La messe est dite : le système Bouteflika est reconduit à un score brejnévien et l'opposition redécouvre brutalement les limites de son emprise sur la société. Et comme au lendemain de chaque élection, les forces du changement se réveillent groggy en se demandant pour la énième fois : qu'est-ce qui n'a pas fonctionné ? Evidemment, la fraude « industrielle », le clientélisme, la réquisition manu militari des moyens de l'Etat, les pressions en tout genre exercées sur l'électorat, à l'image de celle subie par les corps constitués et les personnels de l'administration, autant de facteurs qui faussent le débat et brouillent les cartes à telle enseigne qu'il est difficile au jour d'aujourd'hui de se faire une idée juste de la carte politique réelle du pays et la répartition effective des voix entre fidèles au statu quo et partisans du changement. En attendant des alternatives Oui, après chaque scrutin, ce sont les mêmes questions que s'échangent les survivants du tsunami électoral : qu'est-ce qui pousse le régime à s'autoriser des manœuvres aussi grossières ? D'où lui vient une telle outrecuidance dans la manipulation ? Et, surtout : que faire ? Si les élites politiques traditionnelles et l'action partisane classique ont montré une nouvelle fois leurs carences face au rouleau compresseur de la machine Bouteflika et la puissance de ses relais, que ce soit dans l'administration, au sein des mosquées et des zaouias ou encore les réseaux d'affaires, tout n'est pas perdu pour autant, assurent les moins pesesimistes des analystes. En ce sens et en attendant une révision en profondeur de l'action partisane d'opposition, des alternatives pourraient venir du bas par des initiatives au niveau « micro », en investissant dans la politique de proximité et le travail de terrain. L'un des enseignements de cette élection est que Bouteflika n'a pas tant joui du soutien des généraux (ou plutôt de ce qui en reste) et du travail souterrain du DRS que d'un réseau impressionnant d'associations, de comités populaires et de courtisans à tous les échelons, même s'il s'agit davantage d'opportunistes et de « lèche-pompes » que d'une réelle assise politico-idéologique. Il apparaît aujourd'hui impérieux de réinventer la politique et de renouer avec l'action militante de base. Les partis d'opposition sont ainsi acculés à lancer de nouveaux chantiers en vue de reconquérir la société. L'université s'impose à ce propos comme un terrain à réinvestir sans délai. On a vu comment nos campus sont devenus les bastions de l'islamisme et du conservatisme, alors que dans les années 1970 et 1980, ils étaient l'apanage des mouvements de gauche et de la mouvance berbériste. Le champ syndical, l'un des plus actifs en termes de résistance citoyenne, appelle un engagement plus soutenu de la part de l'opposition. Les syndicats, un cadre de mobilisation On ne louera pas assez le dynamisme des syndicats autonomes (le Snapap, les syndicats de l'éducation, à l'instar du Cnapest ou encore les syndicats de la santé publique) qui font bouger le front social, mais ceux-ci ont besoin d'être renforcés pour déboulonner l'UGTA qui est plus que jamais inféodée au pouvoir. Il faut citer aussi le secteur associatif qui, en dépit des entraves de l'administration et du verrouillage des espaces d'expression, peut offrir un précieux cadre de mobilisation citoyenne. Qu'on songe à des associations comme le RAJ, le Souk, les associations de femmes, le collectif des familles de harraga ou des victimes du terrorisme. Une myriade d'organisations qui ne demandent qu'à y adhérer de façon à revigorer la société civile. Il convient de citer également les organisations de défense des droits de l'homme (la LADDH et les autres) qui font un travail colossal en matière de défense des libertés. Citons par ailleurs le rôle des artistes comme boosters d'imagination qui, même confinés dans des œuvres personnelles qui ne valent au premier chef que par leur qualité esthétique, n'en contribuent pas moins à injecter un peu d'insolence dans une société profondément conservatrice et à y diffuser un zeste de cette culture « underground » qui met de la fraîcheur dans l'air. A quoi ajouter le formidable maquis du Net où l'on assiste à un bouillonnement spectaculaire de la blogosphère algérienne et autre « littérature facebook ». Citons également l'effet Youtube, ce redoutable média qui console les jeunes de l'autisme de l'ENTV et le plombage du champ audiovisuel. Beaucoup de contenus vidéo circulent ainsi via Youtube, Dailymotion et le téléphone portable qui deviennent ainsi des outils d'expression efficaces dans les mains des jeunes. Malheureusement, cette charge subversive véhiculée par internet reste cloîtrée dans le virtuel et débouche rarement sur la rue comme le font les bloggueurs égyptiens qui dépassent allégrement le cadre « mondain » de facebook et le confort du clavier pour des manifs de rue. En l'occurrence, il faut dire que l'action clandestine a ses vertus et en l'absence d'agréments pour créer de nouvelles associations, de nouveaux syndicats ou de nouveaux journaux, il n'est pas interdit d'envisager des formes souterraines d'action pour faire bouger les choses comme ce fut le cas au temps du parti unique. Tout cela pour dire que la société a encore des possibilités. Reste maintenant à capitaliser ces gains sur le plan de la représentation politique et c'est là que régulièrement, les élites politiques font faillite, fraude électorale mise à part. L'urgence aujourd'hui est de casser ce « fatalisme politique » qui tétanise les Algériens en les réconciliant avec le mot « audace » et en les déculpabilisant quant à l'aspiration à un autre destin que celui d'un mandat à vie au profit de la stagnation.