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Pas de printemps arabe sans les femmes
Publié dans El Watan le 27 - 05 - 2011

Ces actrices des révoltes et révolutions arabes auront participé à écrire une nouvelle page dans l'histoire de la lutte des peuples pour la liberté, la dignité et la justice. Sauront-elles écrire une autre page d'histoire, celle de la lutte pour les droits des femmes ?
Tunisie :
Précurseur du printemps arabe, la Tunisie est un modèle en matière des droits des femmes dans la région. Source de sa fierté, le code du statut personnel a donné aux femmes le droit de vote en 1956, aboli la polygamie et instauré l'égalité en matière de divorce. Depuis, le statut des femmes n'a cessé de s'améliorer. Mais au lendemain de la révolution, les féministes craignent une régression en matière des droits des femmes. C'est pourquoi toutes s'accordent à rappeler qu'«il ne peut pas y avoir de démocratie sans l'égalité homme-femme». Pour Lina Ben Mhenni – la plus célèbre des bloggeuses tunisiennes – au lendemain de la chute du régime, «certains extrémismes ont été renforcés et les forces de la contre-révolution telles que les milices de l'ex-régime, sont une vraie menace pour les femmes. Ils ne veulent pas qu'on prenne la parole et préfèrent qu'on reste à la maison. En tant que blogueuses, on se fait insulter, tabasser dans la rue, ce qui n'était pas le cas avant. Il y a une violence de représailles», déclare-t-elle sur le site auféminin.
Mais cela ne fera que renforcer sa détermination de se battre pour les droits des femmes. «La priorité aujourd'hui est de conserver nos acquis, qui peuvent être en danger. Oui, la Tunisie est un pays plutôt avancé en la matière, mais j'ai vraiment peur qu'on recule. Avant le 14 janvier, je réclamais l'égalité dans les lois d'héritage. Maintenant, je milite pour conserver le droit d'hériter !», explique-t-elle. Et de poursuivre : «Les femmes ont joué un très grand rôle dans cette révolution, certaines ont été tuées ou violées. Elles ont tout donné pour la Tunisie et la démocratie. On leur doit de protéger nos droits.»
Lina n'est pas la seule à s'inquiéter, Naila Jrad, féministe tunisienne, mettait en garde, dans les colonnes de Attariq El Jadid, le 29 janvier dernier, contre la menace islamiste : «Un danger menace donc les droits des femmes et leur statut dans la société du fait de la présence sur la scène politique de partis à référents religieux qui, bien que se présentant actuellement comme des démocrates, ont toutefois la caractéristique de ne pas considérer que les femmes ont les mêmes droits que les hommes.» Malgré la crainte des Tunisiennes, la parité électorale homme-femme a été instaurée le 11 avril dernier. Avec un taux de 23% de femmes députées, la Tunisie est désormais à l'avant-garde en ce qui concerne la participation des femmes à la vie politique.
Maroc :
Pour répondre aux revendications du Mouvement du 20 février, le Maroc a entamé une série de réformes politiques et constitutionnelles. C'est dans ce climat que la coalition du «Printemps féministe pour la démocratie et l'égalité» est née le 11 mars dernier. A l'appel de la coalition, des centaines de Marocains ont participé, le 1er mai dernier, à la marche pour la constitutionnalisation de l'égalité effective entre les femmes et les hommes dans tous les droits. Pour Mme Aïcha Aït Mhand, présidente de l'Association démocratique des femmes du Maroc, et membre de la coalition, «le chantier de la réforme de la Constitution étant ouvert, c'est l'occasion pour nous de revenir à la charge et d'exiger que la Constitution garantisse l'égalité effective entre les hommes et les femmes dans les droits civils et non devant le droit ainsi que le principe de la non-discrimination».
La question de la femme étant très liée à celle de la religion, les féministes marocaines revendiquent également «la sécularisation du droit». Mme Aït Mhand souligne l'importance d'expliquer ce principe qui fait peur à la population. «Ce n'est ni la négation de l'Islam ni la laïcité à la française, il signifie que toutes les législations doivent être promulguées par les canaux officiels, et non par le fameux Majliss el Ouléma comme pour le code de la famille», explique-t-elle. «Nous devons être dans le référentiel universel et respecter les différentes chartes dont nous sommes signataires», insiste Mme Aït Mhand. Et d'ajouter que c'est dans le cadre d'une réforme globale et transversale de la Constitution et l'instauration de la séparation des pouvoirs, qu'une égalité effective sera concrète.
L'exclusion des femmes des réformes n'est pas à craindre, selon la présidente du ADFM : «Le mouvement féministe a eu l'intelligence d'investir les différentes associations des droits humains et les partis politiques, une désolidarisation a très peu de chance d'avoir lieu.» Quant à la menace extrémiste, Mme Aït Mhand estime que «le risque existe toujours puisque les conservateurs ont été reçus, au même titre que les féministes et les composantes de la société civile marocaine, par la commission en charge de la réforme de la Constitution», mais «le Maroc est parti sur une voie démocratique depuis 10 ans, aujourd'hui, il ne faut pas revenir en arrière», précise-t-elle.
Algérie :
Aïcha Dahmane Belhadjar. Présidente du Forum international de la femme musulmane : Des Egyptiennes qui revendiquaient des droits, pourtant dans le cadre de l'Islam, ont été violentées le 9 mars dernier…
A. D. B. Les fruits des révolutions peuvent être confisqués. Les femmes doivent maintenant être prudentes et penser à affirmer leur présence dans toutes les institutions pour garantir le changement sur tous les plans, y compris en matière de droits des femmes.
N. M. (Nassera Merah. Chercheure universitaire féministe) Les féministes ont toujours fait l'objet d'insultes. Quelque part, les femmes islamistes derrière le voile se donnent, en plus d'une certaine légitimité religieuse, une protection contre ce genre d'intimidation. Sans vouloir rentrer dans la psychologie, une espèce menacée développe naturellement des moyens de se protéger.
-Les femmes auraient-elles dû inclure des revendications spécifiques à leur statut dès le début du mouvement ?
A. D. B. Ces révolutions étaient spontanées. Il était difficile de penser à tous les détails. Aussi, ce n'est pas seulement un combat de femme, c'est aussi celui des hommes. Il s'agit de défendre l'être humain ! Si les femmes algériennes ne s'étaient pas engagées durant la révolution, l'Algérie n'aurait pas connu l'indépendance. De même, on ne peut pas exclure les hommes quand on parle des droits des femmes. Dans toutes les réunions, colloques et autres occasions où l'on parle des droits des femmes, ce sont des femmes qui parlent des femmes aux femmes. Il s'agit d'un monologue. Or, on doit impliquer l'homme dans ce combat comme la femme est impliquée dans tous ce que l'homme entreprend.
N. M. Tout combat doit mettre comme préalable la question des femmes. Que des femmes militent pour le changement sans mettre en avant leur statut, cela ne sert à rien. Celles-ci doivent adhérer aux partis avec leurs propres conditions et ne voter que pour ceux qui mettent des femmes en tête de liste. Les formations politiques se verront alors obligées de recruter des femmes, leur nombre sera important et les plus compétentes feront leurs preuves. Sinon, on sera toujours dans la cooptation.
-Les lois algériennes garantissent-elles les droits des femmes ?
A. D. B. Quand on essaie à la fois de répondre aux exigences des instances internationales ainsi qu'aux besoins spécifiques de la société algérienne, cela donne des lois hybrides aux conséquences négatives. Les amendements du code de la famille algérien de 2005 en sont une illustration. Aussi, la mauvaise interprétation des textes religieux a fait que la religion soit instrumentalisée afin de porter atteinte aux femmes, mais cette instrumentalisation porte atteinte à la religion elle-même. Nous sommes un peu responsables de l'image négative que l'Occident a de nous.
N. M. Il faut des lois volontaristes. Les partis politiques n'ont rien fait pour améliorer la condition féminine. Les mesures qui ont été prises dans ce sens ont été promulguées par ordonnance du Président. Je soulignerai cependant que le droit de vote des femmes lui n'ont plus n'a pas été l'œuvre des démocrates ou des intellectuels. Les avancées en matière de droits des femmes relèvent d'une volonté politique qui ne vient pas forcément de la démocratie.
-L'une de ces mesures est le quota de 30% de sièges réservés aux femmes dans les assemblées élues…
A. D. B. J'ai des réticences quant à la politique des quotas. Ce sont les compétences qui doivent occuper les postes-clés. Ensuite, comment appliquer cette mesure dans les APC ? Il sera difficile dans certaines communes du pays de trouver 30% de femmes, lettrées, compétentes et engagées. N'empêche, c'est un pas en avant. Les femmes actives qui militent pour les droits des femmes et pour une société évoluée doivent saisir cette occasion pour s'engager et remplir ainsi le quota, sinon, nous serons représentées par des incompétentes.
N. M. C'est le minium requis par les instances internationales. C'est aux partis maintenant de prouver qu'ils sont capables de mobiliser 30% des femmes. Ils prétendent représenter le peuple et excluent plus de la moitié de la population, car les femmes ne seraient ni politisées ni compétentes. Je m'interroge sur la compétence des partis qui existent depuis plus de 20 ans, qui ont réussi à démobiliser des milliers de femmes alors qu'elles étaient engagées à l'époque. Ils ont profité du mouvement des femmes pour se faire propulser, avant d'écarter non seulement les féministes de leurs partis mais également les femmes qui y adhéraient.
Arabie Saoudite :
Dans une société avide de réformes, des femmes ont créé une page Facebook «La révolution des femmes saoudiennes». Depuis, les actions pour le changement se multiplient. Ainsi, des dizaines de Saoudiennes ont répondu à l'appel à la marche, en mars dernier, réclamant une citoyenneté pleine et entière. Dans un pays où les femmes ont besoin de l'autorisation d'un tuteur masculin pour effectuer le moindre mouvement, la marche est une révolution en soi ! Déterminées à faire valoir leurs droits, des Saoudiennes se sont rendues le 23 avril dernier dans un centre d'enregistrement des électeurs aux municipales à Jeddah, pour revendiquer le droit de participer au scrutin dont elles sont exclues.
Une importante campagne pour la levée de l'interdiction de conduire pour les femmes, dont Manel El Sherif s'est faite la porte-parole, est également en cours. Ses vidéos, postées sur Youtube et Facebook, la montrant en train de conduire sont un coup de gueule attestant du malaise social féminin. Mais une telle action n'est pas sans risque dans ce royaume ultraconservateur. La jeune femme a été arrêtée le 21 mai dernier. Ce n'est pas ce qui arrêtera les femmes saoudiennes ! Ces dernières promettent de prendre le volant de leurs voitures le 17 juin prochain. Le nombre de Saoudiennes possédant un permis serait suffisant pour que l'action fasse son effet. Une révolution des femmes est peut-être en marche en Arabie Saoudite même si le combat s'annonce difficile.
Yémen :
Au pays de Nojoud Ali, cette fillette de 10 ans, qui a réussi à obtenir le divorce en 2008 et à soulever la problématique des mariages des petites filles, les femmes font encore face à des pratiques d'un autre âge. Mais depuis bientôt cinq mois, elles défient les normes sociales pour se joindre à la contestation. Drapée de noir ou en hidjab, elles ont ainsi défilé aux côtés des hommes, une première ! La bloggeuse et journaliste Afrah Nasser, 24 ans, s'en réjouissait sur son blog : «Les femmes yéménites ne marchent jamais aux côtés des hommes, mais je l'ai fait, et c'était merveilleux ! Je n'ai eu que des regards de respect et d'attention de la part des manifestants.» Dans une tentative de casser leur mouvement, le président contesté Ali Abdallah Saleh a dénoncé, le 15 avril dernier, «la mixité illégale des hommes et des femmes» lors des manifestations.
Raté ! Malgré l'agression de quelques femmes pour avoir manifesté avec des hommes, les islamistes ont appelé les femmes à rester mobilisées «pour le bien de la révolution». Elles seraient d'ailleurs plus nombreuses selon la bloggeuse A Woman From Yemen,à scander «Contestation, contestation, ô Ali, tout sauf notre honneur» ou encore «Ô gouvernement idiot, la fille du Yémen est honorable !» Même si désormais, des couloirs leur sont réservés pendant les marches, pour certains, le changement a déjà eu lieu. Afrah Nasser le confirme dans son blog en publiant des photos d'elle en compagnie de ses amies dans un café : «C'est le nouveau Yémen, celui où des femmes peuvent apprécier un thé dans un café d'hommes.»
Egypte :
Défiant tabous et stéréotypes, les Egyptiennes se sont imposées comme de véritables actrices de la révolution en participant massivement aux rassemblements à la place Tahrir dès le début de la révolution. «Comme les hommes, des femmes ont sacrifié leur vie pour l'Egypte, jamais elles n'ont pensé qu'elles étaient inférieures aux hommes ou incapables de renverser le régime», écrit Shahinaz Abdel Salam dans son blog Wa7damasrya. Au premier plan pendant la révolution, les femmes seront «écartées des groupes de protection de la révolution, du comité pour la révision de la Constitution ainsi que du nouveau gouvernement», constate la bloggeuse amèrement, et de regretter : «Certains, dont des militants, parlent de quotas et de discrimination positive, au lieu de parler du droit fondamental de la femme à la représentativité.» «C'est la première fois depuis la révolution que je ressens de la discrimination parce que je suis femme», déplore-t-elle.
Pourtant, Shahinaz n'est pas au bout de ses surprises. Le 9 mars, alors que des femmes sont sorties réclamer leurs droits, elles sont attaquées par des groupes d'hommes. Certaines sont arrêtées, maltraitées et forcées de subir des tests de virginité pour échapper à une condamnation. Malgré cet «incident», peut-on espérer un changement pour les femmes au lendemain d'une révolution où les islamistes étaient les grands absents ? Mona Prince, 40 ans, professeure de lettres à l'université Canal de Suez, reste confiante : «La révolution nous a surpris. Ce qui s'est passé est nouveau et créera ses dynamiques. A chaque fois que nous perdons espoir, quelque chose de positif se produit. Pendant les jours que j'ai passés à la place Tahrir, je n'ai ressenti aucune discrimination ou injustice à mon égard, bien que je ne sois pas voilée, que je fume et que j'embrasse mes amis. Nos droits se concrétiseront. C'est une question de temps et de persévérance. Je ne m'inquiète pas pour le futur de l'Egypte. Ce sera un Etat civil et un Etat de droit», nous confie-t-elle.


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