Paf ! Giboulée ! Re-paf ! Re-giboulée ! Puis crachin… Nous sommes à Andheri, un quartier à quelque trois kilomètres de l'aéroport international Chhatrati Shivaji de Mumbai ou Bombay, où la mousson fait fréquemment des dizaines, voire des centaines de morts, à la suite d'inondations et de glissements de terrain. Mumbai (Inde) De notre envoyé spécial A Mumbai, début du mois de septembre, c'est la saison des pluies, saison cruciale pour le riz, la canne à sucre et bien d'autres produits agricoles. Comme on le sait, la mousson va du mois de juin à celui de septembre, c'est la période humide, puis vient l'autre qui est sèche. Il pleut donc, et il fait chaud. Aussi ça mouille de partout, l'homme marine dans son jus, et le ciel laisse tomber le sien. Pluie et sueur. On respire de l'air liquéfié, dirait-on, pis encore, par moments, l'humidité est à couper au couteau. Des problèmes respiratoires, on en a au début, puis on finit par s'y habituer ou par bonheur le corps ou les poumons s'y adaptent. Première scène de rue : une chienne squelettique est allongée de tout son long sur ce qui semble être un trottoir, un œil à peine ouvert sur les passants, l'autre fermé ; un chiot bataille de ses deux pattes antérieures à faire sortir une goutte de lait. Deuxième scène à quelques mètres, au coin de la rue : un amas de détritus est la proie d'une nuée de corbeaux, de quelques chiens et de deux vieilles femmes.ça se côtoie sans bagarre. Chacun a sa part. Bien entendu, les Indiens n'y jettent pas le moindre coup d'œil. Les chiens errants, il y en a dix à la douzaine, et les chats aussi. Et les corbeaux. Un type de corbeau élégant, avec des yeux farouches et un long bec pointu. Troisième scène : trois vaches s'arrêtent devant un marchand de fruits et légumes. La plupart des passants n'oublient pas d'en toucher l'une d'elles, au niveau d'une jambe postérieure, du jarret, de la queue… Le marchand leur fait signe d'avancer, et elles s'exécutent, allant derrière sa baraque de fortune, pour s'en donner à cœur joie. En plus des boutiques huppées ou non, comme partout dans le monde, des baraques, des tables et des étals le tout fait de rebuts de bois, de métal et de plastique, sont alignés parallèles aux premières et font office de gargotes, de kiosques et de magasins. Ce qu'on peut appeler chez nous le commerce informel. Tout se vend et tout s'achète. Il n'y a qu'à y regarder en une minute pour s'en convaincre. Des fruits qu'on connaît et d'autres dont on n'imagine pas jusque-là l'existence, il en est tout autant pour les légumes. Ah, les épices des Indes ! Pas de concentré de tomate ici, mais le curry. Pour le visiteur, la rue semble encombrée. Tout espace est utilisé, exploité, aussi petit soit-il. Les vendeurs ambulants savent où s'installer, sans gêner autrui, et loin des flaques d'eau qui peuvent se former à tout moment et en un laps de temps ; le mendiant sait où il doit s'asseoir pendant toute la journée, sans avoir à changer de place. La chaussée, c'est pour les passants et les automobiles. Ces dernières sont typiquement indiennes ; les Tata, les Mahindra et les autorickshaws, tricycles motorisés, des tortues rapides. Le feu passe au vert, et vroum ! Tout roule, la priorité à gauche, ça vrombit, ça pétarade, ça grince… et surtout ça klaxonne ! Les Indiens peuvent se targuer d'être les champions de la conduite dans un espace réduit, ils conduisent bien, au millimètre près, et ils se conduisent bien aussi, puisque durant deux journées, nous n'avons pas assisté à une seule chamaillerie entre deux conducteurs. Au lieu de cela, ils klaxonnent, ils le font, -juste ce qu'il faut, c'est sec et court-, pour qu'on leur cède le passage, ils peuvent se targuer également d'être les champions des coups de klaxon. Donc, il ne s'agit pas de n'importe quelle rue de n'importe quel pays, c'est une rue sale, certes, pleine de gens aussi, mais qui, pleine de vie et de vivacité, qu'on l'aime ou pas, a une personnalité, une identité, une nationalité. Les Indiens, qui sacralisent l'environnement et vivent en osmose avec la flore et la faune, disent que l'insalubrité est présente partout à travers le monde. Eux, veillent à ce qu'il n'y ait pas de saleté dans la tête, c'est ce qui compte. Là, nous entamons l'hindouisme, l'immémoriale spiritualité et mystique hindoue.Ainsi donc les bidonvilles côtoient les grands ensembles, apparemment sans problème aucun. à une belle villa ou un joli édifice, est adossée une bicoque où vivent plusieurs personnes. Entre deux quartiers dont l'architecture est moderne et décente, voilà tout un espace de bidonvilles. Invivables. Tout le long d'un trottoir et contre une murette, plusieurs bâches en plastique, retenues par des bouts de bois ou de métal, font office de maisons. Avec n'importe quoi, on fait un toit, et toute une famille y habite. Pour s'en mettre plein la vue, osez pénétrer dans l'un plus grands bidonvilles du monde : Dharavi. Plus d'un million de personnes environ y vivent. L'artisanat y connaît un boom florissant inimaginable. L'art de plumer les touristes Certains commerçants de Mumbai ont trouvé l'astuce pour plumer les touristes. Ils ne font, comme nous le verrons plus tard, que profiter de la spécificité de cette mégapole de déperdition. Avec ses banlieues et autres quartiers lointains, elle compte selon des estimations plausibles une trentaine de millions d'habitants. Pas facile de s'y engouffrer tout seul ou même accompagné. S'y aventurer, c'est, au mieux, une perte de temps incommensurable, au pire, la perdition assurée. Aussi pour le touriste pressé, voulant voir beaucoup de choses en peu de temps, le taxi constitue le meilleur moyen de faire, du moins, les plus importants sites touristiques de la ville. Nous l'avons fait. Nous avons sollicité le réceptionniste de l'hôtel Highway Hôtel Inn en l'occurrence, de nous faire venir un taxi pour faire le tour de la ville, avec un conducteur sachant parler l'anglais, car la chose n'est pas évidente. Les habitants parlent le marâthî, l'indî et le gujarâti, cependant beaucoup baragouinent un peu l'anglais et d'autres n'en savent pas un mot. Le réceptionniste me propose un circuit de 80 km et 8 heures pleines de route, entrecoupées de pauses pour le shopping, la restauration et autres prises de photos. Cela doit nous coûter 1200 roupies, soit environ 18 Euros (1 Euro équivaut en moyenne à 65 roupies). C'est bon, voire alléchant. Quelques minutes après, une Tata Indico de couleur blanche se gare devant l'hôtel. « Mais ce n'est pas un taxi », disons-nous au réceptionniste. « That is private », répond-il tout de go. Tant qu'à y faire… Et nous sommes partis. Le chauffeur est musulman, appelons-le Abdul, il a 35 ans, marié, trois gosses, dont deux bébés. Il travaille pour le compte d'un Hindou, il est de la caste Intouchable. Et nous l'avons touché, avec sa permission, bien entendu. Il en a rigolé. Il observe le « Ramazan », mais il chique. Cependant, nous dit-il, beaucoup font le carême scrupuleusement, comme le stipulent les préceptes de l'islam. De temps en temps, il sort sa tête de la portière pour cracher. Il pleut. Il ferme les vitres et allume la clim, car autrement, c'est la fournaise. Nous allons à Gateway of India (la porte des Indes), c'est au bout du cap Coloba. Il me montre le temple consacré à Ganesha ; dans l'hindouisme, ce corps d'homme à tête d'éléphant est le dieu de la sagesse, de l'intelligence, de l'éducation et de la prudence ; d'ailleurs, demain jeudi 3 septembre, commenceront les festivités en son honneur. L'Etat de Maharashtra, dont Mumbai est capitale, s'adonnera à une importante célébration du dieu, durant 10 jours. Dans le quartier Bandera, voici au-dessus de nos têtes, tout un monde qui marche sur un bridge walking, une sorte de passerelle de 3 km. Ces passerelles sont nombreuses. Comme quoi, tous les moyens sont bons pour juguler une foule qui va crescendo, en se multipliant. Un géant qui arrive doucement… L'on se gare tout près de Muslim Place dans le quartier Maihim Dargah, puis, à pied, nous empruntons un long débarcadère en direction de la mosquée Haji Ali Dargah. Tout le long de cette jetée de trois ou quatre mètres de largeur, et de cinq cents à huit cents mètres de longueur, que de pèlerins ! Mais aussi que de mendiants, d'éclopés et d'omnipotents ! Des miséreux, à l'entrée de la jetée, des chèvres maigrichonnes et même, s'il vous plaît, deux jolis moutons ! Mais les maîtres des lieux, ce sont, comme partout ailleurs, les corbeaux. Nous faisons le tour de la mosquée ; à l'entrée, nous voyons le tombeau de Haji Ali ; pour y pénétrer, il faut enlever bien sûr les chaussures, et il y a des gosses pour vous les garder. Dans Marine Line, un autre bridge walking de 3 km, là, c'est la grande station ferroviaire. C'est le quartier des affaires, la vieille cité coloniale, où se trouve la gare Chhatrapati Shivaji Terminus ou CST (ex-gare Victoria) au style gothique. Elle est inscrite au patrimoine mondial. Enfin, nous arrivons à Gateway of India, c'est tout simplement majestueux. Une porte gigantesque qui semble dire aux Britanniques, vous êtes venus par cette porte, et vous êtes sortis par la même porte, c'était le 28 février 1948. La porte est construite en basalte jaune dans le style indo-mauresque commémorant la visite du roi George V et de la reine Mary. Sachons que c'est à partir de Mumbai que Ghandi a lancé son mouvement de la non-violence. Dans la route Marine Drive ou la corniche est dans la Worli Sea Face, le panorama de Mumbai n'a pas à envier celui de New York, avec sa tranquille baie naturelle et ses buildings. Nous empruntons le New Bridge Brandra-Worli Sea Link reliant deux bouts de terre de la baie Mahim, sur une distance de 6 km. Il faut dire que tout le long de ce parcours, le chauffeur nous a fait entrer dans plusieurs magasins de souvenirs et autres bibelots ; et dès l'arrivée, quelqu'un vous ouvre la porte, comme s'il vous attendait. Au deuxième magasin, nous avons compris les pigeons que nous étions, et cela saute aux yeux que tout un réseau est mis en place, fonctionnant comme une machine bien huilée. Au quatrième magasin, nous avons refusé de descendre, disant que des souvenirs, nous en avons achetés suffisamment. « No shopping ». Et là, Abdul nous avouera qu'il lui faudra au moins cinq ou six « coupons » pour prétendre à un T-shirt pour son gosse. Il nous adjure de juste pénétrer dans la boutique sans rien acheter. Nous lui disons qu'ils sont tellement collants qu'ils vous arrachent au moins 10 roupies… D'accord, nous ferons deux autres boutiques, c'était vraiment pénible ! Il nous dira qu'avec beaucoup de touristes, il en a eu un paquet, de coupons, un Saoudien, un Européen…Allons, allons, un Saoudien…Vrai, nous avons des puits de pétrole en Algérie, mais c'est pas la même chose, monsieur. Il pleut toujours. La circulation est dense. Il y a beaucoup de sites que nous n'avons pas pu voir, tels que le Parc national de Sanjay Gandhi, le musée Chhatrapati Shivaji (ex-Prince de Galles), l'Île des éléphants. Des mastodontes rouges se voulant être des bus frôlent des autorickshaws crâneurs et virevoltants ; l'éléphant et le tigre se côtoient dans la sérénité. L'Inde a tout à la fois l'agilité et l'élégance du tigre du Bengale et la force de l'éléphant ; c'est un géant qui arrive doucement, mais sûrement. Nous revenons à Andheri.