Natif de La Nouvelle Orléans, Sidney Bechet s'impose très tôt comme un musicien hors pair que se disputent les orchestres typiques du sud des Etats-Unis. Sidney Bechet, encore très jeune, s'affirme comme le maître incontesté de la clarinette. Il parvient à tirer de cet instrument des sonorités magnifiques et tous les passionnés de jazz, à cette époque des premières années du XXe siècle, s'accordent à reconnaître que Sidney Bechet est l'égal de Louis Armstrong et que les deux formidables musiciens illustraient le combat de la clarinette et de la trompette. Sidney Bechet s'était fait connaître pour ses variations subtiles et les effets qu'il tirait de sa clarinette. Son talent ne pouvait pas se suffire de La Nouvelle Orléans où il n'avait plus rien à apprendre. Il fait le voyage de Chicago avec la conviction d'y trouver une spectaculaire consécration. Lorsque Sidney Bechet, la vingtaine tout juste atteinte, s'établit à Chicago, tout le monde ne parle que de Louis Armstrong dont l'étoile brille au firmament du jazz. Sidney Bechet n'est pas jaloux de la gloire qui entoure Louis Armstrong, car il sait que leurs destins ne peuvent être que parallèles. Les deux musiciens étaient différents par le caractère. Louis Armstrong, que ses admirateurs nommaient Satchmo, était un personnage hilare et débonnaire dont la trompette témoignait d'un puissant appétit de vie. Sidney Bechet était beaucoup plus retenu et évitait de se montrer expansif. Il a conscience de sa valeur au point de ne jamais en rajouter et refuse les manifestations de familiarité excessive à son égard. Cette attitude donne de Sidney Bechet une image de dureté qui est tout à fait injuste, car l'homme est tellement concentré sur son art qu'il n'a pas de temps à consacrer aux fariboles de la scène musicale. Sidney Bechet n'est pas compris de ses contemporains et l'Amérique ne tarde pas à être trop petite pour lui. Il répond à l'appel de l'Europe où l'Angleterre est sa première étape. Il fait sensation à Londres où le public le célèbre comme un musicien prodigieux. C'est une période heureuse pour Sidney Bechet qui est à un tournant de sa vie professionnelle. Le musicien, clarinettiste émérite, a en effet découvert le saxophone soprano auquel il va s'attacher passionnément. Il se demandera même comment il avait pu passer à côté de cet instrument sans lequel il ne serait jamais parvenu à être le musicien complet qu'il ambitionnait d'être. Cette sérénité retrouvée ne tardera pas à être dissipée lorsque Sidney Bechet participe à une violente rixe dans un hôtel londonien. Les autorités britanniques déclarent Sidney Bechet indésirable sur le sol anglais. Il est mis de force dans le premier avion en partance pour l'Amérique. Il débarque à New York où il est engagé dans la formation du pianiste Clarence Williams. Ce dernier a une idée folle : celle de réunir Louis Armstrong et Sidney Bechet pour une session dont rêvaient les puristes du monde entier. Sidney Bechet ne trouve pas que c'est une très bonne idée, mais il ne décline pas l'offre, car il s'estime l'égal du formidable Satchmo. Sidney Bechet s'était amélioré davantage encore depuis son séjour européen et il se tournait vers un répertoire exigeant : il jouait sans répit les œuvres de George Gershwin et se plaisait à développer de sublimes variations de Summertime. Il est invité dans de nombreux festivals de jazz en Europe et ses pérégrinations dans le vieux continent le conduisent à s'établir définitivement en France. Considérablement assagi, Sidney Bechet devient vite une icône du jazz moderne. Il triomphe mondialement avec Petite fleur qui est la quintessence de son message musical. A la fin de sa vie, le musicien avait atteint cette sobriété dans le jeu instrumental qui lui permettait d'accomplir les phrasés les plus complexes avec une rare spontanéité. Le public en était venu à l'associer avec cette clarinette dont il jouait depuis la première enfance dans les concerts bigarrés de sa Nouvelle Orléans natale. Jusqu'à la fin de son parcours exceptionnel, il fut l'efficace représentant de ce jazz qu'il porta aux sommets.