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« La France agira pour un partenariat efficace en matière de lutte contre le terrorisme » Jean-Marie Bockel. Secrétaire d'etat à la Défense et aux Anciens combattants
Votre déplacement à Alger intervient dans un contexte bien particulier, l'Algérie vient de célébrer le 64e anniversaire des massacres du 8 Mai 1945 et la France refuse toujours de reconnaître les crimes commis en Algérie, y a-t-il une avancée, de votre part, sur ces questions de mémoire qui empoisonnent encore les rapports entre les deux pays ? Les liens particuliers qui unissent nos deux pays sont forts. Comme je compte l'évoquer à Alger, à l'occasion de l'inauguration des nouveaux locaux du Service des anciens combattants d'Alger, les actions menées en direction du monde combattant algérien participent de la solidarité, de la reconnaissance et de la réparation préservées. Concernant plus précisément l'objet de votre question, le discours de l'ambassadeur de France en Algérie, à Guelma, en avril 2008, sur les événements du Nord Constantinois, a clairement condamné les massacres commis et reconnu la responsabilité de l'Etat français. Devant les étudiants de l'université Mentouri, à Constantine, lors de sa dernière visite en Algérie, en décembre 2007, le président de la République, Nicolas Sarkozy, a, au plus haut niveau de l'Etat, reconnu les fautes et les crimes du passé comme les injustices que pendant plus de cent ans le système colonial avait infligés au peuple algérien. Ceci étant, beaucoup de ceux qui étaient venus vivre en Algérie étaient de bonne volonté et agissaient de bonne foi, sans l'intention de participer à un système d'asservissement et d'exploitation, et ont partagé le quotidien des Algériens. Il convient aussi de rappeler notre volonté de dialogue constructif bâti sur une connaissance assumée de nos histoires, si fortement imbriquées, dans leurs convergences comme dans leurs diversités, que je compte rappeler, durant mon passage en Algérie. J'en veux pour preuve l'ouverture des archives du Service historique de l'armée de terre ou encore la remise par la France des plans de pose des mines sur les lignes Challe et Morice en octobre 2007. En outre, après la signature en mars de cette année d'un accord de coopération entre les Archives de France et les Archives nationales d'Algérie, j'ai demandé à ce que que le contrôleur général des armées, en charge des archives et du patrimoine du ministère de la Défense, signe le même type d'accord avec le directeur général, Abdelmadjid Chikhi, conformément au souhait de celui-ci. La Fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie, en chantier depuis la loi de 2005 et qui devrait voir le jour en 2009, comme l'a annoncé, le 25 septembre 2008, le Premier ministre, François Fillon, jouera également un rôle que je souhaite constructif en étant ouverte aux historiens des deux rives, français et algériens. J'escompte qu'elle permettra une confrontation et un rapprochement des points de vue, en direction d'une vision enfin réellement partagée de l'histoire, même si je ne me fais pas d'illusion sur l'importance du chemin à parcourir et sur le temps que tout cela prendra. Le chef de l'Etat avait également considéré, à juste titre à Constantine, « qu'il ne fallait pas nier le passé, mais penser à l'avenir ». Travaillons ensemble à la consolidation de nos liens de solidarité et de nos intérêts partagés qui, chacun en convient, sont immenses. Ce qui nous lie est bien plus considérable que ce qui nous sépare, car nous sommes encore davantage liés par l'avenir que par le passé. La France prévoit d'indemniser les victimes algériennes de ses essais nucléaires à Réggane. Mais beaucoup considèrent que ce n'est là qu'un petit pas de la part de votre pays vers la reconnaissance des crimes commis contre les Algériens. Peut-on s'attendre à d'autres évolutions ? De possibles évolutions pourraient découler d'un projet de loi, annoncé par le ministre de la Défense, Hervé Morin, en novembre 2008, et inscrit à l'ordre du jour du Parlement en 2009. Ce texte, qui concerne la totalité des victimes des essais nucléaires français, sans discrimination aucune, n'exclut pas la question des populations algériennes. Même si je ne peux vous en confirmer définitivement l'issue, s'agissant d'un projet de loi qui doit être examiné et voté en termes identiques par les deux chambres du Parlement. Mais mon sentiment est que la question de l'indemnisation des Algériens sera rapidement traitée. Comme M. Morin, ministre de la Défense, l'a indiqué, le principe d'un droit à l'indemnisation des victimes qui ont été exposées lors des essais est désormais posé. Nous devons reconnaître aujourd'hui les victimes, toutes les victimes. A la demande de l'Algérie, l'AIEA a effectué en 1999 une étude sur la situation radiologique au Sahara, à laquelle la France a apporté son concours. Par ailleurs, les autorités françaises ont publié un fascicule qui fait le point sur les essais dans le Sahara, document remis aux autorités algériennes et mis en ligne sur le site de notre ambassade à Alger. L'Etat français reconnaît que les essais nucléaires effectués dans le Sahara algérien puis en Polynésie entre 1960 et 1996 avaient eu une incidence sur la santé des militaires et des populations civiles. Nous avons arrêté une liste de maladies liées aux effets de la radioactivité. Nous allons donc introduire dans le décret d'application un seuil d'exposition à partir duquel les demandes d'indemnisation seront prises en compte. Si le texte est voté nous accorderons des indemnisations. Où en est aujourd'hui la coopération militaire entre les deux pays, sachant qu'elle se fait en réalité dans plusieurs cadres, le premier concerne les échanges bilatéraux et le deuxième, plus large, celui des 5+5, qui a pour objectif la sécurisation de la Méditerranée occidentale et la lutte contre le terrorisme et le trafic de drogue ? C'est précisément au niveau de la défense que cette coopération se doit d'être « un modèle et un exemple », comme l'a indiqué le Premier ministre, François Fillon, en juin dernier. S'agissant de la coopération, les choses ont significativement évolué depuis la visite du président de la République en décembre 2007. Un nouvel accord de coopération en matière de défense a été signé en juin 2008 en remplacement de celui de 1967, et la première commission mixte défense franco-algérienne s'est tenue à Alger en janvier 2009. La plupart des hautes autorités militaires françaises sont venues à Alger en 2007 et 2008, permettant d'instaurer ainsi un véritable dialogue au plus haut niveau. Nous avons de nouveaux projets communs et ambitieux, notamment dans le domaine de la santé militaire. Notre coopération bilatérale est donc en croissance constante et elle comprend des actions de formation en milieu militaire et en milieu civil, l'enseignement du français dans les écoles préparatoires militaires algériennes, des échanges techniques et des activités opérationnelles. A ce titre, il faut évoquer l'exercice naval bilatéral annuel « Raïs Hamidou » et son équivalent « El Med » organisé par l'Algérie dans le cadre du « 5+5 Défense » en 2008. Cette activité navale s'inscrit dans le cadre des actions menées pour la sécurisation de la Méditerranée et elle permet d'améliorer l'interopérabilité de nos forces respectives. La France a aussi appuyé la création à Alger du Centre africain d'études et de recherche sur le terrorisme (Caert), en même temps que le « Plan d'action d'Alger » de l'Union africaine, qui doit permettre d'agir en faveur de la prévention et de la lutte contre le terrorisme. Elle continuera à agir concrètement pour un partenariat autant exemplaire qu'efficace en matière de lutte contre ce fléau. Les défis de sécurité partagée (terrorisme, trafic de drogue et autres) se posent avec acuité dans la région du Sahel. Où se situe votre intérêt stratégique par rapport à la vision américaine, tout en tenant compte du projet français de réintégrer l'Otan ? Si la France a choisi de reprendre toute sa place au sein de l'Alliance, c'est avant tout pour faire progresser l'Otan et l'UE, deux organisations complémentaires, que l'on souhaite voir contribuer conjointement à la stabilité dans le monde. Le « plein retour » de la France dans le commandement militaire intégré de l'Otan nécessite, par ailleurs, un dialogue constant et approfondi avec les pays du pourtour méditerranéen, à qui la France doit savoir expliquer qu'il ne s'agit nullement d'une rupture et encore moins d'un « alignement » sur la politique de Washington. L'Otan développe d'ailleurs déjà des relations avec de nombreux pays du Maghreb, du Machrek et du Moyen-Orient, contribuant ainsi à la sécurité et la stabilité de ces régions au travers d'un cadre formel multilatéral, que la France soutient activement. Il s'agit du Dialogue méditerranéen (DM) dont la lutte contre le terrorisme constitue l'axe prioritaire de cet effort. Néanmoins, comme vous l'avez mentionné précédemment, la France s'est engagée avec détermination dans d'autres espaces de dialogue et de coopération. La coprésidence franco-égyptienne de l'Union pour la Méditerranée ainsi que le Dialogue « 5+5 », notamment en matière de défense, nous liant à neuf autres pays du bassin occidental sont, en effet, des atouts supplémentaires pour mieux expliquer la « plus-value » qu'apporterait l'Otan aux pays de la rive sud. Tous ces éléments semblent ainsi légitimer le concept de « sécurisation du développement », propre à rappeler qu'il existe de part et d'autre du bassin méditerranéen de nombreux facteurs communs d'insécurité. C'est notamment grâce à la complémentarité de ces partenariats noués entre riverains de la Méditerranée dont la vocation est de créer un nouveau climat stratégique, caractérisée par le dialogue, que l'on pourra faire face aux défis communs auxquels ont à faire face les citoyens méditerranéens que vous évoquiez. Qu'il s'agisse du développement asymétrique des économies, occasionnant frustrations, fragilisation des Etats et revendications quant à l'égale répartition des richesses au sein de l'espace méditerranéen, des menaces environnementales, à l'instar, en effet, de graves menaces de déstabilisation dans l'immense région du Sahel, de la multiplication des trafics illicites, de la menace du terrorisme, de la sécurité des approvisionnements énergétiques et la raréfaction des énergies fossiles et enfin, tout simplement, l'insécurité alimentaire, qui constitue, hélas, encore au XXIe siècle, un grave fléau. Ces facteurs « crisogènes » peuvent entraîner, en effet, instabilité politique et appauvrissement des sociétés encore largement rurales, créant ainsi les conditions du développement de flux migratoires incontrôlés, tant à l'intérieur de l'Afrique, que du sud vers le nord de la Méditerranée. Bref, ces dénominateurs communs, face à des inquiétudes partagées, doivent permettre de proposer un « Objectif global de sécurité » pour la Méditerranée que nombre de Méditerranéens appellent ardemment de leurs vœux. Toutes ces ambitions ne demandent qu'à se reconstruire sur des bases de développement équitablement réparties et des solidarités concrètes et partagées. Elles justifient, en outre, la prise de conscience quant à l'importance de la région méditerranéenne, carrefour, plutôt que ligne de fracture, entre peuples, cultures, langues et traditions. Après l'embargo imposé à l'Algérie sur les armes durant des années, comment jugez-vous cette question aujourd'hui ? Il existait beaucoup d'incertitudes à cette époque qui nous avaient effectivement amenés à rester vigilants dans ce domaine. Mais la situation a bien évolué depuis. Lors de sa dernière visite en décembre 2007, Nicolas Sarkozy a assuré le président algérien de son entier soutien en ce qui concerne les projets d'équipement pour permettre à l'armée algérienne de maintenir son rang. Nous avons donc désormais une position ouverte concernant l'établissement de partenariats avec l'Algérie, portant non seulement sur l'acquisition de matériels, mais aussi et surtout un véritable transfert de nos technologies et la formation. Je vous assure que tous les industriels français ont bien pris en compte cette dimension et que toutes les négociations en cours dans ce domaine axent leurs efforts sur ce volet. Beaucoup d'anciens combattants algériens pensent qu'ils n'ont pas eu droit aux égards qu'ils méritaient. Seriez-vous prêts à prendre en considération leurs doléances, notamment la revalorisation de leurs pensions de retraite ? Sur les 150 000 soldats algériens, qui ont participé durant la Seconde Guerre mondiale à la victoire sur le nazisme, 15 000 vivent encore en Algérie. Ils ont pris une part essentielle dans les campagnes de Tunisie, d'Italie, lors du débarquement de Provence ou encore en Alsace, contribuant à libérer Mulhouse (ndlr : ville dont Jean-Marie Bockel est maire). Par la suite, de nombreux Algériens se sont engagés en Indochine. La France sait ce qu'elle doit aux Algériens qui ont combattu à ses côtés pour la reconquête de la liberté. Il convient d'en honorer dignement la mémoire, d'agir pour qu'elle ne s'éteigne pas et permettre aux anciens combattants et à leurs ayants droit de percevoir, en retour, les droits qu'ils méritent. Le service des anciens combattants en Algérie, que je vais effectivement inaugurer, permet désormais de proposer des consultations et conseils d'ordre administratif, social et médical qui étaient interrompus depuis 1994. L'on peut ainsi désormais, à Alger, déposer une demande de carte de combattant ou de pension militaire d'invalidité, obtenir une aide des fonds sociaux de l'ONAC (Office national des anciens combattants, en cours de réforme, en en faisant l'opérateur unique du monde combattant, ndlr) ou encore bénéficier des soins médicaux gratuits. J'ai d'ores et déjà eu l'occasion de constater que la Convention signée avec l'Office algérien de l'appareillage de personnes handicapées permet un suivi qu'assure avec efficacité le nouveau service des anciens combattants. Ce dernier est d'ailleurs présent non seulement à Alger, mais existe aussi – de manière délocalisée – auprès des consulats d'Oran et de Annaba. Bien évidemment, la décision de la France de décristaliser la retraite du combattant et les pensions militaires d'invalidité a eu des effets concrets en Algérie, puisque ces retraites ainsi que les pensions militaires d'invalidité ont été multipliées par huit et portées à 52 millions d'euros par an, environ.