Au vu des dangers d'extinction qui menacent le patrimoine naturel algérien, aussi bien animal que végétal, la protection des races ovines algériennes doit interpeller les hautes autorités du pays. Surtout lorsqu'on sait que l'Algérie est un pays connu, de par sa tradition, pour sa vocation dans l'élevage ovin. Ce dernier, en tant que pourvoyeur de la denrée carnée la plus prisée par les Algériens et en tant que pourvoyeur de laine, vit actuellement une véritable saignée. En effet, certaines races sont en nette régression, alors que d'autres sont carrément en voie de disparition. C'est le cas de la plus ancienne race ovine algérienne, la «Berbère» en l'occurrence. Le mouton de cette race autochtone, surnommée aussi «azoulai» pour la particularité de sa toison dont l'aspect est blanchâtre et offre une laine brillante et mécheuse, est aujourd'hui en voie d'extinction. Le constat est aussi alarmant pour les races qui, jusque-là, maintiennent une certaine stabilité de l'effectif du cheptel ovin national. En effet, l'effectif de la race «hamra», appelée communément «Beni Ighil» et désignée localement «damgha», est de moins en moins présente à travers les plateaux steppiques de l'Ouest algérien, d'où elle est originaire. Il ne reste à travers l'ensemble du territoire national que 1000 têtes race pure «hamra». Une véritable hémorragie ! Même au sud du pays, la menace pèse sur la «barbarine», une race locale dont la lignée est originaire d'Asie centrale. Pourtant, ce mouton qui fut introduit en Numidie par les Phéniciens durant le 1er millénaire avant J.-C., et qui constitue aujourd'hui la principale race ovine en Tunisie, s'est accommodé au fil des temps aux vastes ergs du Sud-Est algérien grâce à son acquisition d'une morphologie trapue avec une queue grasse. En Tunisie, pas moins de dix écotypes de la barbarine ont été identifiés et sont de ce fait bien répertoriés génétiquement. Malheureusement pour l'écotype algérien de cette race, il ne reste qu'un petit contingent dans son fief, la région de Oued Souf. Pis encore, pour les races les plus connues en Algérie, les normes génotypiques ne sont pas entièrement définies. La Ouled Djellal, dite aussi race arabe blanche, qui constitue le plus grand nombre de l'effectif du cheptel national ovin, n'a, à ce jour, pas de statut international. C'est dire qu'en Algérie, contrairement à d'autres pays, les groupes ethniques de races et leurs effectifs ne sont pas encore déterminés avec précision. Alors qu'en France, par exemple, pays qui compte plus de cinquante races ovines, plus d'une vingtaine parmi elles sont classées par le Centre français des ressources génétiques dans la liste des races à préserver. Dites de conservatoire, ces différentes catégories d'ovidés ont un intérêt pratique mais aussi agro-social. Ce pays qui préserve ses traditions agro-pastorales, ancestrales, ceci malgré la forte industrialisation de ses fermes et de ses centres d'élevage, incite les grands herbagers et autres pasteurs à exploiter certaines races, telles que la «tarasconnaise» et la «rouge du Roussillon», selon l'aptitude et la performance zootechnique intéressante. Par conséquent, il va sans dire que pour éviter la perte de notre patrimoine génétique animal ainsi que la préservation des groupes ethniques des animaux vivant en Algérie, un grand travail doit être entrepris en urgence pour définir le standard des espèces autochtones. Ceci, pour qu'elles soient identifiées et reconnues, au niveau national et international, en tant que telles, mais aussi et surtout pour conserver les droits de propriété des races algériennes, véritables ressources génétiques nationales. La race hamra : ancêtre de la rouge du Roussillon Pour revenir à nos moutons, d'après différentes statistiques, l'Algérie compte entre 28 et 30 millions de têtes d'ovins. Elles sont constituées à hauteur de 70% par des croisements avec la race Ouled Djellal. Car, il faut savoir que sur ce taux (70%), seuls 10% sont de race pure Ouled Djellal. Le reste est réparti entre six autres races qui ont été identifiées à ce jour. Il s'agit principalement de la «berbère», la «barbarine», la «targuia» appelée aussi «sidaho», une variante ovine à poils, élevée à l'extrême sud du pays, la «tazgzawth» ou «bleue de Kabylie», le «laroui», mouton aux cornes spiralées, surnommé mouflon du Djebel Amour et enfin le mouton de la race taâdhmit. Ce dernier, qui demeure confiné au sud des monts des Ouled Naïl, est défini par des études comme étant issu d'un croisement, datant du XVIIe siècle, entre la «hamra» et la «mérinos», une race originaire d'Espagne, alors que d'autres spécialistes prétendent que c'est plutôt le croisement du mouton Ouled Djellal avec la brebis mérinos qui a donné naissance au taâdhmit. Certains auteurs avancent même que c'est à partir de la laine du mouton taâdhmit que les premiers tissus Prince de Galles auraient été tissés. Cela démontre a fortiori que les races ovines de l'Algérie ont un intérêt élevé aussi bien dans l'industrie bouchère que dans l'industrie textile, deux secteurs qui tardent à redémarrer au niveau national, sans évoquer, bien sûr, le lait de brebis, presque méconnu par les Algériens, que l'on pourrait collecter du cheptel ovin puisque 60% de cet effectif sont constitués de femelles. Effectivement, la filière ovine pourrait contribuer à l'essor de l'économie nationale, actuellement en repli. De plus, au vu de la population algérienne rurale qui a tendance à s'urbaniser, il est donc clair que la promotion de l'élevage, à travers toutes les régions agro-pastorales de l'arrière-pays, sera non seulement une valeur ajoutée dans le PIB, mais beaucoup plus un frein à l'exode rural qui a chamboulé les cartes de la filière des élevages mais également celles des autres secteurs. Au regard de ce contexte et au vu de la diversité des races ovines que compte l'Algérie, certaines races s'avèrent donc intéressantes sur le plan économique. En effet, la hamra, dont la viande a les meilleures qualités organoleptiques et gustatives au Maghreb, pourrait être exploitée sur le marché international des viandes, une fois les besoins nationaux satisfaits. Des chercheurs français avancent même qu'une des principales races ovines française dite conservatoire et chèrement préservée par la France, la rouge du Roussillon, en serait issue génétiquement du mouton algérien de la race hamra qui, faut-il le souligner, a été introduite en métropole durant la période coloniale et où effectivement, plus d'un million de têtes de moutons Hamra furent exportées vers la France entre 1930 et 1950. En second lieu, il y a la race Ouled Djellal. Indétrônable, cette dernière n'arrête pas de susciter, au plan international, l'intérêt des experts puisqu'ils vont jusqu'à la classer parmi les meilleures au monde, ceci au vu de ses multiples performances. A titre d'indication, la Ouled Djellal est la seule race ovine au monde qui présente une résistance «naturelle» à la fièvre charbonneuse, une redoutable épizootie qui touche particulièrement les ruminants et qui est beaucoup plus dangereuse que la fièvre aphteuse. La rusticité de cette race a d'ailleurs été mise en évidence, dès les années soixante, par l'éminent agropastoraliste algérien, le regretté Rabah Chellig. En fait, le mouton Ouled Djellal demeure le plus adapté aux parcours steppiques et donc au mode extensif et au nomadisme, qui sont par ailleurs les plus productifs dans cette filière en Algérie. Idem pour la rembi, une race de la région de Tiaret qui prend la cote et serait la seconde race en termes d'effectifs, détrônant la hamra sur sa vaste aire de pâture à l'extrême-Ouest algérien. Mieux encore, le mouton rembi bercé entre le Sersou et les monts de l'Ouarsenis, facilement reconnaissable par sa tête brune acajou, dépasse en termes de gabarit son congénère Ouled Djellal. Enfin, la race d'men de la région présaharienne du Sud-Ouest maghrébin qui a de grandes performances zootechniques s'avère aussi intéressante et peut donc être mieux exploitée, malgré la médiocrité de la qualité de sa viande de mouton jugée dure lors de la mastication. En effet, précoce, la brebis d'men a la meilleure caractéristique de prolificité parmi toutes les autres races, puisqu'elle peut donner jusqu'à 4 agneaux avec à la clé deux agnelages par an. La race d'men : entre polémique et prolificité Concernant cette race, il faut savoir qu'elle est aujourd'hui mieux implantée au Maroc et se classe en troisième position en termes d'effectif chez nos voisins. Elle n'arrête donc pas de provoquer des polémiques entre les maquignons algériens et marocains au sujet de son origine. Cette présomption de «filiation» semble prendre de l'ampleur entre chercheurs des deux pays. Cependant, quoique cette race soit classée par certaines instances internationales, qui se basent sur la notion de la territorialité de la race, comme étant algéro-marocaine, il n'en demeure pas moins que plusieurs études et publications internationales révèlent que son berceau est la vallée de l'Oued Saoura, au Sud-Ouest algérien. Heureusement qu'une équipe de chercheurs de l'Ecole nationale supérieure vétérinaire (ENSV) vient finalement d'entreprendre un travail sur le croisement de la d'men avec la Ouled Djellal. L'objectif est de produire, à partir des variabilités génétiques de ces deux dernières un lignage performant qui, faut-il le souligner, n'a rien à voir avec la brebis dolly génétiquement modifiée puis clonée. Cette nouvelle variété, très saine, aura à la fois les caractéristiques de prolificité et de la qualité gustative avec en sus une meilleure adaptabilité aux climats et reliefs de toutes les régions de l'Algérie. Les retombées économiques de ce projet seront à coup sûr très importantes sur le plan de la sécurité alimentaire, puisqu'elles offriront aux Algériens plus d'opportunités dans le choix de la qualité et du prix des viandes par rapport aux viandes importées. Viande ovine d'Algérie : un label indétrônable Pour remédier à ce désastre, d'aucuns diront qu'il faudrait tout d'abord mettre fin à la saignée du cheptel ovin causée entre autres par l'abattage massif de certaines races au détriment d'autres, notamment lors des fêtes de l'Aïd El Adha et le mois de Ramadhan. Comme il faudrait aussi trouver des solutions durables pour faire face aux aléas de l'élevage, tels que les longues périodes de sécheresse, la cherté de l'aliment du bétail, le manque des points d'eau pour l'abreuvement des animaux et la déliquescence de l'état sanitaire du cheptel national. Il serait donc judicieux d'établir un programme «novateur», qui ne se limite pas uniquement au secteur de l'agriculture, afin d'encourager les jeunes entrepreneurs d'investir dans le métier de leurs aïeux et des prophètes, en misant, bien entendu, sur les races à forte valeur économique. Le but d'un tel programme est d'arriver, après le pic de l'autosuffisance en protéines animales et par la suite à celui de l'exportation, à la valorisation de la production marchande de cette filière par une labellisation des viandes. Sur ce point, il y a lieu de signaler qu'hormis la localisation géographique, le nombre de la population constituant un cheptel est très important dans le processus de certification des produits et sous-produits d'origine animale. En Algérie, cette mise en valeur devrait aussi reposer sur le fait qu'une grande partie du cheptel national, notamment ovin, se nourrit exclusivement de plantes aromatiques aux vertus médicinales, ce qui donne d'ailleurs un goût très appréciable à l'agneau algérien. Saveur et arôme qu'on ne trouve nulle par ailleurs dans le monde. Ainsi, à défaut d'une utilisation en pharmacopée ou en cosmétologie, comme c'est le cas en Turquie, les innombrables plantes de la steppe algérienne seront valorisées par une consommation placée sous le signe officiel de «viande d'Algérie» ou de «Label rouge d'Algérie». Ce protocole de labellisation peut être affiné, par la suite, à la race, aux types de plantes broutées par le mouton, au mode d'élevage et aux systèmes de production. Les différentes qualités des viandes algériennes (gustative, organoleptique, hédoniste...) sont autant de caractéristiques qui plaident en fait pour que le label algérien se démarque des autres marques de viande, notamment celles de l'importation. Par conséquence, plus qu'une richesse à promouvoir, les races ovines algériennes sont un véritable patrimoine, surtout que le mouton a de tout temps fait partie de la vie et de l'existence des Algériens. En effet, plus qu'un symbole, le mouton a toujours constitué une inestimable offrande pour l'ensemble des Algériens, qu'ils soient nomades, ruraux et même citadins, lors de leurs... mariages ! Nb : concernant le taux de 60% que constitue la race Ouled Djellal, seuls 8% de l'effectif est de race pure Ouled Djellal, estiment plusieurs spécialistes. Les croisements entre races ovines sont en fait plus nombreux en élevage ovin comparativement à l'élevage bovin, caprin et camelin.