Dans la famille des grands poètes africains du XXe siècle, il faut faire à Cissoko Siriman (1), une place de choix. Il disait que la poésie lui donnait « comme une ivresse de la raison ». Ressac de nous-mêmes, son excellent recueil, paru chez Présence africaine en 1967, a été unanimement salué comme l'une des œuvres poétiques les plus originales des années soixante : « Et glissent, glissent sur les dunes du songe mes longs chameaux Tout chargés de myrtes et d'or Se profilent au loin les silhouettes des fils de Firhoum, qui les gardent des hyènes et du simoun. » Fidèle aux « maîtres de langue » de la tradition orale, les chanteurs et les griots de cours princières, Cissoko Sirman est resté, comme le note justement P. Ngandu Nkashama, attentif aux exigences de l'écriture : « Ressac de nous-mêmes » tente de reproduire la qualité du poème, cette expressivité qui se fonderait essentiellement sur la technique, les consonances métaphoriques que seule permet la « clôture de la prosodie » par l'écriture ». « Ah ! Les hommes des sabres et des lances, les hommes des sables et des vents Qui donc harcèle les flancs gercés de leurs montures lourdes de présents à jeter à tes pieds ? Quelle année, Sindé ? Nous sommes les enfants de l'attente et du poème. » Cissoko Siriman voyait dans la poésie ce qu'elle est par excellence : la somme de la culture, le point mystérieux où la quantité des connaissances cède à leur qualité qui se condense miraculeusement en quelques mots. Il avait le culte des mots dont chacun est un poème essentiel, élaboré et décanté par le temps. « Nos pères émigrent, et nous partons. Et si ne vient ta « bien-aimée » Poète, tes chants s'en iront à même nos rythmes, assis parmi les lignes des livres Très loin. Dans le temps. Là-bas. » Notre poète se passionnait pour la vie secrète des mots. « Ressac de nous-mêmes » est une ode pour les hommes, pour « le temps ». C'est aussi, comme disent « les sages africains », un « poème-énigme » qui a pour objet un mystère de la culture, un phénomène propre à troubler les seuls esprits qui se sont penchés sur la vie et la mort. La devise de Cissoko Siriman est : « Le sens, mal deviné, resplendit d'être obscur ; diamant ténébreux, sombre éclat, rose noire, de ceux de la tribu préservé de l'impur. » 1) Poète malien né en 1934 à Bamako.