Les démons du communautarisme se sont-ils de nouveau réveillés à Berriane (Ghardaïa), secouée une fois de plus par de violents affrontements entre Mozabites et Arabes ? L'étincelle qui a mis le feu aux poudres, toujours la même : une rixe entre jeunes des deux communautés qui a dégénéré en bataille rangée avec son lot de blessés, de victimes (deux décès) et de destructions. La dernière poussée de fièvre du genre remonte à quelques mois à peine. Ni la solution de la fermeté qui a poussé les pouvoirs publics à sévir contre les « casseurs » et les « meneurs » déférés à la justice ni le dialogue social et intercommunautaire censé être lancé ou relancé à la faveur de chaque nouvelle épreuve que vit la région en associant les structures sociales traditionnelles – les sages – n'ont pu rétablir un calme durable, taire les ressentiments et dissiper le climat de méfiance, voire de défiance qui règne entre les habitants de la région qui sont pourtant condamnés à vivre ensemble et à cohabiter. Il est trop facile, comme le font les autorités, de mettre ces violences cycliques sur le compte de jeunes adeptes de la violence pour la violence, de « maffia locale » pour reprendre le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, Noureddine Yazid Zerhouni. Lors des émeutes de l'an dernier, le ministre de l'Intérieur avait parlé de « complot » étranger et d'une organisation structurée qui tirait les ficelles dans l'ombre, révélant la saisie par les services de sécurité d'un ordinateur qui détenait des informations corroborant cette thèse. On n'en saura pas plus ni sur le contenu du disque dur saisi ni sur l'existence et les motivations de cette organisation malveillante qui chercherait à déstabiliser la région et à dresser les habitants de Ghardaïa les uns contre les autres. La reprise des hostilités quelques mois plus tard signifie – simple déduction logique – que les services de sécurité n'ont pas fait correctement leur travail pour neutraliser les commanditaires des troubles. Ceci pour dire que le malaise est beaucoup plus profond que les autorités ne voudraient bien le reconnaître. Et que le cycle émeute-répression-retour au calme, en attendant la prochaine éruption de violence, n'est pas une fatalité de l'histoire avec laquelle les habitants de Ghardaïa sont condamnés à vivre. Il faut toujours se réjouir de voir le calme revenir dans la région, quand on imagine les rancœurs et la haine nourries de part et d'autre pendant de longues années et qui font craindre le pire à chaque nouvelle flambée de violence. Après trois journées sanglantes, le calme est revenu hier à Berriane. Pour combien de temps ? La solution policière, si elle est nécessaire dans le respect des lois de la République, pour protéger les personnes et les biens publics et privés, n'est pas pour autant suffisante si elle ne s'accompagne pas d'une réflexion en profondeur pour tenter de cerner les causes profondes qui font que les deux communautés de Berriane s'acceptent mal et se vouent une haine qui se transmet dangereusement de génération en génération. La prise en charge des litiges liés au foncier, à l'accès au logement, à l'emploi, au bien-être social, en un mot l'instauration d'une justice sociale dans laquelle chaque communauté pourra trouver son compte, l'accès équitable aux postes de responsabilité et de décision locaux, le respect des coutumes et traditions locales, c'est là le vaste chantier qui interpelle les pouvoirs publics et le mouvement associatif. Le mal qui ronge Berriane n'est ni congénital ni identitaire ou communautariste. Il est politique, économique, social. Il s'agit tout simplement de la revendication d'une citoyenneté pleine et entière, qui bannirait toute forme d'exclusion, qu'il faudra prendre en charge dans l'intérêt de tous les habitants de la région.