Le Panaf 2009 n'a que cinq jours mais l'on peut déjà observer un phénomène de réappropriation de l'espace nocturne par les habitants de la ville. Les spectacles en soirée attirent les foules les plus bigarrées. Que les jeunes soient au devant n'a rien de bien étonnant. Mais que des familles entières, des groupes de femmes ou de jeunes filles et des couples affrontent avec enthousiasme et sérénité les ténèbres de la capitale mérite d'être relevé. A l'exception des Ramadhan, jamais encore pareil mouvement n'a été observé dans une ville si casanière au crépuscule, au contraste saisissant entre ses journées animées, lumineuses, grouillantes (sans doute plus qu'il n'en faut, vu les déboires concomitants) et ses nuits lugubres, inquiétantes, même au centre-ville, d'une tristesse incommensurable, accentuée par des éclairages chiches et blafards. Ah, ces lampions ridicules de la rue Didouche Mourad ! Combien d'articles ont été écrits sur la question ? Un nombre effarant si l'on en croit Internet, de quoi produire plusieurs fois le volume des Mille et Une Nuits. Combien de pistes ont été explorées ? Des dizaines, de quoi créer une nouvelle chaire à la faculté d'Alger qu'on pourrait appeler la « Noctalgérologie ». Tout a été avancé : L'insécurité d'abord ; le manque de transports ; les magasins fermés avant le coucher du soleil ; l'origine majoritairement rurale de la population et la pauvreté des activités culturelles nocturnes ou leur confinement dans des lieux réduits, fermés ou sociologiquement marqués. Reprenons-les un par un. L'insécurité : on peut citer des dizaines de villes dans le monde, y compris le « tiers-monde », où celle-ci est égale, voire supérieure, mais qui vivent ardemment la nuit. Transports : argument invalide puisque même les gens motorisés ne sortent pas en soirée. Fermeture des magasins : les commerçants se retranchent derrière l'insécurité quand on constate que beaucoup d'entre eux sont assez prospères pour s'éviter plus d'horaires. L'origine rurale : elle remonte à deux ou trois générations maintenant et d'ailleurs, bien des villages du pays veillent plus que sa capitale, femmes exclues cependant. Reste l'offre culturelle dont on n'a pas exploré tous les aspects, sa nature, ses conditions de promotion, souvent réduites aux agendas gratuits de journaux lus par les initiés, ses coûts d'accès, encore que des personnes cultivées - disons instruites - et assez aisées pour s'offrir un spectacle, ne s'y rendent jamais. Faut-il vraiment créer une science loufoque ? Plus raisonnablement, le ministère de la Culture pourrait commander un sondage indépendant sur les pratiques et attentes culturelles dans la société. Le Panaf' révèle un formidable potentiel. Mais quand les lumières de la fête s'éteindront, nous n'aurons plus en face de nous que les lampions jaunâtres de la rue Didouche Mourad, se balançant tristement dans la moiteur de la ville. Le proverbe africain du jour énonce que « Là où l'on s'aime, il ne fait jamais nuit ». Belle maxime que l'on pourrait ainsi détourner : on ne peut s'aimer que là où il ne fait jamais nuit… P.S. : quelle bourde dans la chronique d'hier ! « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé ». Lamartine, bien sûr, et non Saint John Perse ! Un seul neurone vous manque et la mémoire est dépeuplée…