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«Chaque fois qu'on veut humilier une femme, on la traite de prostituée»
Publié dans El Watan le 08 - 03 - 2010

– Qu'est-ce qui vous a amenée à vous intéresser à l'affaire des femmes de Hassi Messaoud et à prêter votre plume à Rahmouna et Fatiha ?
J'ai entendu parler de ce lynchage à peu près au moment où il a eu lieu. On racontait que c'étaient des prostituées. Evidemment, je n'en ai pas été moins bouleversée et choquée. J'ai appris, très peu de temps après, qu'il s'agissait simplement de femmes venues des quatre coins du pays pour échapper à la crise économique et au terrorisme, pour pouvoir subvenir à leurs besoins, mais aussi à ceux de leurs familles laissées dans leurs villes ou leurs villages d'origine. Elles étaient femmes de ménage, cuisinières et parfois secrétaires, mais pas prostituées. Cette accusation mensongère, née d'un article paru dans le journal El khabar, était pour moi d'une grande perversité.
C'était, c'est toujours du reste, une sorte de double peine. Au viol et à la torture devait s'ajouter pour ces femmes le calvaire d'être rejetées par leurs familles et condamnées par l'opinion publique. Et même s'il y a eu des démentis juste après dans d'autres journaux, le mal était fait. Jusqu'à aujourd'hui, l'opinion publique pense encore qu'elles sont des prostituées. Chaque fois qu'on veut rabaisser, humilier ou nuire à une femme, on la traite de prostituée.Je demandais souvent de leurs nouvelles à une amie, Louisa Aït Hamou, qui les recevait au sein de sa permanence au Réseau Wassila. Et j'en parlais souvent dans mon entourage. Cette histoire me hantait. Comment en étions-nous arrivés là ? Comment ce lynchage a-t-il pu exister en Algérie ? Dans la ville la plus riche et la plus sécurisée de l'Algérie ?
Chaque arbitraire vécu par des femmes qui m'était rapporté, chaque fait faisait caisse de résonance avec l'affaire des femmes de Hassi Messaoud. Les femmes que je voyais mendier dans la rue avec leurs enfants, les haut-parleurs des mosquées qui fustigeaient les femmes et les désignaient comme la cause de tous les maux de la société sans qu'il y ait aucune poursuite pour incitation à la haine.
– Qu'est-ce qui vous a le plus marquée dans cette horrible affaire ?
Comment 400 à 500 hommes ont-ils pu mettre à exécution l'ordre d'un imam au discours haineux, violer et torturer plus d'une centaine de femmes ? Comment ce véritable pogrom a-t-il pu avoir lieu ? Pendant la colonisation, les hommes et les femmes de ce pays étaient tous des indigènes sans droits et sans citoyenneté. Nos parents et nos grands-parents ont combattu le système colonial pour que leurs enfants, filles et garçons, puissent accéder à l'instruction et au savoir, à la dignité et au respect. Ils rêvaient d'un avenir meilleur pour tous les futurs citoyens de ce pays, hommes et femmes. Et ils ont sacrifié leur vie pour cela. Mais leur rêve a été trahi. Comment Hassi Messaoud a-t-il pu avoir lieu ? De mon point de vue, deux facteurs y ont contribué : d'abord le code de la famille qui est dévastateur, faisant de la femme une mineure à vie passant de la tutelle du père à celle du mari, devant obéissance à ce dernier et pouvant être répudiée à n'importe quel moment.
Le mari ayant le droit de garder le logement conjugal pendant que la femme se retrouve dehors avec ses enfants. Ce code est criminel, en fragilisant les femmes et leurs enfants, c'est une société toute entière qu'il a fragilisée. De plus, en mettant les femmes à la disposition et sous le contrôle des hommes, ce code envoie un message fort à toute la société et aux hommes en particulier : «Les femmes sont des sous-citoyennes dont vous disposez à votre guise. Elles seront votre défouloir ! Allez-y !» L'autre facteur important qui a rendu possible le lynchage des femmes de Hassi Messaoud, c'est évidemment le travail de grande envergure des intégristes qui, pendant des années, ont imprégné tout le tissu social de leurs discours profondément haineux et misogynes, en désignant les femmes comme la cause de tous les maux de la société. Ils ont détourné les textes religieux de façon à renforcer la suprématie des hommes.
Pendant les années de terrorisme triomphant, à la menace des femmes qui ne se soumettaient pas, s'est ajouté l'enlèvement de plusieurs milliers d'entre elles dans les maquis par les groupes armés intégristes. Elles y furent violées, torturées et soumises à l'esclavage. Beaucoup d'entre elles ont été assassinées ou ont disparu dans la nature. Leurs bourreaux ont très peu été inquiétés, voire pas du tout. Aujourd'hui, on les appelle des repentis sans qu'ils se soient repentis de rien et ils se meuvent dans les villes en toute impunité.
En somme, on n'a pas cessé de faire passer un message aux hommes : «Si vous avez des problèmes de mal-vie ou de mal-être, ne vous cassez pas la tête avec vos revendications, Défoulez-vous sur les femmes !» Comme dit le proverbe algérien : «tekber ou tansa wou ttaffrha fi'n'sa» (Tu grandiras, tu oublieras et tu le feras payer aux femmes.)
– Les violences faites aux femmes, de votre point de vue, se sont-elles aggravées depuis l'affaire de Hassi Messaoud ?
Oui, et ce n'est pas moi qui le dit, ce sont les chiffres de la police, de la gendarmerie et des associations. C'est la conséquence logique d'une politique de complaisance vis-à-vis des hommes agresseurs et la culpabilisation des femmes victimes qui n'osent pas porter plainte. De plus, il n'y a pas de procès exemplaire qui puisse décourager d'autres agresseurs potentiels.
C'est même plutôt dans l'autre sens que cela se passe. A Oran, en 2009, un violeur en série a écopé de 5 ans de prison pour au moins 11 viols, tout simplement parce que les victimes n'ont pas été protégées. Certaines, après avoir reçu des intimidations, ont retiré leur plainte, d'autres ont eu honte de se retrouver au procès et d'autres encore n'ont tout simplement pas reçu leur convocation. Le procureur n'a pas estimé utile de faire appel à elles. Une affaire comme celle-là est un appel au viol et au meurtre.
– Et dans l'affaire de Hassi Messaoud, avez-vous le sentiment que la justice a été diligente ?
En juin 2002, lorsque le procès a eu lieu à Ouargla, seuls 29 accusés étaient présents, accompagnés de 15 avocats. Pratiquement, toutes les victimes étaient là, elles aussi, mais seules sans avocats, malgré les promesses du ministère de la solidarité de les faire défendre. elles ont reçu des intimidations et des menaces ouvertes de la part de leurs agresseurs et de leurs familles, si elles parlaient au sein même de la salle d'audience et sans que les magistrats ou les policiers interviennent. Les plaintes pour viols et tortures n'ont pas été retenues. La plupart des inculpés sont ressortis du tribunal libres. Et même si après cela le procureur général de Ouargla, révolté par la faiblesse des sanctions prononcées, a fait appel, le mal était fait.
La plupart des victimes ont préféré en rester là. Puis, il y a eu les nombreux reports de procès suivis des nombreuses promesses non tenues de la part, encore une fois, du ministère de la solidarité de soutenir ces femmes sur le plan juridique. Trois accusés seulement ont purgé leur peine. La plus lourde peine réellement infligée a été de 8 ans. Une vingtaine de condamnés par contumace se baladent encore dans la nature et bien plus nombreux sont ceux qui n'ont même jamais été inquiétés, à commencer par l'imam.
– Vous avez été une des marraines, en 2004 en France, de la campagne Vingt ans barakat pour l'abrogation du code de la famille. Depuis, avez-vous le sentiment que la condition juridique des femmes a connu un changement ?
Disons qu'il y a eu une petite avancée. Mais c'est loin d'être satisfaisant. Aujourd'hui, si la femme n'a toujours pas le droit de garder son logement, elle reçoit une indemnité afin, dit-on, qu'elle puisse en louer un autre. Cette indemnité est dérisoire et ne correspond pas du tout au prix réel du marché immobilier locatif. Donc, la femme se retrouve encore une fois précarisée avec ses enfants. La meilleure, c'est qu'elle a le droit de demander le divorce à condition de payer un khol'e, un dédommagement. A côté de cela, si elle veut s'assurer de pouvoir travailler, ou que son futur mari ne prenne pas de coépouses, elle doit lui faire signer un contrat. Vous n'avez pas encore commencé à vivre ensemble que déjà vous vous méfiez l'un de l'autre ! Dans les autres sociétés, on a confiance l'un en l'autre parce qu'on s'aime, parce que l'on veut construire une vie commune, mais aussi, parce qu'on sait que des lois nous protègent l'un et l'autre contre d'éventuels abus.
– Quels sont, de votre point de vue, les maux dont souffrent le plus les femmes algériennes ?
La société ne fait pas de place aux femmes. Elle ne les défend pas. Elle les fragilise par le dénigrement perpétuel dont elles sont l'objet. Le quotidien est un calvaire que l'on ne supporte qu'en faisant du déni. Moi-même, j'ai fait ça pendant des années. Les femmes doivent se battre continuellement pour espérer arracher quelques droits, dont celui au respect.
– Vous avez tenu des rôles sensibles, voire tabous dans Viva l'Aldjérie et Délices Paloma du cinéaste Nadir Moknèche. Est-ce pour témoigner de la condition affligeante des femmes ?
Je dirais avant tout par passion de mon métier. Ensuite, il est vrai qu'il y a des femmes qui ne peuvent pas faire autrement que de se prostituer pour subvenir à leurs besoins. Comme disait kateb yacine : «on ne peut pas décrire une Algérie rose bonbon tout simplement parce qu'elle n'existe pas.» J'ai besoin de sentir qu'il n'y a pas de regard paternaliste, voire misogyne sur le personnage développé par le réalisateur ou le metteur en scène, sinon je ne peux rien apporter. Par contre, les défauts, les «nez cabossés» et les fragilités ne me dérangent pas. Ce sont mes matériaux de travail qui ne rendent le personnage que plus humain et, du coup, plus vrai. Je déteste qu'on lisse un personnage féminin sous prétexte de servir la cause des femmes avec un grand F. ça, c'est la technique des mauvais réalisateurs et elle dessert la cause des femmes.
– Comment ces films ont-ils été accueillis par le public ? N'avez-vous pas été inquiétée ?
Non. En Algérie, Délice Paloma n'est sorti ni au cinéma ni évidemment à la télé. Donc, ceux qui ont vu le film, sont ceux qui sont allés le chercher en dvd ou sur le câble. C'est une autre démarche. Les gens qui me reconnaissent sont soit amusés, soit émus. Lorsqu'on me reconnaît en France, il y a toujours un mot gentil, un compliment mais tout ça, dit avec une certaine distance. Lorsqu'on me reconnaît dans la rue en Algérie, les gens m'imitent et me rejouent les scènes des films. C'est trop drôle ! Je sens aussi parfois que je dérange des gens bien pensants. Avant, cela m'inhibait, mais maintenant, cela ne m'atteint plus. Je me dis simplement qu'ils ont encore beaucoup de chemin à faire.
– Qu'est-ce qui motive votre combat pour l'égalité des droits entre les hommes et les femmes en Algérie ?
L'injustice m'est insupportable. Je n'ai pas participé de façon active à beaucoup de combats. Je ne suis pas ce qu'on appelle une militante, car mes passions, le cinéma, le théâtre et l'écriture me prennent déjà beaucoup de temps. Mais quand le sentiment d'injustice devient trop insupportable, je ne peux que réagir. Cela a été le cas lors de la campagne 20 ans barakat, car pour moi, le code de la famille légalise l'injustice ou avec le livre laissées pour mortes.
Il y a une histoire dans notre famille qui me plaît beaucoup. Le soir où ma mère a accouché de ma sœur aînée, dans les années 1950, sa belle-famille lui a fait la tête car le bébé n'était pas un garçon. Le grand-père de ma mère a alors pris son fusil, il s'est rendu sur la petite place du village et il a tiré 3 coups en l'air (baroud habituellement destiné à la naissance d'un garçon) pour célébrer la venue de sa petite-fille. C'était un homme d'honneur, un homme de bien et peut-être sans en avoir conscience, un féministe. Je ne peux que lui être fidèle.
* Laissées pour mortes. Le lynchage des femmes de Hassi Messaoud. Témoignage de Rahmouna Salah et Fatiha Maâmoura, recueilli par Nadia Kaci. Editions Max Milo. 2010


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