Ason troisième jour, le procès de Achour Abderrahmane au tribunal criminel d'Alger a commencé à livrer les secrets d'une dilapidation organisée des fonds de la BNA durant quatre longues années. Lors des auditions de jeudi dernier, chacun des responsables de la banque rejetait la responsabilité sur l'autre, mais tous reconnaissent que les chèques sans provision encaissés aux noms des sociétés de Achour étaient volontairement dissimulés. Vers 9h30, le président appelle à la barre Ali Boughernout, chef de section à l'agence BNA de Koléa, dont Achour est le neveu. Il rejette d'emblée les accusations d'association de malfaiteurs et de dilapidation de deniers bancaires portées contre lui. Le juge lui rappelle ses déclarations devant le juge, en présence de ses avocats, notamment à propos des privilèges accordés à Achour Abderrahmane. « Nous nous comportons avec tous les clients de la même manière », précise-t-il. Mais le président lui demande pourquoi Achour venait-il accompagné soit de Amari Mohamed (directeur du réseau d'exploitation) ou de Dahmani Ahmed, le régional de Koléa. L'accusé nie tout, y compris le fait d'être au courant que Aïnouche, client de la banque, soit l'associé de Achour, son neveu. « Expliquez-nous comment Achour a ouvert un compte pour sa société Diprom en versant 20 000 DA et, quatre jours plus tard, il encaisse un chèque de 90 millions de dinars ? », demande le magistrat. Et Boughernout de répondre : « Je n'étais pas au courant. » Le magistrat l'interroge alors sur les chèques qu'il a libérés au profit de Achour sans attendre l'avis de sort. « Je l'ai fait sur ordre du directeur. Je ne fais rien sans ses instructions », lance l'accusé, qui rejette tout sur son responsable. Le procureur général l'interroge sur Aïnouche, puis sur les frères Settouf, associés et beaux-frères de Achour. Boughernout affirme : « Je les connais comme clients de la banque (…) pas plus. » Le procureur lui rappelle que devant le juge d'instruction, il avait révélé que c'est Settouf Baghdad qui ramenait les chèques. L'accusé rétorque : « Ils ont dit, mais pas moi... » Le procureur général : « Vous l'avez dit au juge devant vos avocats. » L'accusé : « Je ne me rappelle pas. » Boughernout laisse la barre à Kherroubi Lakous, sous-directeur puis directeur de l'agence de Cherchell. Lui aussi réfute toutes les accusations. Le juge l'interroge sur le compte ouvert par Aïnouche au nom de la société Mamouna. L'accusé ne cesse de répéter qu'il a connu ce dernier comme client, en reconnaissant que les chèques qu'il encaissait étaient en situation de suspens, c'est-à-dire sans avis de sort. « Avez-vous informé votre responsable sur le fait que les chèques étaient sans provision ? », lui demande le juge. L'accusé : « Oui, je l'ai alerté, mais à chaque fois, il me disait que c'est un client solvable. J'ai encore insisté en disant que ces chèques sont à l'encaissement et lui m'a lancé ‘c'est normal'. » Le magistrat : « Non, il vous disait que si on touchait à ce client on aurait des problème. » Le juge rappelle à l'accusé ce qu'il avait dit lors de l'instruction. « Vous avez déclaré avoir fait passer des chèques de montants dépassant les milliards de centimes et le directeur tentait de vous convaincre du fait que Aïnouche était l'un des plus importants clients, ajoutant que Aïnouche avait le soutien total du directeur… » L'accusé ne dit rien. Le magistrat lui demande pourquoi a-t-il fermé le compte de Mamouna. « Il était débiteur », répond-il. Le juge : « Avez-vous informé l'agence de Bouzaréah ? » L'accusé : « Bien sûr. » Le magistrat appelle Mezeghrani Akila, l'intérimaire du directeur de l'agence de Bouzaréah, pour lui demander de confirmer ou non. Elle dément avoir reçu une quelconque décision. L'accusé répète plusieurs fois qu'il a alerté son directeur sur les chèques sans provision payés à Achour et il lui répondait qu'il va les régler. « Mais Achour a toujours répondu à ses obligations le jour même de son interpellation, en créditant son compte. » Il rappelle que plusieurs inspections, dont une de 7 membres, ont contrôlé l'agence et n'ont rien trouvé. Le juge lui demande pourquoi il ne répondait pas aux fax transmis par Bouzaréah pour s'enquérir des avis de sort sans réponse. L'accusé dément et la directrice de l'agence par intérim conteste. « Les opérations étaient dissimulées » L'ancien PDG de la BNA, Mourad Chikhi, accusé d'organisation et d'appartenance à association de malfaiteurs, rejette toutes les accusations et tente d'expliquer ses missions, mais surtout toutes les mesures qu'il avait prises pour « combler les lacunes qui affectaient surtout les comptes de liaison siège et les écritures en suspens ». Le magistrat lui rappelle que malgré cela, « 21 milliards de dinars ont été dilapidés ». « Je ne pouvais pas le savoir », dit-il avant de qualifier la situation d'« anarchie catastrophique ». Le juge : « Votre mission est de veiller à la bonne gestion et à la préservation de l'argent de la banque. » L'accusé : « Il y a des instruments de contrôle qui veillent au contrôle. Mais j'ai pris des mesures pour renforcer ces instruments, décidé d'un audit de la comptabilité, de limiter les délais de transmission entre l'agence et la centrale… » Le magistrat lance : « Le problème est dans l'absence de contrôle. Tous les instruments que vous avez mis en place n'ont pas vu partir 21 milliards de dinars… » L'ancien PDG déclare : « En fait, aucun contrôle ne l'aurait arrêté, parce que les opérations étaient dissimulées. » Le magistrat insiste sur le contrôle, mais l'accusé affirma qu'il ne pouvait personnellement contrôler l'ensemble des agences. « Vous avez une armada d'inspecteurs, que font-ils. » L'accusé : « J'ai justement demandé le renforcement du contrôle des écritures en suspens et d'ailleurs le rapport de 2005 n'a pas fait ressortir ces opérations. » Le procureur général lui demande de quel compte les chèques sans provision étaient débités et le PDG répond : « Le compte de la banque. » Il revient sur les mesures prises pour améliorer la gestion à travers le renforcement du système d'information et éviter ainsi le problème des chèques de cavalerie mais aussi amoindrir les risques opérationnels. Pour appuyer ses propos, il révèle que les montants des comptes de la BNA sont passés de 350 milliards de dinars en 2001 à 430 milliards de dinars en 2002, à 600 milliards de dinars en 2003 et à 800 milliards de dinars en 2005, sommes qu'il a laissées après son départ. Certains avocats interrogent l'accusé sur le trou de 40 milliards de dinars révélé dans un rapport en 2003. L'ancien PDG dément et précise qu'il ne s'agit pas d'un trou mais plutôt d'une discordance entre la comptabilité et les agences et dont le montant est très loin de celui avancé. « C'est le système d'information qui engendrait des dysfonctionnements. C'est d'ailleurs pour cela que nous avons décidé d'une expertise externe », dit-il. L'inspecteur général, Mohamed Nedir, abonde dans le même sens et commence par expliquer ses missions avant d'être interrompu par le juge qui lui demande : « Comment avoir autorisé l'ouverture de comptes à Achour alors qu'en 2001, il avait un contentieux avec l'agence de Aïn Benian où son compte a été bloqué à la suite d'une plainte ? Il a été condamné et ses biens saisis… » L'accusé : « Nous ne pouvions pas savoir ce qui se passait parce que toutes ces opérations étaient mises en veille entre les agences de Bouzaréah et de Cherchell. Les chèques faisaient des allers-retours sans aucune mention et les anciens étaient remplacés par des nouveaux. Les avis de sort ne se transmettaient pas conformément à la procédure. Ce qui est totalement illégal. » Il explique que le contrôle, en pareil cas, s'avère inutile si les concernés ne disent pas ce qu'ils n'ont pas fait ou fait. « Les chèques impayés doivent être accompagnés sinon ils n'apparaissent pas comme impayés et c'était le cas. Les chèques revenaient sans la mention impayé, c'est-à-dire pour encaissement »,relève-t-il avant de conclure : « Il y a eu dissimulation de pièces comptables entre les agences. » « Le système d'information est dépassé et plus que périmé » Pour lui, les premiers responsables de cette situation sont les directeurs des agences et le directeur régional. Interrogé sur l'agence d'où l'argent sortait en espèces, il répond : « De Koléa et Bouzaréah. » L'accusé dément avoir orienté ou fait pression sur le régional de Blida, Regabi, lors de la mission de contrôle qui a visé en 2004 deux sociétés de Achour. Il affirme que toutes les missions de contrôle n'ont rien décelé et a déclaré la gestion des agences parfaite. Pour lui, il était impossible de vérifier le compte où étaient logées les opérations de liaison siège. « S'il n'y avait pas la lettre anonyme, est-ce que cette affaire aurait été découverte ? », lui demande le procureur général. L'accusé : « Non, jamais. Il y avait une manipulation de pièces comptables entre Bouzaréah et Cherchell et une collusion de personnes telles que Achour, Aïnouche et les directeurs des agences. » Les trois commissaires aux comptes de la BNA, Abded Abdelmadjid, Boukort Larbi, Kerkbane Mohamed, et l'expert-comptable, Chafi Salah, se sont succédé à la barre et déclarent tous avoir procédé à des opérations de contrôle des agences sans pour autant déceler ces opérations. Boukort estime néanmoins avoir constaté que les mesures et instructions de contrôle n'étaient pas appliquées parce qu'il y avait un problème de compétence au sein de la banque, mais aussi le fait que le système d'information ne répondait pas aux besoins, ou plutôt était totalement dépassé et plus que périmé. « Il y a une dualité entre le système delta en agence et le système de la centrale », souligne l'accusé en lâchant : « Dans cette affaire, il y a eu négligence et incompétence. » L'accusé Kerkbane parle plutôt d'insuffisances constatées au niveau des agences. Le juge : « 21 milliards de dinars sont partis, que s'est-il passé ? » L'accusé : « Je ne sais pas. » L'accusé Chaffi Salah, expert-comptable, déclare avoir effectué un contrôle en deux de l'agence de Bouzaréah. « J'ai trouvé un caissier qui avait pris 3 millions en devises et le directeur en congé et j'ai écrit dans mon rapport que l'agence est devenue ‘dar Khali Moh' (la maison de mon oncle). L'absence de contrôle dans les agences primaires était criarde. Entre 2000 et 2004, c'était le tour de Cherchell et l'enquête n'a rien décelé. Lorsque les chèques sont cachés, c'est-à-dire en circulation, on ne les voyait pas. » L'avocat de la partie civile, Me Chaoui, lui demande comment n'a-t-il pas trouvé les 1956 chèques sans provision encaissés. « Je ne sais pas », répondit-il. En fin de journée, le tribunal entend un commerçant, Klii Bachir, associé dans une société de Achour (une imprimerie), qui était déclaré en fuite avant qu'il ne se livre le jour même du procès. Il dit n'avoir jamais reçu de convocation durant toutes les étapes de la procédure, y compris pour le procès. Il nie toute implication avec les chèques sans provision établis au nom de la société dont il est le gérant et encaissés à la 454 de Cherchell. Des chèques entre l'imprimerie et National A+ qui fait de la réalisation de routes et d'aéroports. « Que peut avoir comme relation l'imprimerie avec cette société ou Mamouna ? », lui demande le procureur général. « Je ne suis pas au courant. Moi j'ai clôturé le compte de la société 8 mois après son ouverture. » L'audience a été levée vers 18h30 et reprendra aujourd'hui. Le président a refusé aux avocats de les libérer pour aller voir le match et a décidé que les audiences se dérouleront dans la journée, du samedi au jeudi.