Le constat d'échec est édifiant, et le CNES, peu suspecté d'ostracisme à l'endroit du pouvoir en place, surtout depuis la désignation de Mohamed Seghir Babès à sa tête, vient d'en apporter la preuve documentaire la plus irréfutable. Lorsque le Premier ministre se fait le simple commentateur de l'actualité, en dénonçant le crime organisé et le grand banditisme, il confesse son impuissance à prévenir et endiguer ces deux fléaux, et par voie de conséquence son inaptitude à gouverner le pays. Jamais la délinquance financière n'aurait atteint les sommets dramatiques qui sont aujourd'hui les siens, — ce qui augure mal du reste de l'avènement d'un Etat de droit avant des temps très lointains —, si l'Exécutif et les appareils répressifs qui lui sont subordonnés avaient été au service de l'intérêt de l'économie nationale, au lieu d'être asservis aux clans et factions, dont les barons de l'informel ne sont que les fidéicommis. Qui peut le plus peut le moins. Si un nombre non négligeable d'innocents (je ne peux manquer de penser à Mohamed Antri Bouzar pour lequel le patron des boissons Rouiba, le courageux Slim Othmani, ne cesse de se battre pour qu'il puisse bénéficier d'une grâce) peuvent être détenus des années durant, au mépris des règles les plus élémentaires de la procédure pénale, comment expliquer à l'opinion publique que les plus grands criminels en col blanc, suspectés d'évasion fiscale et de capitaux hors du territoire national, de contrebande aux frontières pour des montants avoisinant les 15 milliards de dollars par an, de trafic de drogue dure (cocaïne et héroïne), d'importation de véhicules volés à l'étranger qui sont activement recherchés par Interpol (M. Dominique de Villepin, alors ministre de l'Intérieur du gouvernement français, avait, en 2004, effectué une visite officielle en Algérie à la seule fin d'alerter le président de la République sur l'ampleur inégalée du phénomène des vols de véhicules à partir du territoire français et qui entraient sans difficultés sur le territoire algérien) coulent des jours paisibles sous le ciel d'Algérie, ou quittent le pays en se jouant des contrôles de la PAF, ou encore sont élargis après avoir purgé seulement le 1/20e de leur peine, lorsque par extraordinaire il leur arrive d'être jugés puis condamnés. Que le Premier ministre réponde. S'il est si facile de faire condamner dans notre beau pays des innocents, il ne devrait pas être tellement compliqué de laisser la police judiciaire et les magistrats (dont un grand nombre sont compétents et intègres, quoique puissent en dire les thuriféraires zélés d'une dépénalisation sans bénéfice d'inventaire de l'acte de gestion) aller jusqu'au bout de leurs investigations visant ces nouveaux fossoyeurs de l'Algérie indépendante, à propos desquels le retrait de leur nationale d'origine devrait être désormais à l'ordre du jour, quel que impressionnant que puisse être leur nombre. Entendre un Premier ministre se contenter de pousser des cris d'orfraie devant la montée de la corruption et de l'affairisme le plus sordide, alors qu'il est à la tête du RND depuis 1997, laisse pantois. N'a-t-il pas été le deuxième personnage de l'Exécutif à quatre reprises en 15 ans ? Last but not least, personne n'ignore que l'Alliance présidentielle au sein de laquelle son parti joue un rôle prépondérant gouverne sans partage le pays, que la société civile est éclatée, que l'opposition n'est qu'une coquille vide et que les élites intellectuelles ont démissionné de leur office moral depuis longtemps. Un patriotisme économique en trompe-l'œil Quelques exemples suffiront à montrer que ce pays est gouverné de façon particulièrement insolite. Lorsque le Premier ministre fustige le FMI, en déclarant qu'il est fini le temps où celui-ci dictait aux autorités algériennes la conduite à tenir en matière de gestion des équilibres macro-économiques, il fait preuve d'une profonde immaturité politique. D'abord, le FMI ne porte aucune responsabilité dans l'endettement massif que le pays a connu à partir du milieu des années 1980 et tout au long des années 1990. Si les autorités algériennes ont été obligées, après moult hésitations, les unes plus injustifiées que les autres, de rééchelonner in fine leur dette, c'est à cause de la succession d'impérities commises par les successeurs de Houari Boumediène, alors que depuis quelques années, le FMI ne cesse de rappeler l'Algérie, comme il le fait à l'égard de tous les Etats prenant des libertés avec la gestion de leurs finances publiques, à une meilleure gouvernance de ses dépenses publiques. Jusqu'à preuve du contraire, le ministre des Finances algérien est désigné par le président de la République et non par le conseil d'administration du FMI. L'Algérie n'est pas, que l'on sache, formellement inféodée à quelque institution internationale que ce soit. Le rappeler avec ostentation relève d'une rhétorique inepte. Cela dit, il est normal que l'Algérie, en sa qualité de membre du Fonds, contribue à la stabilité financière internationale et à la consolidation des fondements de la reprise économique mondiale. Faut-il rappeler au Premier ministre que les ressources sollicitées par le FMI des Etats membres (d'un montant de 430 milliards de dollars) seront mises à la disposition des Etats pour la prévention et la résolution des crises qu'ils traversent et pour répondre aux besoins de financements qu'ils expriment. Il s'agit de prêts et non de dons. Ces prêts seront remboursés à l'issue d'une échéance à négocier et seront majorés des intérêts de droit, comme vient de le rappeler la directrice générale du FMI, le 20 avril dernier. Pas de quoi fouetter un chat. Au moment où l'Algérie laborieuse (celle qui vit exclusivement des fruits de son labeur et non, bien évidemment, l'Algérie des rentiers et des spéculateurs), s'interroge sur la destination des milliards de dollars qui prennent chaque année la poudre d'escampette vers les paradis fiscaux, au moins sera-t-elle fixée sur le montant de la contribution de l'Algérie au FMI, ainsi que sur celui des intérêts qu'elle rapportera au Trésor public. Le Premier ministre n'a pas le droit de mettre en porte-à- faux notre pays par rapport à des institutions internationales que ses successeurs pourraient être amenés à solliciter si, comme tous les éléments disponibles le donnent hélas à penser, des ajustements macro-économiques délicats devaient être opérés dans les années qui viennent pour obvier à la dérive actuelle des finances publiques. Sur un autre registre, le patriotisme économique ne peut pas se décliner en déclarations d'intentions, effets d'annonce ou professions de foi stériles. Plus fondamentalement, le patriotisme économique est une chose, le non-respect par l'Algérie de ses engagements internationaux en est une autre. Lorsque l'Algérie s'engage par voie de traités et de conventions internationales, elle le fait en tant qu'Etat souverain et indépendant, nul ne pouvant, en principe la mettre en situation de conclure des accords qui nuiraient à ses intérêts. Or, que de lois et de décrets, présidentiels comme exécutifs, pris ultérieurement à l'introduction dans l'ordre juridique algérien de conventions internationales dûment ratifiées et que la Constitution (première source du droit) dote d'une autorité juridique supérieure aux lois, ne sont-ils pas venus remettre en question les avantages et privilèges accordés aux investisseurs étrangers et consacrés dans des clauses dites de stabilisation et d'intangibilité qui prémunissent ces investisseurs contre les aléas législatifs résultant d'une modification des lois et règlements applicables sur le territoire algérien. Jamais depuis l'indépendance, il n'y a eu autant de menaces de la part des investisseurs étrangers de recourir à l'arbitrage international contre l'Etat algérien et toujours dans les domaines stratégiques (hydrocarbures, télécommunications). Où est l'Etat législateur ? Ceux qui ratifient les conventions internationales appartiennent-ils à une autre administration d'Etat que ceux qui conçoivent les textes qui leur portent atteinte ? S'agissant de la stratégie industrielle, véritable serpent de mer des deux dernières législatures, le Premier ministre porte une part de responsabilité écrasante dans la poursuite du processus de désindustrialisation du pays, puisqu'aussi bien depuis 1999, il n'y a pas eu l'esquisse d'une esquisse de stratégie de redéploiement de l'appareil de production. Hamid Temmar se défend de tout immobilisme et semble accabler le Premier ministre qui aurait bloqué toutes ses initiatives depuis 2004. Ce qui ne fait pas de doute, par contre, est qu'en cette année 2012, l'Algérie ne dispose plus d'aucun avantage comparatif au sein de l'espace euro-méditerranéen parmi les pays de l'Est et du Sud de cette région, comme le prouve surabondamment l'implantation d'une usine de montage de véhicules Renault au Maroc et le refus prévisible de la firme Renault d'installer une usine comparable en Algérie. Et comme si cela ne suffisait pas à notre malheur, voilà le Premier ministre qui lance à la volée une algarade à l'endroit de la Turquie officielle, allant jusqu'à évoquer la fuite du dey Hussein d'Alger devant les troupes françaises d'occupation du maréchal de Bourmont en juillet 1830. Dérapages délibérés ou actes manqués, ils en disent long sur l'état d'esprit de certains de ceux qui gouvernent ce pays et démontrent le peu de respect et de considération dû à un pays frère qui comptera parmi les dix plus grandes puissances économiques du monde à l'horizon 2023. Lorsqu'on sait, par ailleurs, que la Turquie avait d'ambitieux projets de partenariat avec l'Algérie, dont notamment la fabrication de produits à haute valeur ajoutée destinés à l'exportation vers les pays d'Afrique qui connaissent depuis quelques années une forte croissance économique, on reste stupéfait devant un tel aveuglement. Une gouvernance approximative et improvisée La loi de Finances complémentaire pour 2009 devait modifier en profondeur la structuration de l'appareil de production de l'Algérie, puisqu'elle était aussi bien censée, selon les propres termes du ministre des Finances, consacrer le choix de l'Algérie en faveur de l'industrialisation par substitution aux importations et une stratégie d'industrialisation par valorisation des exportations. C'est la première fois dans l'histoire moderne des nations qu'une loi de finances, qui plus est, complémentaire, recèle cette vocation de poser les linéaments d'une double stratégie d'industrialisation qu'aucun pays dans le monde n'a pu encore réaliser à ce jour. Cette prétendue instrumentation d'une nouvelle politique économique, plus que son caractère hétérodoxe, révèle la profondeur du mépris affiché par le Premier ministre à l'égard de tous les experts et spécialistes algériens qui ont dédié toute leur vie à l'étude et l'analyse de l'économie algérienne, en mettant en garde l'Exécutif contre ses choix et son impuissance à encourager la diversification de l'économie nationale, autrement que par l'incantation. Elle vient confirmer le fait que le gouvernement se gausse complètement des réactions que suscite sa propension à vouloir tordre le cou aux concepts et aux notions les mieux établis en sciences économiques et en économie politique. Ce que l'on observe trois années après l'adoption de la LFC pour 2009, est que les importations n'ont cessé d'augmenter, que les fraudeurs qui devaient être radiés de tous les registres du CNRC n'ont pas désarmé ou ont cédé la place à plus malfaisants qu'eux, que les exportations stagnent, cependant que la dépendance de l'Algérie à l'égard du pétrole augmente à mesure que s'accroissent les besoins sociaux des populations, l'achèvement de la transition démographique ne devant faire sentir ses premiers effets qu'à l'horizon 2025, mais alors le vieillissement de la population induira une augmentation considérable des dépenses de santé que la sécurité sociale ne pourra, à elle seule, prendre en charge, ainsi qu'une remise à plat de la retraite par répartition, tout au moins dans ses modalités actuelles. Là, résident les défis du futur et nulle part ailleurs. Ni la situation sécuritaire prévalant dans la zone sahélo-saharienne ni les relents de terrorisme international, qui se trouvent imbriqués dans des liens complexes avec le crime organisé, ne menacent la stabilité du pays qui en a vu bien d'autres. C'est dans la gouvernance calamiteuse des affaires de l'Etat (que le CNES vient de mettre au jour de façon magistrale suite à une commande du chef de l'Etat) que gît la plus grande incertitude quant à l'avenir du pays et au destin des générations montantes. Mais si constat d'échec de l'action du gouvernement il y a, on s'en voudra de faire croire que les personnalités appelées à lui succéder feront subir au pays le saut qualitatif dont il a urgemment besoin. 50 ans après l'accession de l'Algérie à l'indépendance et 23 ans après l'adoption du constitutionnalisme libéral, la société politique algérienne reste trop peu différenciée. Les mécanismes d'allégeance personnelle, les réseaux clientélistes, les solidarités familiales, claniques, tribales et, depuis 1999, confrériques, continuent de germer sur un terreau aussi fertile que celui qui avait irrigué les liens primordiaux à l'époque de l'Algérie précoloniale. C'est assez souligner le caractère potentiellement statique de notre société. Certes, il est exact qu'il existe un relatif polycentrisme des pouvoirs (rendu nécessaire pour la survie même du régime et imposé également par l'insertion contrainte de l'Algérie dans la globalisation), un certain pluralisme idéologique au sein de la société (attesté, entre autres signes, par l'extrême diversité des pratiques religieuses et un Islam revivaliste qui s'inscrit à rebours de l'islamisme radical des années 1990) ainsi qu'une certaine liberté d'expression qui incommode d'autant moins le pouvoir que le lectorat de la presse critique se rétrécit comme une peau de chagrin. Toutefois, l'ensemble des ces éléments ne font pas de l'Algérie une démocratie, ni même un pays en transition vers l'Etat de droit, il s'en faut de beaucoup. Le traitement policier des conflits, la violence judiciaire qui s'exerce principalement sur les lampistes et les électrons libres continuent de s'y déployer sur fond d'anomie sociale, d'apathie et d'indolence d'un corps social, hanté par les risques de dégradation de son pouvoir d'achat et les difficultés d'accès principalement aux soins, à l'éducation et à l'habitat social. L'appropriation de la rente pétrolière par une minorité de privilégiés qui n'entendent fidéliser que des groupes sociaux étriqués ne disposant d'aucun ancrage social, exacerbe les frustrations sociales et alimente un incivisme et une indiscipline dans le travail qui ne laissent pas d'inquiéter, paradoxalement au moment où la mobilisation de toutes les forces vives du pays est devenue un impératif pour préparer l'après pétrole. Seule, pourtant, une véritable diversification de l'économie algérienne, pour laquelle milite activement le FCE, serait de nature à redistribuer les cartes en augmentant l'autonomie de tous les acteurs économiques, sociaux et culturels par rapport à l'Etat, tout en accroissant la part dans le PIB de la richesse produite par le travail des hommes et des femmes aux dépens de celle des hydrocarbures. Malheureusement, il est impossible de se dissimuler le degré d'imprégnation de la mentalité rentière dans les comportements de la quasi-totalité de nos compatriotes, c'est dire si le chemin qui conduit à la vertu économique est encore long. Le Premier ministre aurait fait preuve d'humilité devant les faits, de modération dans son expression publique et de davantage de considération pour les populations algériennes (auxquelles il demandait, il y a encore quelques mois, de rendre grâce au ciel que les écoles publiques gratuites puissent servir de garderies pour leurs enfants) qu'il aurait été malséant de l'accabler. Mais grisé par les assurances supposées ou réelles qu'il aurait reçues de ses mentors sans lesquels il ne serait encore qu'un illustre inconnu, il a préféré prendre le parti de la condescendance, du paternalisme et du mépris pour s'adresser aux Algériens, qui, dans leur écrasante majorité, le rejettent.