D'une vocation agropastorale à un destin envié de capitale de l'électronique domestique, il n'aura fallu qu'une vingtaine d'années à la ville de Bordj Bou Arréridj pour changer de statut. Des troupeaux de moutons aux écrans LCD dernière génération, quel est donc le processus qui a conduit à ce changement étonnant ? C'est ce que nous avons voulu comprendre en faisant le tour de quelques fleurons d'une industrie en plein essor. Première halte, le siège de la société Condor où le PDG, Abderrahmane Benhamadi, nous reçoit fort aimablement avant de nous orienter vers Cherif Alioui, l'assistant en management du groupe. Le parcours de la famille Benhamadi, propriétaire de la marque Condor, est symptomatique de cette ascension qui a mené des entrepreneurs de l'étape du commerce à celle de l'industrie. Bordj Bou Arréridj. De notre envoyé spécial Tout a commencé au début des années 1990, lorsque l'Etat s'est enfin décidé à abandonner le monopole d'importation sur les biens d'équipements. Des hommes d'affaires de la région se sont mis à importer à tour de bras de l'électronique et de l'électroménager. La phase suivante a lieu quelques années plus tard. Plutôt que de continuer à importer par bateaux entiers ces mêmes marchandises, les entrepreneurs, qui entre-temps se sont constitué de solides bas de laine, ont choisi de signer des conventions de partenariat avec les marques qu'ils représentaient jusque-là. Des usines d'assemblage de produits semi-finis ont été montées dans cette deuxième capitale des Hauts-Plateaux, carrefour d'échanges commerciaux depuis des lustres. De l'importation de produits manufacturés, on est donc passé au montage de biens de consommation, tels que les téléviseurs, réfrigérateurs, cuisinières, climatiseurs, récepteurs satellite et autres gadgets dont la société algérienne, en pleine mutation sociologique et économique, est devenue vorace. Du commerce vers le partenariat A Bordj Bou Arréridj, la réussite de quelques pionniers a créé une dynamique qui a eu un effet d'entraînement dont toute la région a bénéficié en matière de création d'emplois et de richesses. Le marché, en plein boom, n'est pourtant pas aussi stable qu'il n'y paraît. Des unions avec des partenaires étrangers qui promettaient beaucoup d'écrans ont fini en divorces à l'amiable et en remariages. A la société UPAC Electronics où nous nous sommes rendus, on est passé d'un partenariat avec Samsung, le géant coréen, en 1999, à un autre avec TLC, une société chinoise en 2006. Propriété du groupe Allab, cette société est également passée du commerce au partenariat avec des usines de montage qui produisent essentiellement de l'électroménager grand public. Le défi qui se pose à présent à ces sociétés est celui de l'intégration et du développement. Ce souci nous l'avons bien ressenti chez Rachid Bouchama, PDG du groupe Cristor, ex-Ababbou Electroniques et pionnier du secteur de l'électronique à Bordj Bou Arréridj. « Nous sommes la première entreprise dans le domaine qui a développé ses propres produits et fabriqué le premier récepteur satellite en Afrique et au Moyen-Orient. Nous avons également initié la première action de montage dans la région avec une intégration progressive pour les téléviseurs », dit-il pour expliquer cette politique d'une intégration progressive de ses produits qui a toujours animé le groupe. M. Bouchama nous reçoit dans une immense usine qui sent encore la peinture fraîche et où les ouvriers s'affairent à produire les premiers réfrigérateurs et congélateurs aux normes CE et, surtout, au développement 100% algérien. Le complexe, qui s'étend sur une assiette foncière de 5 hectares, a été inauguré cette semaine sans tambour ni trompette. Les équipements sont ultramodernes et les produits sont conçus et fabriqués par l'entreprise. « Les gens sont étonnés d'apprendre que l'on fait dans le soft », dit M. Bouchama. Pour en arriver là, notre manager nous avoue qu'il a fallu tout de même beaucoup de sacrifices. « Nous avons commencé en 1997 avant de devenir une véritable locomotive dans ce secteur. Il a fallu tout créer et relever des défis au quotidien. A l'époque, cela était audacieux d'investir à un moment où les gens avaient peur même d'ouvrir un magasin », dit encore cet ex-partenaire du géant Philips qui a fini par développer son propre label. « Nous nous sommes imposés par notre travail, mais il faut dire que ce n'est pas facile de faire de l'industrie dans ce pays », lâche-t-il. Aujourd'hui, le groupe Cristor emploie plus de 400 personnes et exporte ses produits dans plusieurs régions du monde, y compris en Europe pour les récepteurs satellite. Gamme TV, gamme réfrigérateurs, DVIX, chauffage, climatisation, Cristor a lancé un développement tous azimuts de ses produits. Une concurrence féroce et pas toujours loyale Pourtant, derrière le sourire de rigueur des managers et des commerciaux se cache une concurrence féroce. Les enseignes se livrent à une guerre sans merci pour arracher des parts de marché. Tout le monde se connaît et gare à celui qui va avoir une promotion sur le dernier-né des produits, un show-room, une foire commerciale, une campagne de pub ou une exposition de retard sur les autres. C'est surtout la course pour avoir le réseau de revendeurs agréés le plus étoffé et il faut lâcher plus de lest que son voisin pour arracher plus de conventions avec les partenaires sociaux. Les services des œuvres sociales des grandes entreprises et des administrations viennent tous négocier des conventions. « Il y a une concurrence déloyale dans ce secteur et à laquelle on ne peut pas toujours faire face », dit le PDG de Cristor. « C'est un vrai bazar, un souk ! », dit Ameur Salah, chargé du service marketing et communication chez UPAC/TCL. « On a renversé le cours de ce qui se fait ailleurs : on produit puis on court derrière le consommateur », ajoute-t-il. A demi-mot, il nous confie que même la certification ISO peut s'obtenir par complaisance chez des industriels que n'étouffent pas les scrupules. Problème de fond ou simple incident de parcours, le temps finira sans doute par le dire et accélérer la décantation entre une poignée de flibustiers qui surfent sur la vague en tentant de faire un maximum de profits et les vrais capitaines d'industrie. En tout cas, la présence de plusieurs entreprises de poids dans la région crée l'émulation et pousse à l'innovation pour sortir du lot. Certaines entreprises envisagent d'ores et déjà des partenariats avec l'université qui pourrait développer des filières spécifiques à même de répondre à leurs besoins tout en fournissant la future élite qui doit assurer le développement du secteur de l'électronique. Geant, Cobra, Cristor, Condor, Midea, les noms sont à consonance étrangère, mais les produits s'algérianisent assez rapidement. A l'image de son équipe de foot qui a émergé ses dernières années et qui vient de jouer sa première finale de la coupe d'Algérie mais qui l'a perdue avec les honneurs, Bordj Bou Arréridj fait parler de lui. Il joue désormais dans la cour des grands.