La fameuse « Maison hantée » que l'on ne peut manquer de remarquer en longeant la route du front de mer, entre Bologhine et Raïs Hamidou, exactement au lieudit « Deux moulins », s'est muée jeudi dernier en « scène de théâtre », le temps d'une lecture dramatique. En effet, l'écrivain Mustapha Benfodil a choisi cette bâtisse coloniale, anciennement « Ecole des Deux moulins » qui abritait une école des soeurs évangéliques durant la colonisation et qui aurait été plastiquée par l'OAS en 1962, aux dires des riverains, pour lire des extraits de sa dernière pièce Les Borgnes ou le colonialisme intérieur brut, devant un public nombreux pour un espace aussi incongru. C'est dans une salle complètement dévastée de la carcasse fantomatique, au milieu de fenêtres défoncées, de murs éventrés et de gravats jonchant le sol, que Benfodil a étrenné cette rencontre qui s'inscrit, comme il s'est évertué à l'expliquer, dans la continuité d'un cycle placé sous le concept « Pièces détachées - Lectures sauvages ». L'initiative, souligne l'auteur, vise à « explorer et exploiter des espaces nouveaux pour porter le texte là où on ne l'attend pas et jeter le théâtre dans la rue. On ne peut pas attendre que toutes les conditions soient réunies pour produire des choses : il faut porter la culture là où on peut, avec les moyens de bord, dans la spontanéité et la simplicité du partage ». Avant d'ajouter : « Cela pose également la question de la responsabilité de l'écrivain dans la cité, face à sa société et c'est une modeste façon pour moi de prendre mes responsabilités. » Une première lecture, rappelle-t-on, a d'ores et déjà été donnée par l'auteur, sous ce même concept. C'était le 15 juillet dernier, à la Safex où il s'est « incrusté » à l'expo d'art contemporain, « Les Africaines ». La physionomie de la « Maison hantée », sa magie, son aspect « surréel », son caractère « clandestin » confèrent à l'opération un petit côté « underground » qui laisse le public tantôt charmé, tantôt intrigué. Expliquant en quelques mots le sujet de sa pièce, Mustapha Benfodil indiquera qu'il y est question d'une famille étrange dont tous les membres sont borgnes. « Mais des borgnes guère ordinaires », précise-til. « Ils voient la chose d'un oeil et son contraire de l'autre oeil », résume-t-il. L'un des descendants de cette étrange tribu, Salah Ben Samed alias « Professeur Aflatoun », instituteur de son état, enseigna un certain jour à ses élèves, que le « 5 juillet 1962, l'Algérie a quitté la France après 132 ans de colonisation ». De fait, il inculquait l'histoire de la guerre d'Algérie à l'envers. Et les accords d'Evian deviennent les « Accords de Hammam Melouan », le gouvernement de Vichy, « Le gouvernement de Tichy » et autres trouvailles décapantes. Le malheureux instit' termine au fond d'une cellule où il subira la question, avant d'être interné dans un asile de fous où son destin « borgne » vient s'ajouter à un cortège d'âmes perdues. Une fable loufoque donc, on l'aura compris, où l'auteur revisite à sa manière « l'inconscient » putride de la guerre d'Algérie. Pour les besoins de sa lecture, Benfodil s'est servi d'un petit accessoire, de drôles de lunettes arborant un vert noir et un autre de couleur rouge. L'auteur a alterné sciemment des scènes écrites en français et d'autres en arabe dialectal. A l'issue de sa « performance », Mustapha Benfodil enchaîne par une lecture d'extraits d'un poème écrit en hommage à l'immense Mahmoud Darwiche qui nous a quittés le 9 août 2008. Intitulé : Ode à la digne extinction de la métaphore, le poème mixe là aussi strophes en français et d'autres en arabe. Extrait : « Tu couleras désormais où tu veux / Subreptice métaphore agraire/Et il poussera des Darwich partout / Une flopée de Derviches Frondeurs / Toi, le pétri d'amour et de colère / Tu pétriras la terre sous les pieds des soldats / Sous le nez et la barbe de la police des symboles / Brave enfant terrible du non / Enfant prodigue te voilà superbement revenu / Enquiquiner les canonnières en creusant ton sillon / Avec le soutien des forces végétales. » Prochain rendez-vous des « Pièces détachées… » : le théâtre antique de Tipaza, jeudi 13 août, à 15h.