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Ils habitent chez les... Romains !
Skikda
Publié dans El Watan le 08 - 02 - 2005

Deux frères, Menouar et Abdelkader, et leurs deux épouses habitent depuis plus de dix années au fond du plus important site archéologique encore intact dans la ville de Skikda : la voûte romaine de Stora.
Un luxe qu'ils s'offrent bien malgré eux et dont ils s'en passeraient volontiers. Menouar, le frère cadet, parle : « On ne demande qu'à quitter ces lieux mais où irons-nous ? On a, à maintes reprises, alerté les responsables concernés de notre situation qui ne fait que se dégrader mais toutes nos doléances sont restées sans suite. Tout le monde est au courant de notre situation mais on nous laisse mourir à petit feu dans une caverne humide. » La voûte où cohabitent les deux frères fait partie d'un ensemble de dômes élevés par les Romains qui conquirent la région en l'an 186. Ces voûtes servaient de magasins pour collecter l'annone (impôt en nature imposé aux habitants constitué généralement de produits agricoles). Très élevées, elles sont presque incrustées dans le rocher donnant sur le port de Stora sur une profondeur allant de 4 à 15 mètres. Menouar et Abdelkader racontent : « Au début des années 1980, nous étions venus nous réfugier ici. On n'avait pas où aller. On dormait à même le sol, puis devant les conditions climatiques très particulières de cette région balnéaire, on a fini par construire deux pièces à l'intérieur de la voûte pour nous abriter. » La voûte où habitent les deux frères est nichée à plus de 10 mètres du sol. Un escalier y mène. En y pénétrant, l'odeur insoutenable de l'humidité, qui emplit les lieux, suffit pour se faire une idée des conditions dans lesquelles vivent les deux familles. L'air est irrespirable. Les parois rocheuses de la voûte sont pratiquement gorgées d'eau et présentent des fissurations assez apparentes. Un constat du CTC juge clairement d'ailleurs que « la voûte rocheuse présente un état instable et peut s'effondrer sur la maison... » Les deux pièces élevées à l'intérieur même occupent plus des deux tiers de l'espace. Elles sont construites en parpaings, eternite et tôle ondulée en zinc. Tout dégouline. Menouar raconte que sa femme est souvent malade et qu'elle a déjà perdu deux bébés. Mais, qui a autorisé ces deux citoyens à habiter dans un site archéologique et d'y « bâtir » deux pièces ? Officiellement, personne, sauf que ces deux pièces disposent de toutes les commodités. Un compteur électrique est accroché à un mur, un robinet d'eau coule et des toilettes sont aménagées. Menouar et Abdelkader disposent même d'une carte de vote. « On a de tout temps accompli ce devoir », précise Menouar. C'est-à-dire que les services de l'Etat reconnaissent l'habitabilité des lieux et qu'ils avaient pris part, volontairement ou pas, dans la conversion des lieux. Du moins, ils savaient depuis plus de dix années que deux familles occupent un site que la direction de la culture tente de... classer ! Paradoxal. Le directeur de la culture de la wilaya de Skikda explique que la direction a de tout temps insisté pour qu'une solution soit trouvée afin que la voûte retrouve sa vocation archéologique. Il fera part aussi de plusieurs écrits transmis à ce sujet aux responsables directs de la commune et des demandes introduites auprès des instances centrales afin de classer ce monument. « Nous sommes bien au courant de cette navrante situation et nous avons à notre niveau déployé toutes les démarches administratives afin de préserver et restaurer le site. » En attendant, les deux frères Menouar et Abdelkader vivent toujours dans la peur que la voûte leur tombe sur la tête. Ils vivent avec un endroit que les Romains avaient conçu pour conserver au frais les aliments de l'annone. Si ces Romains savaient qu'aujourd'hui on y garde des humains...

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