Les limites géographiques sont effacées et les lignes d'une nouvelle politique arabe se dessinent. Le CCG, un ensemble d'abord économique qui existe depuis 1981, apparaît déjà, selon une première lecture, comme un regroupement de monarchies et de principautés. Cela peut s'expliquer au moins par le refus d'accepter – encore – l'Irak et le Yémen qui sont situés dans la région du Golfe, mais sont des Républiques. Le secrétariat général du CCG, dont le siège est à Riyad, a laissé entendre que la demande du Yémen est toujours à l'étude. Elle peut être gelée en raison de la situation interne dans ce pays où des jeunes manifestants exigent de Ali Abdallah Saleh, qui dirige le Yémen depuis 32 ans, de céder le pouvoir, lui et sa famille. La demande marocaine a surpris même la classe politique à Rabat et Casablanca. «Cela nous a surpris, d'autant plus que le CCG apparaissait jusque-là comme un club fermé. Il n'y a pas eu de débat au Maroc sur cette question. Il existe un soutien économique des pays du Golfe au Maroc et un rapprochement sur le plan politique. C'est un tournant stratégique», a expliqué Hassan Tarek, membre du bureau politique de l'Union socialiste des formes populaire (USFP) à Al Jazeera. Il s'est posé la question de savoir si cette adhésion a des significations pragmatiques et économiques et pourquoi elle intervient «maintenant». Le Maroc, qui s'est joint aux efforts internationaux pour protéger les civils en Libye, semble avoir le mieux compris, du moins dans la zone nord-africaine, que la géographie n'a presque plus d'importance dans les rapports mondiaux. Par le passé, le Maroc, qui a des frontières avec l'Union européenne (enclaves de Ceuta et Melila), avait fait une demande pour adhérer à cet ensemble bien avant la Turquie. Le Maroc, qui a besoin d'investissements soutenus pour absorber la crise du chômage et améliorer le niveau de vie des populations, connaît parfaitement la force de frappe des six pays membres du CCG en la matière. L'Arabie Saoudite, Bahreïn, les Emirats arabes unis, le Koweït, Oman et Qatar, qui rassemblent 900 milliards de dollars de PIB, se sont, eux aussi, débarrassés des dogmes et des théories de l'âge de glace. Ils ont accepté l'arrivée de la Jordanie et du Maroc même s'il faut revoir l'ossature et la configuration futures du CCG. Le Maroc a été invité, selon l'expression secrétaire général du CCG, Abdellatif Ziani, à préparer son dossier d'adhésion. Rabat a réagi en accueillant «avec un grand intérêt» l'invitation du CCG et a exprimé son attachement «naturel et irréversible» à l'idéal maghrébin et à la construction de l'Union du Maghreb arabe (UMA), «choix stratégique fondamental». Autant dire que l'UMA, qui cumule les rendez-vous ratés et n'arrive pas à s'ouvrir aux populations ni à adopter des mécanismes démocratiques de fonctionnement, fait face à un nouveau défi. La révolution des jeunes en Tunisie et celle en cours en Libye vont accentuer la pression sur cette union qui, tout compte fait, aura deux choix : s'adapter et se moderniser ou cesser d'exister. Au-delà du souci de se prémunir des changements rapides tel que vécus en Tunisie et en Egypte, les pays membres du CCG aspirent, convaincus de leurs forces financière, énergétique et diplomatique, à se poser comme une nouvelle puissance. Une puissance qui aura la voix haute face aux alliés du Nord. Selon des estimations occidentales, il est prévu que les Etats du CCG détiendront plus de 3500 milliards de dollars en investissements directs à l'étranger d'ici 2020. Actuellement, les populations des pays membres du CCG sont estimées à 38,6 millions d'habitants. C'est presque la population algérienne. Avec l'arrivée de la Jordanie et du Maroc, la population représentée par le CCG doublera et passera à presque 78 millions d'habitants. Cela va renforcer la marge de manœuvre de cet ensemble qui aura six ouvertures sur les étendues marines : golfe persique, mer Rouge, Méditerranée, mer Morte, océans Indien et Atlantique. Il aura aussi le contrôle, ou sera proche, de passages et de détroits sensibles : Gibraltar, Suez, Ormuz. Le CCG, grâce au Maroc, aura une implantation en Afrique et une proximité avec l'Europe. Des atouts à prendre en compte pour toute analyse future sur les équilibres internationaux. Il y a toutefois une crainte : la création d'une division dans le monde arabe : monarchies-Républiques. A ce niveau-là, la balle est dans le camp dans la Ligue arabe qui, elle aussi, devra se mettre à niveau et répondre rapidement aux nouvelles exigences de liberté, d'ouverture et de modernité des populations arabes. Une Ligue qui devra revoir son fonctionnement interne pour qu'il soit démocratique et transparent, pour retrouver sa crédibilité. Confier la gestion de la Ligue à de jeunes cadres lui donnerait de nouvelles forces. C'est la seule manière d'éviter davantage de déchirements dans la région arabe.