, ni de l'organisme de lutte contre la corruption et le blanchiment d'argent, ni des banques qui n'ont apparemment pas fait leur travail d'alerte sur la traçabilité des mouvements financiers de leur désormais encombrant client. Il a fallu que le scandale éclate au grand jour pour que l'on apprenne, de la bouche du ministre de la Justice, que le mis en cause est poursuivi par la justice dans quatre affaires de blanchiment d'argent et de trafic d'influence. Entre-temps, le prévenu a continué à vaquer normalement à ses activités et à voyager librement quand des citoyens, des activistes de la société civile, des blogueurs sont interdits de sortie pour un PV du code de la route non honoré ou une déclaration sur la Toile. Si les enquêtes liées au scandale de l'immobilier au sujet desquelles le ministre de la Justice a reconnu «l'existence de preuves tangibles de corruption» avaient abouti, le principal mis en cause aurait été neutralisé et ainsi on aurait certainement évité au pays cette grosse affaire de trafic de cocaïne qui lui explose à la figure.