Ainsi, nous saurons que ces enfants vivent dans la tourmente, la faim, l'iniquité et l'angoisse de se faire tabasser par les plus grands. La nuit, pour ces enfants, signifie le début d'une terreur sans précédent, car c'est à ce moment précis que le calvaire commence. La nuit, dans le dortoir partagé par les deux catégories, les adolescents et les enfants, il se passe bien des choses. Et la violence en tous genres est partie intégrante de leur quotidien. Pour ne citer qu'un seul cas parmi tant d'autres, nous parlerons de l'histoire de G.A.M., un enfant entamant à peine l'adolescence (et qui est, actuellement, en phase de passer son examen de 6e), à un âge où d'autres enfants vivent encore dans l'insouciance d'une existence paisible, lui, a déjà un vécu jalonné de souffrances. Téléporté d'un lieu à un autre, il ne jouira jamais d'un foyer stable, il vivra chez une vieille dame jusqu'à l'âge de 10 ans et sera ensuite remis à l'assistance. Ballotté au gré de circonstances cruelles, il connaîtra les dures réalités de la rue. L'enfant racontera avec ses propres mots qu'il a été victime d'abus sexuels au sein même de ce foyer dit « pour enfants assistés » et qu'il se faisait « régulièrement tabasser par les plus grands ». Les faits remontent à l'été 2005, lorsqu'il a été réveillé, tard dans la nuit, par un garçon âgé de 17 ans à cette époque : « Il m'a réveillé, se souvient-il péniblement, il m'a enlevé la couverture, m'a ligoté les mains et il a abusé de moi sexuellement… » Combien de fois cette ignominie s'est-elle réitérée ? G.A.M répondra que tous les enfants subissent le même sort. Ils se font battre et violer à l'insu des surveillants qui « dorment à ces heures de la nuit », selon lui. Son silence a été quasi-total, il n'osera jamais parler de cette histoire de peur de faire l'objet de représailles, car « nous, les enfants, on nous frappe tout le temps et on nous enlève la nourriture, même que les responsables de ce centre nous donnent la nourriture pourrie et crue, et la meilleure est donnée aux plus grands, car ils ont peur d'eux. » Quelque temps après, un autre adolescent, âgé de 16 ans, tentera à son tour d'abuser de lui : « Il m'a réveillé la nuit, témoigne-t-il, et il voulait me conduire aux toilettes, cette fois-ci, j'ai protesté, j'ai attiré l'attention des surveillants, j'ai décidé de le dénoncer… » Suite à cette histoire, le mis en cause sera placé en détention, sur décision du juge des mineurs du tribunal d'El Khroub, dans un centre de rééducation (CSR). Mais à la grande surprise de l'assistante sociale du FEA, il sera très vite libéré et remis dans le foyer, et de surcroît, dans le même dortoir que sa victime. Elle dira à ce propos : « Le DAS a piétiné l'arrêt du juge et n'a nullement tenu compte des conséquences que pourrait avoir une telle décision sur la victime ». Terrorisé, l'enfant abandonnera ses études et fuguera du centre, lieu « où règnent l'arbitraire et la violence ». Il déambulera dans les rues de Constantine pendant quelques jours, à la merci de tous les dangers : « Je n'avais pas où dormir, alors je restais éveillé en attendant le lever du jour », raconte-t-il. Il fera la connaissance d'un autre adolescent qui l'emmènera chez une femme où il sera hébergé, mais au bout d'environ un mois, selon le jeune garçon, elle « me mettra à la porte sous prétexte qu'elle a reçu la visite de la police à mon sujet, alors qu'il n'en était rien ». Quel avenir pour ces malheureux ? A ce propos, la jeune fille chez qui il se trouve actuellement, précisera en ces termes : « Jusque-là, personne ne s'est inquiété de son état. Nous n'avons jamais reçu la visite de qui que ce soit. Bien au contraire, je suis personnellement allée dans ce centre pour avoir des renseignements sur lui, et on ne faisait que me raconter n'importe quoi ». Elle ajoutera également : « C'est la débandade dans ce centre ». De nouveau dans la rue et livré à lui-même, l'enfant connaîtra moult affres. Il sera hébergé de nuit seulement dans un réduit, dans un des quartiers de la ville, grâce à un homme qui le prendra en pitié. Pendant plus d'une année, il passera ses journées à errer désespérément et complètement seul au monde. Il y a quelques mois, il a été enfin accueilli dans un vrai foyer, chaleureux et dont l'ambiance est celle d'une vraie famille. La jeune fille a fait les démarches nécessaires (tâche non aisée) pour le réinsérer dans une école primaire et de le prendre parallèlement en charge, en attendant qu'il soit permis à sa famille d'adopter l'enfant. « C'est un garçon très intelligent et qui possède d'énormes capacités, je veux tout faire pour qu'il réussisse dans la vie », précise-t-elle. Quant au concerné, il dira : « Je me sens bien dans cette famille, j'ai enfin une grande sœur qui s'occupe de moi et me suit dans mes études et je ne retournerai plus jamais dans ce foyer de misère ». Ce garçon a eu peut-être de la chance, après de longs errements, de tomber sur des âmes charitables qui lui ont tendu les bras. Qu'en sera-t-il des autres enfants qui, eux, subissent encore l'avilissement et qui n'osent ni ne peuvent parler ni fuir ? Que deviendraient-ils lorsqu'ils auront atteint l'âge adulte et qu'ils n'auront jamais connu l'affection, la chaleur d'un foyer et encore moins les valeurs morales ? Il serait grand temps que la société ouvre les yeux sur cette frange sociale et sur le sort qui est réservé à cette enfance en détresse.