La vie au village demeure extrêmement rudimentaire, si bien que même les traces de l'acte dévastateur colonial y sont toujours tenaces. Plusieurs vestiges portent encore des impacts d'obus et de l'artillerie de l'armée coloniale. L'homme ayant déserté les lieux, seules des chaumières, des maisons en terre et quelques frênes narguent le temps, tentant d'apporter leur témoignage aux générations actuelles et futures : témoignage d'un passé douloureux, fait de terreur, d'indigence et de pandémies ravageuses. Chemin faisant, un vieil homme arc-bouté sur le dos de son âne nous intercepta pour savoir les raisons de notre randonnée dans ce véritable no man's land, où Dame nature nous a, néanmoins, chaleureusement accueilli avec ses eaux limpides, coulant à flot et avec sa végétation luxuriante faite de pins, de maquis et de frênes où l'oxygène pur nous ravive, loin du brouhaha de la ville. «Vous savez, mon fils, les habitants de Thadarth (village) ont quitté, la mort dans l'âme, ces lieux édéniques pendant la guerre de Libération, sous les coups de boutoirs de la soldatesque coloniale. Cela répondait à une stratégie militaire ayant pour but de rompre le cordon ombilical reliant la révolution au petit peuple», explique-t-il, tout en se démenant pour reprendre le souffle, avant de poursuivre, en homme viscéralement attaché à son lieu de naissance, où il dut vivre les plus tendres moments de son enfance : «Dans sa politique de la terre brûlée, l'armée coloniale savait qu'il fallait isoler et encercler les populations dans des camps de concentration, les entourer de barbelés et les surveiller à travers des guérites, pour ne plus permettre qu'il y ait de bases logistiques aux maquisards, qui y trouvaient nourriture, soins et gîte». Quelques centaines de mètres après cette furtive halte, on arrive, après un passage obligé entre des maisons faites de pierres, qui se confondent avec des falaises et une verdure luxuriante, au mythique et vénérable lieu saint de Lalla Khedidja. En cette journée brumeuse et fraîche faite de chants d'oiseaux et du ruissellement de l'eau qui se fait entendre en sourdine, on arrive à la magnifique maison de Lalla Khedidja. Là, la vénérable dame semble veiller sur toute la vallée que surplombe l'imposant relief du Djurdjura. Les ascendants, raconte-t-on, visitaient ces lieux perchés tel un mausolée pour y demander la baraka et implorer Dieu. Mais, grande fut notre surprise lorsque nous nous sommes rendus compte que les lieux sont déserts et la maison séculaire faisant jadis office d'un lieu de rencontre conviviale et une sorte de confrérie spirituelle, n'est plus qu'un simple vestige. Nous croisons une vieille dame en compagnie de son fils. Ils s'affairent à transporter de l'eau sur le dos d'un mulet pour arroser leurs figuiers, non loin de la maison vénérée de Lalla Khedidja. La femme témoigne: «C'est fini le bon vieux temps mon fils. Ce lieu de prédilection de nos aïeux, qui y séjournaient pour des missions de bienfaisance et pour y faire des prières, est aujourd'hui abandonné. Et cela conséquemment aux menaces des fous de Dieu, pour qui ce genre de pratiques sont contraires aux préceptes de l'islam et relèvent plutôt de la bidâa», commente-t-elle avec consternation, avant d'enchaîner : «Aujourd'hui, personne n'est venu réhabiliter ces lieux de culte qui incarnent et préservent la mémoire collective. Les jeunes aujourd'hui ne viennent pas travailler ces vergers qui dépérissent au fur et à mesure que l'ancienne génération s'éclipse et… dire que la sécurité est relativement revenue même si les lieux sentent encore l'odeur de la mort». Non loin de cette bourgade d'Ivelvaren où la verdure et le calme quasi religieux sont les maîtres des lieux, on s'arrêtera pour se rafraîchir de l'eau limpide et minérale de Thala Nbouhrev. Une fontaine jaillissante des profondeurs de la montagne qui faisait jadis office en plus, d'un moyen d'approvisionnement en eau potable, aussi une source d'irrigation inépuisable pour les paysans qui cultivaient avec amour leurs lopins de terres. «Ici, à la faveur de l'exode de l'homme, les singes n'hésitent pas à venir s'y rafraîchir et se permettre le luxe de goûter aux fruits à l'image des figues, cerises, pommes, mais non sans causer des dégâts aux branches d'arbres fruitiers, et les épouvantails sont souvent peu dissuasifs pour ces bipèdes futés», atteste un forestier rencontré sur les lieux. Il poursuit : «Ces bêtes font des dégâts certes pour les paysans, mais elles font partie du patrimoine faunistique de la réserve du Parc national du Djurdjura. Laquelle partie, considérée comme une ZET (Zone d'extension touristique) qui sera appelée à la longue à être un véritable pôle d'attraction touristique avec notamment l'ouverture des infrastructures d'accueil touristique au niveau de Tala Rana». Ainsi donc, avec le coucher splendide du soleil, on a dû quitter les lieux avec un goût d'inachevé mais avec beaucoup de bonheur et d'espoir d'y revenir un jour, sans la peur au ventre. Comment peut-il, en être autrement, lorsqu'on sait que les fous de Dieu avaient longtemps sévi dans ces lieux et contraint les petits montagnards à l'exode. L'Etat est censé sécuriser ces lieux où le tourisme ne saurait s'accommoder avec le terrorisme. La promotion de la destination touristique algérienne ne saurait, au demeurant, se faire, par des spots publicitaires mais avec un travail de fond tant sur le plan des infrastructures d'accueil, de sécurité et de préservation de l'écosystème.