A la périphérie de la localité, l'UNRWA a installé des centaines de tentes, un vrai camp de réfugiés comme ceux d'après la guerre de 1948. La seule différence provient du fait que cette fois-ci, le camp est établi à côté des habitations démolies et non dans d'autres régions. Ezbet Abdrabo est détruite, mais les habitants sont là. A côté de l'une de ces tentes étaient rassemblées quelques femmes, l'une d'entre elles a accepté de me parler : « Après que nos maisons aient été démolies, ils nous ont donné des tentes, mais sans rien d'autre. Pas de couvertures, pas de matelas ni à manger ni à boire ; notre vie a été chamboulée, que voulez vous de plus ? Hier, les enfants avaient faim et soif. Ils nous avaient promis des parts de nourriture, des matelas et des couvertures, mais, jusqu'à maintenant, nous n'avons rien reçu. Nous n'avons rien pu récupérer de chez nous. Nous sommes sortis avec nos habits seulement. » Oum Ahmad, plus jeune, portant le nikab, nous dit : « Nous sommes sortis de notre maison pour sauver notre peau. Au-dessus de la maison se trouvaient trois militants armés. La maison a été bombardée par l'aviation et par les chars. Les trois militants sont tombés en martyrs. Nous avions l'espoir de trouver de l'aide, mais jusqu'à maintenant, il n'y a que la tente. Les enfants souffrent. Avant, en l'espace de 5 minutes, ils arrivaient à l'école, mais après sa destruction, il leur faut plus d'une heure de marche pour rejoindre leur nouvelle école. Ils n'ont plus rien, ni vêtements, ni cartables, ni cahiers, ni livres, rien ! J'espère que les Palestiniens vont se réunir pour pouvoir reconstruire nos maisons, je l'espère de tout cœur. » Au même moment, une dame est intervenue : « Un de mes proches tué par les Israéliens est resté pendant 20 jours dans la rue. Les chars qui allaient et venaient lui passaient sur le corps. Nous n'avons rien trouvé du cadavre, les Israéliens empêchaient les ambulances d'évacuer les morts et les blessés. Des gens ont risqué leur vie pour transporter des blessés vers l'hôpital sur des charrettes tirées par des ânes. » Quelque peu retirée, observant d'un œil triste ce qui se passait devant elle, une fillette de 12 ans, portant un foulard, semblait avoir des choses à dire. Après quelques signes de réticence, d'une voix entrecoupée, elle a accepté de témoigner pour El Watan. « Je suis l'enfant Salma Abdrabo, de Ezbet Abdrabo. El yahoud ont démoli notre maison en tirant des roquettes à partir des hélicoptères et ne nous ont rien laissé. Je n'ai plus de vêtements pour aller à l'école, nos cartables, nos cahiers et nos livres ont été brûlés. Ils ont tout brûlé. Je dis El hamdo lillah... » Les sanglots l'ont empêchée de poursuivre ; après quelques instants, plus calme, elle prit un souffle profond et a continué : « Nous étions 12 personnes à vivre ensemble. Nous étions à l'abri. On se sentait en sécurité chez nous. Maintenant, nous habitons dans des tentes. Nous n'avons rien reçu ni livres ni cahiers, il n'y même pas à manger. » En évoquant son frère, un militant armé, « mourabet » comme elle l'a qualifié, tombé en martyr dans l'un des affrontements qu'a connus la région entre les résistants et l'armée israélienne et elle s'est remise à pleurer plus que la première fois : « Mon frère est un chahid, il était avec les résistants. Après notre père, on a perdu notre frère. Nous voulons vivre chez nous comme tous les enfants du monde, dans la paix », a-t-elle conclu alors que de grosses larmes coulaient sur ses joues. Le cas des familles d'Ezbet Abdrabo a été partagé par des milliers d'autres durant 23 jours de guerre ouverte durant laquelle l'armée israélienne s'est acharnée contre les civils dans le but de leur faire peur. C'était sa manière de retrouver cette force de dissuasion, perdue un certain été 2006, dans les plaines, les montagnes et les villages du Sud-Liban. A-t-elle réussi ? Comme beaucoup d'Israéliens eux-mêmes et plus encore après cette visite d'El Ezba, j'en doute fort.