Mamadou Tandja, au pouvoir depuis 1999, ne semble pas près de lâcher les commandes de son pays. Elu en 1999 puis réélu en 2004, le chef de l'Etat du Niger a tellement pris goût au fauteuil présidentiel qu'il veut s'offrir une rallonge de mandature, quitte à inventer un stratagème. Pour cela, il n'a pas manqué « d'imagination ». Dans la pure tradition africaine, Mamadou Tandja a invoqué, vendredi, l'article 53 de la Constitution pour motiver sa volonté d'asseoir un pouvoir personnel. Cette disposition constitutionnelle stipule en effet que « lorsque l'indépendance de la République est menacée », le président est habilité à « gouverner par le biais d'ordonnances et de décrets ». Ce faisant, devant les caméras de la télévision publique, Mamadou Tandja s'est adressé à son peuple, l'informant qu'il prenait des « pouvoirs exceptionnels » ! L'ironie de l'histoire, c'est qu'au Niger, ce n'est pas « l'indépendance de la République qui est menacée », comme le proclame la Constitution, mais les principes républicains eux-mêmes… Le recours à ce pouvoir exceptionnel du maître de Niamey est dicté par son refus de satisfaire aux exigences de la Constitution nigérienne limitant le nombre de mandats présidentiels à deux. Après avoir épuisé tous les recours possibles pour se faire adouber une troisième fois par des voies « crypto-légales », Mamadou Tandja a revêtu son attirail de guerrier pour s'ériger en sultan autoproclamé. Mais son plan de bataille trouve une résistance farouche de ses opposants. Hier, le Front de défense de la démocratie (FDD) a dénoncé un « coup d'Etat » et demandé à l'armée de désobéir, après la décision du président. Dans un meeting à Niamey, le président du FDD, Mahamadou Issoufou, a « dénoncé le coup d'Etat que vient de perpétrer le président Tandja ». Il a également demandé à tous les Nigériens de se « mobiliser en usant de tous les moyens légaux pour faire immédiatement échec à cette entreprise de liquidation de l'Etat de droit et de la démocratie ». L'uranium appauvrit la démocratie De leur côté, les hommes de main de Mamadou Tandja mettent en avant leur exposé des motifs. « Nous sommes dans un blocage institutionnel, c'est ce qui a justifié le message à la nation du président (...). Il ne saurait accepter que le Niger soit bloqué en raison d'un travail de sape », a soutenu le ministre de la Communication. Or, c'est bien Mamadou Tandja lui-même qui a provoqué ce blocage institutionnel. La preuve ? Il a dissous le Parlement le 26 mai dernier pour avoir refusé d'adopter son projet de référendum pour un troisième mandat. Il a également refusé de céder à l'arrêt de la Cour constitutionnelle invalidant l'option du référendum prévu pour le 4 août prochain. Devant l'impossibilité de forcer la main aux magistrats de cette cour, Mamadou Tandja a eu recours, vendredi, aux « grands moyens » dignes des dictateurs des années 1970. Le président du Niger, qui devrait quitter le pouvoir en décembre prochain, est donc déterminé à y rester avec ou sans les institutions et le peuple de son pays. Et c'est la démocratie au Niger qui en prend un coup. L'opposition, qui manifeste depuis six mois, ne lâche pas prise pour autant. M. Issoufou appelle ses concitoyens à « refuser d'obéir aux ordres d'un homme qui a pris l'option délibérée de violer la Constitution et qui a désormais perdu toute légitimité politique et morale ». L'opposant fait valoir l'article 13 de la Constitution stipulant que « nul n'est tenu d'exécuter un ordre manifestement illégal ». Fait curieux, l'armée observe le spectacle de loin, pendant que les syndicats, les partis et les ONG battent le pavé. Curieuse aussi l'attitude de l'ancienne puissance coloniale, la France, qui semble détourner le regard de Niamey pendant qu'elle donne des leçons de démocratie au lointain Iran… Il est vrai que les gigantesques mines d'uranium qui font le bonheur du géant nucléaire français Areva justifient, aux yeux de Sarkozy et Kouchner, un devoir de « non-ingérence ». Il est difficile, en effet, d'imaginer Mamadou Tandja – lâché y compris par son plus fidèle soutien, la Convention démocratique et sociale (CDS) – bomber aussi arrogamment le torse s'il n'était pas bien soutenu. Au Niger, l'uranium semble appauvrir la démocratie et enrichir la dictature. Sous l'œil bienveillant de Paris.