Depuis bientôt trois mois, quatre promotions successives de résidents ont abandonné leur travail pour obliger les pouvoirs publics à se pencher sur leur situation et répondre à leurs revendications, somme toute, légitimes et dont la principale est la suppression du service civil perçu, d'abord, comme une mesure discriminatoire et comme une mesure souvent difficilement supportable sur le plan individuel et familial.En effet, pourquoi les médecins résidents sont-ils les seuls diplômés universitaires à être astreints à effectuer le service civil ? L'intérieur du pays est-il pourvu de manière suffisante en spécialistes, toutes disciplines confondues et en tous domaines ? Certes, les besoins en médecins spécialistes pour l'intérieur du pays sont tels que les pouvoirs publics ont été contraints d'opter pour une politique zonale dans un souci de répondre à la demande en soins des populations des Hauts-Plateaux et du Sud. Les besoins en santé sont d'ailleurs tels que l'Etat n'a pas hésité, il y a six ans, à faire appel à des médecins de Cuba et de Chine, posant par là même une question récurrente sur notre politique de santé publique. Comment, en effet, peut-on faire appel à des praticiens étrangers pour faire fonctionner les hôpitaux de l'intérieur du pays alors que les universités algériennes ont formé plus de 70 000 praticiens depuis le recouvrement de l'indépendance nationale, dont 10 000 ont choisi d'émigrer chez l'ancienne puissance colonisatrice. A la veille du cinquantenaire de l'indépendance, cette situation sonne comme un échec de notre politique de santé. D'un autre côté, nous ne pouvons pas affirmer que les médecins résidents sont dans leur droit de réclamer la suppression du service civil. Ils demandent, en fait, la simple application en leur faveur d'un principe constitutionnel, celui de l'égalité de tous les citoyens face à la loi. Ils ne comprennent pas pourquoi ils sont les seuls à payer une «amende» qui n'est point appliquée à tous leurs camarades diplômés universitaires. C'est donc, en toute logique, qu'ils s'insurgent contre ce qu'ils considèrent comme une injustice flagrante et donc insupportable. Diverses répercussions socio-économiques de cette mesure injuste sur leur vie quotidienne leur donnent d'ailleurs raison. Ainsi, après de longues études qui s'étalent en moyenne sur onze années après le bac, alors que les garçons doivent en plus effectuer leur service militaire, ils peuvent enfin accéder à la vie professionnelle. Ils sont alors âgés en moyenne de trente à trente-trois ans, ils se marient souvent à ce moment-là. Le service civil est souvent vécu comme un véritable désastre familial, les traditions aidant, en particulier pour les couples de médecins qui se trouvent disloqués au seuil de leur vie commune par des affectations bureaucratiques qui ne prennent pas en considération leur droit de vivre en famille. Par ailleurs, la profession s'est largement féminisée. Près de 70% des médecins spécialistes sont des médecins femmes, qui ont toutes des difficultés à abandonner leur milieu familial pour rejoindre des affectations lointaines et souvent dans des conditions précaires. Enfin, dans d'autres cas, la fin des études de spécialité pour certains ne représente qu'une étape dans leur cursus universitaire, que les futurs candidats aux postes de maîtres assistants essaient de mettre à profit pour préparer le concours. C'est pourquoi ils s'efforcent à rester dans leur lieu de formation pour mieux préparer leurs prochains examens. Un débat est nécessaire En tout état de cause, le recours au service civil est une solution de facilité qui a été privilégiée par les décideurs de la santé publique depuis bientôt quatre décennies. Contrairement à ce que l'on peut penser, cette politique peut se révéler coûteuse et d'un impact aléatoire sur la santé publique. Ainsi, que de spécialistes affectés dans des régions éloignées de la capitale ou des grands centres universitaires se sont retrouvés dans des centres hospitaliers dépourvus, ils ont réclamé des équipements qu'ils n'ont reçu qu'à la fin de leur séjour, compromettant grandement leurs capacités à servir dans leurs diverses spécialités ? Une fois ces médecins partis, ces équipements n'ont souvent pas servi, quand ils ne se sont pas détériorés, faute de médecins remplaçants, dans la même spécialité, car les affections plus soucieuses de nombre que de qualité, ont concerné d'autres médecins dans des spécialités différentes, entraînant les mêmes erreurs et par voie de conséquence des pertes considérables pour le budget de la santé. La durée de l'affectation étant en rapport avec les zones jugées les plus déshéritées a parfois entraîné une surmédicalisation inutile de certaines régions, car beaucoup de médecins voulant se «débarrasser» de cette corvée ont insisté pour être affectés dans ces régions pour y faire un séjour minimal. C'est ainsi que par exemple l'hôpital de Timimoun, où il y a une activité opératoire réduite, s'est vu «gratifier» de trois médecins réanimateurs en 2009 alors que certains hôpitaux du Nord peinaient à répondre à la demande en soins, faute de médecins réanimateurs. De même, des médecins radiologues ou biologistes se trouvent affectés dans de petits hôpitaux de l'intérieur, alors que des hôpitaux du Nord en sont dépourvus malgré une activité particulière requérant leur présence. Il apparaît donc que l'application du service civil aux seuls médecins spécialistes à l'exclusion de toutes les autres catégories de diplômés universitaires viole un principe constitutionnel, celui de l'égalité de tous devant la loi, tout en étant loin de répondre aux besoins et attentes des citoyens et encore moins de générer les résultats proclamés. A-t-on un jour évalué l'impact de cette politique tant décriée aujourd'hui par ceux qui la jugent «injuste» ? Il existe d'autres solutions plus rationnelles et par conséquent facilement acceptables et partant, plus durables que cette politique conjoncturelle de fuite en avant. La proposition d'un moratoire par le président de l'APN est une solution provisoire dans l'attente d'une solution définitive qui est tout à fait possible en trois ou quatre ans. A titre d'exemple, prenons la wilaya de Ouargla. Cette wilaya qui comptait au début des années quatre vingt dix-sept médecins en compte aujourd'hui près de cinq cents ! Il suffirait d'ouvrir un concours aux médecins généralistes exerçant dans cette ville en vue d'une formation spécialisée suivant les besoins en santé de la wilaya. Les médecins exerçant dans cette wilaya en sont, dans leur écrasante majorité, originaires. Ils n'ont aucun intérêt une fois devenus spécialistes à la quitter. Donc, outre la possibilité de répondre à terme durablement au manque de médecins spécialistes, on offre la possibilité aux médecins généralistes locaux d'améliorer leurs compétences et de mieux répondre aux besoins locaux de santé publique. Cette solution ne remet pas en question le système classique de formation de médecins résidents mais impose de le revoir, car il est issu de la réforme de 1972 et toute réforme a besoin d'être ajustée avec le temps. Rappelons à ce propos la décision du gouvernement en 1986, lequel confronté au manque aigu de spécialités médicales de base a pris la décision de former mille spécialistes par an en neuf spécialités jugées prioritaires, tout en réduisant de façon drastique l'accès aux spécialités jugées non prioritaires pendant quelques années. Cette mesure n'a pas été appliquée suffisamment longtemps, ce qui n'a pas permis de régler définitivement le problème, mais a permis malgré tout de surmonter les difficultés du moment. La formulation et la mise en œuvre d'une véritable politique de santé publique et plus largement privée nécessite l'ouverture d'un débat et d'une concertation élargis à tous, avec comme seule préoccupation le souci d'améliorer notre système de santé et d'assurer à chaque citoyen son droit constitutionnel à une santé de qualité, quel que soit son lieu de résidence en dehors des préoccupations conjoncturelles et autres… Notre peuple mérite bien cela et notre pays a les moyens d'une telle politique.