La 7e édition des Rencontres cinématographiques de Béjaïa, qui devait se clôturer hier en soirée, est sans doute l'une des plus relevées et des plus riches qu'à eu à organiser l'association Project'heurts depuis son lancement. Des débats passionnés, de beaux films et des participants pour la plupart engagés dans une dynamique de production…autant d'éléments qui confèrent un sacré relief au rendez-vous. La projection, jeudi dernier en soirée, de Gabla (Inland) de Tarik Teguia, long métrage reçu unanimement comme un événement cinématographique par la critique, a été l'autre moment fort du festival. Gabla, un film hautement troublant, qui s'adresse au sens, qui invente une autre syntaxe du cinéma, une esthétique à la fois audacieuse et tourmentée de l'image. Teguia, dans la suite de Roma ouala ntouma (Rome plutôt que vous), filme une Algérie où continuent encore à se construire et se déconstruire les ruines, l'espace catastrophé autant que le sont les traits des personnages évoluant comme des ombres écrasées, nanifiées par l'anxieux bourdonnement de l'univers algérien. Teguia, au-delà du colossal travail sur la forme, explique qu'il a construit son film selon des « lignes » qui se croisent, forment un faisceau autour de l'idée de montrer une Algérie d'après la terreur. La mort est passée par là, relatée en bribes par les rares propos de personnages, qui errent tenaillés par l'omniprésente conscience de l'insignifiance de l'individu dans le mouvement transversal du désastre collectif. Violence immanente de la misère et de la déchéance, mais aussi quête ahanante d'âmes efflanquées cherchant des « lignes de fuites » possibles, d'accomplissement à l'image du personnage principal réduit à une sorte d'hébétude existentielle, jusqu'au moment où s'offre à lui la possibilité d'une échappée un peu épique pour sauver de la disparition une migrante africaine, elle-même revenue de ses illusions d'un ailleurs meilleur. En fait, le film de Teguia rend caduque toute approche « classique » de lecture, tant le personnage est figurant, le scénario juste une feuille de route qui se laisse orienter ou désorienter par le rythme du réel. Farouk Belloufa, l'homme qui a réalisé Nahla ( Algérie, 1979), salue en le film une œuvre qui refuse tout ce qui a été codifié, enseigné, imposé comme principes intangibles du cinéma. Un film à voir et à revoir pour ceux qui n'oublient pas que le cinéma n'est pas seulement un rendez-vous avec la narration d'une histoire qui commence et qui finit, mais aussi et peut-être surtout celui de l'émotion à vif. Ce ton et cette quête de renouveau ont été ressentis tout au long des Rencontres de Béjaïa, où l'on a ainsi discuté du cinéma algérien loin de la démagogie qui célèbre dans la facile commodité du mythe, l'authenticité supposée d'un cinéma algérien, ou d'un cinéma en Algérie qui reste de toute façon à faire. Loin des généralités et des débats théoriques, les participants ont eu, par ailleurs, à discuter de la direction d'acteurs, de la formation et des moyens de mettre en place des cadres, même occasionnels, de perfectionnement. Autant de contenus qui confirment le rendez-vous de Béjaïa comme l'un des plus dynamiques et les plus profitables au cinéma dans le pays.