A Alger-Centre, dans certaines rues qui bordent la place Emir Abdelkader, on observe un curieux manège. De vieilles femmes, par groupe de deux ou trois, certaines portant des cabas comme si elles revenaient du marché, papotent comme si de rien n'était. Elles sont là incognito, le visage dissimulé par la voilette blanche, leurs amples djellabas masquant la forme de leur corps. Sous leur robe, elles cachent de véritables trésors : bracelets, chaînes, boucles d'oreilles, pendentifs, tous en or véritable, qu'elles vendent en attirant l'attention du passant avec discrétion. A Oued Kniss, au quartier du Ruisseau, royaume de l'informel en tout genre, elles sont des dizaines à avoir pris position le long d'un mur sale qui court sur près de 500 m. La moyenne d'âge de ces revendeuses frise la cinquantaine. Elles ont les mains rougies au henné, portent plusieurs bracelets au même poignet, différents modèles de chaînes au cou et une dizaine de bagues à chaque main. Les bagues sont classées par prix selon les doigts... Un prix qui varie en fonction du poids, mais aussi du poinçon. « Les bijoux qui possèdent le poinçon viennent de l'étranger, notamment d'Italie. Les autres sont produits localement », confie une vendeuse en précisant que ses « fournisseurs » la ravitaillent de Constantine et de Batna, ville connue pour ses nombreux ateliers clandestins de fabrication de bijoux. « J'ai toutes les tailles, tous les poids, toutes les qualités de bagues ! », insiste une hadja en sortant une boîte de crème Nivea qui regorge d'or. « En ce moment, ce qui est à la mode, c'est la bague avec une pierre de couleur qui n'a pas de valeur et donc n'influe pas sur le prix. » Les mamies qui travaillent ici savent comment s'y prendre avec les acheteuses hésitantes. Féroces négociatrices, elles se révèlent de redoutables femmes d'affaires, jouant sur l'émotion. Pour autant, les discussions sont détendues. On remarque que des hommes s'activent eux aussi pour vendre des bijoux, mais, nous confie un interlocuteur, ils sont surtout là pour surveiller et protéger les femmes. Qui les fait travailler ? Mystère. Beaucoup semblent avoir choisi cette activité de leur propre chef, comme Samia, 28 ans, originaire d'Alger. Sous son manteau marron, elle porte une veste multipoches où elle cache une quinzaine de bagues accrochées à une épingle à nourrice. « Ce commerce est tenu par des vieilles, je suis l'une des plus jeunes ici ! Mais cela fait 8 ans que je suis dans le métier. J'ai choisi cette activité car j'ai des enfants à nourrir et cela paie plutôt bien », explique-t-elle. « C'est un bon métier, mais il devient dangereux. Il y a beaucoup de voleurs... » Et côté police ? « Elle nous laisse tranquille la plupart du temps, mais il y a parfois des arrestations et des procès. » Dès 9h, à l'ouverture « officielle » de ce marché officieux, on trouve ces vendeuses de bijoux pas ordinaires. Elles finiront leur journée le dernier acheteur parti...