Les décennies écoulées, des cadres par milliers ont été salis par des rapports de police et privés, de ce fait, d'accès à des postes supérieurs dans l'administration. Sésame pour toute promotion, la fameuse « enquête d'habilitation » a fait bien des ravages au sein de l'élite intellectuelle et aussi parmi les simples citoyens. C'est Ali Tounsi, le patron de la DGSN qui le dit, étayant son propos en ordonnant un autodafé de plusieurs rapports de la honte - essentiellement bâtis sur la délation - et en demandant à ses services d'être à l'avenir plus rigoureux. Une petite révolution si le problème était circonscrit à la seule police et si les lourdeurs et la complexité de cette administration n'avaient pas la capacité, avec le temps, de vider de sa substance la nouvelle orientation. Et puis d'autres services de sécurité sont impliqués directement et indirectement dans le quitus délivré aux cadres pour l'accès aux postes sensibles. Sont-ils eux aussi animés de la même volonté de tourner cette page ? Et que dire de la main du politique ? Avant la chute du parti unique, elle a été derrière l'« article 120 » du statut de la formation pour faire barrage aux cadres qui n'avaient pas jugé utile d'y adhérer. L'entrée dans le multipartisme n'a pas été suivi d'un changement des mentalités et des mœurs. Les dirigeants politiques ont continué à choisir les cadres dirigeants parmi les leurs, privilégiant largement l'allégeance aux qualités intrinsèques des individus. Seul le sous-développement de l'administration algérienne a fait que beaucoup de cadres méritants ont pu malgré tout passer entre les mailles du filet. Mais certains d'entre eux sont tombés lors de sinistres opérations « chasse aux cadres » les conduisant dans les geôles, sous le prétexte de la lutte contre la corruption. Le système politique algérien s'est en partie bâti sur la méfiance à l'égard de l'intellectuel, car il redoute l'esprit critique en mesure de le remettre en cause. Le but fixé à l'« enquête d'habilitation » a été avant tout de « mesurer » le degré de docilité du cadre à l'égard des puissants. De ce fait, c'est l'existence même de ce document de police qui pose problème et non le sérieux de son élaboration, comme le pense le directeur de la DGSN, qui a cependant, à travers son mea culpa, soulevé une partie du couvercle du « goulag algérien ». Plus fondamentalement, le moment est-il venu pour l'Algérie de se regarder dans un miroir, de recenser ses tares et de rouvrir ses plaies ? Est-ce le temps du pardon, des réparations et des compensations ? Oui si la justice est prête, c'est-à-dire pleinement indépendante. Non s'il n'y a en jeu que des calculs politiques.