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Les victimes algériennes des explosions nucléaires : Un parcours sans issue
Publié dans El Watan le 07 - 07 - 2010

Le décret exige, pour l'acceptation de la demande d'indemnisation au comité créé à cet effet, la présentation de documents attestant que le demandeur a «séjourné ou résidé» dans les centres d'In Ekker et de Reggane, ou dans les différentes bases de vie installées dans la périphérie de ces centres militaires, il ne prend en compte que les périodes de présence comprises entre le 13 février 1960 au 31 décembre 1967 pour le cas du Sahara algérien. Il faut relever que la notion de «résidence» ou de «séjour», concept à la fois éminemment administratif et sociologiquement citadin, ne correspond pas au mode de vie saharien et nomade dont le territoire tient depuis des millénaires beaucoup plus aux voies de parcours caravaniers qu'à un lieu de séjour fixe.
L'exigence de la présentation d'une «attestation» pour l'administration de la preuve de la présence dans ces lieux sous administrations militaire est de façon notoire totalement hors de portée des populations sahariennes. Cela s'applique également pour les questions d'état civil ou de statistiques des populations soumises sous l'occupation à régime d'administration militaire dans les deux ex-département de la Saoura et des Oasis. Les autorités militaires françaises sont les seules capables d'apporter les relevés de présence ou ce qui tenait lieu de fiche de paye pour les travailleurs civils d'origine saharienne saisonniers, ramenés de plusieurs contrées sahariennes et maintenus totalement dans l'ignorance de la nature et de la destination des travaux.
Les travailleurs survivants rapportent dans des témoignages que j'ai moi-même recueillis qu'ils croyaient creuser des galeries de mines d'or. L'autre anachronisme de cette loi et de son décret d'application est la prise en compte de périodes liées aux essais (février 1960, 31 décembre 1967) périodes correspondant aux différents tirs, explosions et autres essais atomiques. Cependant, et du point de vue juridique et concernant la réparations des dommages, il faut souligner que la loi Morin commet une erreur sur le fond en considérant que ce sont les explosions nucléaires elles-mêmes qui sont à l'origine du dommage, alors que le fait générateur du dommage réside non pas dans les explosions ou essais mais dans les émanations radioactives qui perdurent bien au-delà des dates butoirs fixées par cette loi.
Si ce n'est le caractère dramatique de la situation, il est presque loufoque de considérer que les émanations radioactives ont pris subitement fin le 31 décembre 1967 à In Ekker et à Reggane, date de la remise des installations aux autorités algériennes.
En tout état de cause, l'absence d'enquête épidémiologique sérieuse, indépendante et transparente sur le terrain, ne permet pas d'établir avec précision le nombre, même potentiel des victimes ainsi que le recensement exhaustif des maladies et pathologies radio induites qui pourraient être imputables aux expositions prolongées dans des zones fortement contaminées. A ce titre, la responsabilité des autorités sanitaires et environnementales algériennes demeurera fortement engagée et la non prise en compte des besoins sanitaires urgents des victimes pourrait constituer à leur encontre un déni de justice et un délit de non assistance à population en danger.
Il faut souligner que le dispositif est totalement verrouillé par la loi Morin, loi intra muros à responsabilité limitée(1), la disparition des voies de recours pour les résidants en Algérie dans son décret d'application, bien qu'initialement et expressément prévues. Le non-bénéfice pour les populations sahariennes de la présomption de causalité prévue pour le personnel participant aux essais est constitutive d'une discrimination entre les victimes. Enfin, l'imposition d'une attestation de «séjour et de résidence» exclusivement détenue par l'autorité occupante et impossible à fournir est constitutive d'une obstruction à l'action de la justice. Ces dispositions contenues dans le décret du 13 juin sont passibles d'un recours auprès du Conseil d'Etat en France pour atteinte au principe d'égalité devant la loi.
Cependant, la non-prise en charge d'une situation sanitaire dramatique et environnementale alarmante par les autorités algériennes concernées, bien assise dans une expectative coupable au lieu de porter secours à des populations algériennes sommées de se défendre par elles-mêmes et d'attendre une reconnaissance post mortem en guise d'indemnisation. Le comble du désintérêt et de l'abandon est l'absence des ministres de l'Environnement et de la Santé régulièrement et expressément invités par leur homologue des Moudjahidine lors des deux colloques tenus pourtant à Alger même par cette institution.
La non-prise en charge et la non-reconnaissance dans des lois internes ou dans un cadre bilatéral des doits de populations fortement éprouvées, disséminées et éloignées tant de Paris que d'Alger, maintenues dans l'ignorance de leurs droits, non informées et faiblement représentées est inadmissible.
Ces populations, dans l'incapacité de satisfaire à des exigences administratives surréalistes pour postuler à des demandes dont l'aboutissement ou la simple prise en compte est fortement aléatoire font que leur parcours est sans issue. Les demandes d'indemnisations réduites à se faire individuellement et quasi solitairement devraient en toute logique se voir subrogées par l'Etat algérien responsable des atteintes à sa population et à son environnement naturel vis-à-vis de son partenaire français.
L'incapacité matérielle et juridique de se pourvoir administrativement ou judiciairement sont synonymes pour les victimes d'une situation de non-droit et d'un déni de justice. Cette situation constitutive d'un crime humanitaire à l'encontre d'une population prise entre le marteau des enjeux des raisons d'Etat et l'enclume d'un obscur et dérisoire jeu diplomatique doit impérativement cesser. Le Sahara, territoire et berceau de la puissance d'une France forte et respectée, pourvoyeur et bienfaiteur providentiel du peuple algérien, ne doit pas voir ses habitants sombrer dans l'ingratitude et l'oubli.
A. Z. : Juriste, président de l'atelier
recommandation juridique du 2e colloque d'Alger sur les explosions nucléaires
au Sahara algérien
Note de renvoi :
1) Intitulé de ma communication lors du 2e colloque d'Alger.


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