– Travaillant depuis vingt ans pour la prestigieuse maison française de broderie Lesage, vous cumulez une riche carrière dans l'univers de la mode… Je suis styliste textile de formation. Je m'intéresse plus particulièrement à la forme du vêtement, mais à l'imprimer aussi. A la base, je suis dessinatrice. Je me suis spécialisée en fin de compte dès la sortie de l'école dans le dessin pour la broderie d'art, la haute couture et le prêt-à-porter de luxe. Cela demande aussi une créativité, et en même temps une production, puisque la haute couture c'est toute une poésie. Une robe c'est un spectacle. C'est pour toutes les princesses du monde entier. Et le prêt-à-porter de luxe, c'est Chanel, Yves Saint-Laurent, Dior. Là, nous allons parler de graduation, c'est-à-dire qu'on part du 34 jusqu'au 42 mais cela reste du luxe. Après, il y a le prêt-à-porter de luxe. Il vrai que moi je ne travaille que dans le prêt-à-porter de luxe. J'exerce depuis vingt ans pour l'atelier Lesage, une grande maison de broderie qui a été rachetée par Affection . C'est une société qui a été créée par Chanel et qui a racheté sept savoir-faire dont, notamment, un bottier, un chapelier, un plumassier, des brodeurs. C'est vraiment l'excellence des métiers d'art et de travail dans une de ces parties-là. Je suis également consultante à l'Unesco, spécialisée dans l'artisanat d'art africain .
– La maison Lesage se targue de travailler avec certaines techniques anciennes datant du XVIIIe siècle dont l'incontournable crochet de Lunéville. Effectivement, nous continuons à travailler selon la technique de Lunéville. L'histoire de la broderie à Lunéville remonte au XIVe siècle, mais ce n'est que trois siècles plus tard qu'elle se développe grâce à une présence plus fréquente des ducs de Lorraine dans leur résidence de Lunéville. Les artisans brodeurs adoptent alors le nom de cette ville pour désigner leur broderie au point de chaînette afin de mieux se faire connaître. Après une période de crise à la Révolution, la dentelle au point de Lunéville connaît un très grand succès au XIXe siècle grâce à la mode des «colifichets féminins» initiée par l'impératrice Joséphine. En 1850, l'aiguille est remplacée par le crochet. Puis, vers 1865, Louis Ferry révolutionne la technique de la broderie en inventant la broderie perlée de Lunéville afin de relancer la production, en relation avec la naissance de la haute couture. Cela étant, la modernité est omniprésente chez Lesage, dans la création, mais dans le savoir-faire et la technique, c'est toujours le crochet de Lunéville qui prime.
– Avez-vous un petit aperçu sur ce qui se fait en Algérie en matière d'artisanat et de mode ? Je suis dessinatrice mais pas brodeuse. Moi, je fais toute la conception pour que les brodeuses suivent le dessin. J'ai vu la technique avec laquelle les Algériennes travaillent, je n'ai pas encore vu le crochet Lunéville. Elles travaillent à l'aiguille à l'endroit. Elles ont une très belle technique, après, cela reste assez traditionnelle. C'est-à-dire que c'est souvent pour des circonstances précises dont les mariages, les baptêmes…Le Chanel algérois, je ne le connais pas, car je n'ai pas encore assisté à des défilés de mode en Algérie. J'essaye de regarder dans les librairies s'il y a des choses comme cela, mais je sais que c'est beaucoup plus au niveau des caftans. En Algérie, on voit cette broderie importante et riche à la fois. La broderie est importante dans les pays arabes. Encore une fois, la broderie se trouve dans les caftans. Je ne l'ai pas encore vue sur un tailleur. C'est toujours par rapport à une fête. Je n'ai pas vu le côté contemporain de la broderie. L'Algérie a cette culture de la broderie donc, on n'a rien à apprendre. La création est un détournement des choses. On n'invente pas forcément quelque chose de plus, on détourne, on déchire, on colorie, on agrandit, on change le support.
– Justement, le patrimoine est une source intarissable d'inspiration et l'artisan doit remettre en valeur les matières qui l'entourent… L'apport des différents éléments décoratifs du patrimoine vestimentaire dans la création de nouveaux et luxueux modèles est très important. Preuve en est avec la richesse et la beauté du patrimoine artisanal africain et algérien. L'artisanat est un bon fil conducteur. La démarche créative passe obligatoirement par le fait de libérer le geste. Ce qui est intéressant dans les rencontres d'aujourd'hui, c'est de travailler ensemble. Même en haute couture, dans l'atelier Lesage il y a beaucoup d'Algéroises qui travaillent. Quand les brodeuses de Lesage savent que je vais en Algérie, elles me disent qu'elles aimeraient bien retourner en Algérie, en dehors des vacances et essayer de faire avec nos sœurs quelque chose en formation. Je dirais qu'il faudrait qu'il y ait une collaboration avec les Algériens expatriés qui ont ce savoir-faire. Il y a beaucoup d'écoles d'art en France qui forment aux brevets des métiers de l'art. Au contraire, il y aurait des échanges à faire avec ces femmes qui ont envie de retrouver leurs pays.