Membre de la Démocratie Chrétienne, il était connu pour sa sensibilité tiers-mondiste, farouchement opposée à l'hégémonie des grandes multinationales anglo-américaines qui monopolisaient à leur profit exclusif, l'exploitation des riches gisements d'hydrocarbures à travers le monde, notamment dans les pays du Proche et du Moyen-Orient. Il était persuadé que les activités d'exploration et d'exploitation qu'il avait initiées, avec succès en Italie, ne pouvaient qu'être contrariées pour toute tentative de sortir du cadre strict de son pays. Au plan politique, il était ouvert aux idées d'émancipation des peuples sous domination coloniale. Aussi, grâce à des amitiés locales, il fit la connaissance, en 1958, du représentant du Front de libération nationale à Rome, Tayeb Boulahrouf. Cette relation lui permit de rencontrer par la suite de nombreux dirigeants de la Révolution, tant en Italie qu'en Suisse, tels que Ferhat Abbas, Ahmed Francis, M'hammed Yazid, Mohamed Seddik Benyahia et Abdelhafidh Boussouf. C'est ce dernier, Abdelhafidh Boussouf, qui comprit le mieux les aspirations d'Enrico Mattei à entrer dans la cour des grands, limitée aux seuls membres du Cartel, avec une vision différente sur les avantages financiers à consentir aux pays concédants. Abdelhafidh Boussouf l'encouragea dans ce sens et plaida sa cause auprès du roi Idriss Senouci de Libye qui lui accorda, malgré les pressions exercées sur lui, une concession de recherche et d'exploitation d'hydrocarbures dans son pays. C'est à l'occasion de ce contrat que Mattei, au nom de l'ENI, déclina son offre de répartition des revenus sur la base inédite d'un partage des bénéfices à parts égales 50/50 avec le pays concédant. En marge de cela, Enrico Mattei, fort de ce succès dû à l'appui apporté, mobilisa la classe politique italienne en faveur de la cause algérienne, si bien que l'Italie devint le pays européen où le FLN avait le plus de facilités et de soutien pour déployer son action politique et diplomatique. Lorsque apparurent, dans le courant des années 1960 des perspectives de négociations entre les parties en conflit, le GPRA se mit en devoir de préparer de solides dossiers sur les aspects politiques, juridiques, économiques et financiers susceptibles d'être défendus. Parmi ceux-ci, le dossier des hydrocarbures, que la partie française s'interdisait totalement d'examiner, sous quelque forme que ce soit, considérant le Sahara territoire français non concerné par l'offre d'autodétermination proclamée par le général de Gaulle lors de sa conférence du 16 Septembre 1959. Les contacts préliminaires, engagés durant l'année 1960 et une bonne partie de l'année 1967, n'apporteront aucune concession de la partie française sur le Sahara. Les deux rencontres officielles d'Evian et de Lugrin en juin et juillet 1961 consacrent la rupture en raison de l'obstination française renouvelée.La forte détermination algérienne sur ce point excluant tout nouveau contact, jointe à d'autres facteurs non moins importants tels la résistance redoublée de l'ALN et du peuple dans sa globalité, la détérioration de la situation militaire en défaveur de l'armée française (putsch des généraux d'avril 1961), l'échec consommé de la politique d'intégration ou d'assimilation des populations algériennes (3e force), l'isolement politique et diplomatique croissant de la France sur le plan international, tous ces facteurs feront que le général de Gaulle modifiera de manière radicale sa position sur la souveraineté française sur le Sahara au mois de septembre 1961. De nouveaux contacts, secrets cette fois-ci, furent pris pour préparer l'ouverture de nouvelles négociations publiques. Le dossier des hydrocarbures fut donc repris par le GPRA pour un examen plus complet. Le soutien d'Enrico Matei fut déterminant à cette phase. Mis en relation avec les proches collaborateurs de Boussouf, à l'image de son secrétaire general, Laroussi Khelifa, et quelques experts du MALG, Rédha Rahal, Mahmoud Hamra Krouha, Enrico Mattei apportera son expérience et prodigua des conseils qui inspirèrent les grands actes d'une stratégie de négociations à même d'apporter à l'Algérie les solutions les plus avantageuses pour l'exploitation des richesses pétrolières du sous-sol saharien. Dans le même temps, le GPRA avait obtenu auprès d'une personnalité haut placée dans la hiérarchie du pouvoir administratif d'Alger, par l'entremise des services de renseignement du MALG, une documentation complète comprenant le corpus détaillé des textes législatifs et réglementaires régissant le domaine ainsi que des copies de contrats, actes de concessions, tableaux d'indices de prix et fiches signalétiques de l'ensemble des sociétés opérant au Sahara avec le montant de leur capital, sa répartition et la part de l'Etat français dans cette répartition. Au cours de la reprise officielle des négociations aux Rousses à partir du 11 février 1962, la surprise de la délégation française fut totale face à l'argumentaire de la délégation algérienne sur ce dossier qui se résumait en six points : – Souveraineté totale de l'Etat algérien sur toutes les richesses minières du sol et du sous-sol ; – Subrogation de l'Etat algérien à l'Etat français dans tous les actifs détenus par celui-ci dans les sociétés exploitantes ; Puis à compter du cessez le feu : – Aucune concession nouvelle de recherche, d'exploration ou d'exploitation ne peut être accordée ; – Aucune modification du capital concernant les parts d'actifs de l'Etat français ne peut être opérée ; – Aucune modification au prix de référence du pétrole brut ou du gaz «sortie puits» ainsi que les tarifs de transport ne peuvent être apportés ; – Enfin, aucune modification ne peut être apportée au taux de la fiscalité. Ces exigences s'appuyaient sur la détermination affichée par la «délégation algérienne de considérer nulle et non avenue toute remise en question des principes ainsi exposés et ce, durant toute la période transitoire entre le cessez-le-feu et l'indépendance. Plus que tout autre dossier, c'est celui-là qui touchera au plus profond les velléités de la partie française de conserver des intérêts majeurs dans le domaine vital de l'énergie, par lequel la France visait à construire un développement économique échappant à la tutelle des multinationales. Cet échec réveillera le démon de la vengeance froide qui se traduira malheureusement par l'élimination par les services spéciaux français, à quelque temps d'intervalle, cette même année, de deux personnes qu'elle considérait, à tort ou à raison, à l'origine de leur déconvenue à savoir Salah Bouakouir supposé la «source» et Enrico Mattei le «conseilleur», censé devenir le concurrent le plus dangereux pour les intérêts français au lendemain de l'indépendance. Personne n'a pris au sérieux, à l'époque, les dénégations des autorités publiques françaises habituées à couvrir cyniquement en feignant d'ignorer les faits, les agissements criminels de leurs agents à l'endroit d'amis européens dont plus d'une centaine ont payé de leur vie, leur soutien actif à la Révolution algérienne.