– Discrimination, racisme et xénophobie ont connu, ces derniers temps, une recrudescence jamais égalée partout en Europe. La Suisse a-t-elle, elle aussi, été affectée par le phénomène ? En Suisse, il y a toujours eu un bouc émissaire pour l'extrême droite suisse. Dans les années 1970, c'étaient les Italiens, puis les Portugais, puis les ex-Yougoslaves, puis les Albanais, puis les Africains et maintenant c'est au tour des Maghrébins. Mais en général, la Suisse reste un paradis pour les étrangers. Ce n'est pas la France ou la Hollande, Dieu merci. Actuellement, nous assistons à un phénomène complexe : plus l'islamophobie et le racisme augmentent, plus les Algériens se réfugient dans les mosquées en Europe. La communauté algérienne établie en Suisse n'échappe pas à cette tendance. – Bien qu'ils soient très peu nombreux comparativement aux autres nationalités, nos compatriotes clandestins sont montrés du doigt, à Genève surtout. Considérez-vous comme légitime cette image détestable que l'on s'y fait des Algériens ? Les 400 harraga, dits «Zizous», recensés par la police de Genève sont des multirécidivistes, violents, des joueurs de couteau qui habitent dans les caves. Ce sont de jeunes Maghrébins spécialisés dans les agressions et le vol de portables. D'après notre consulat, ils ne sont pas tous algériens, mais en tout cas Maghrébins. Comme ils ont brûlé leurs passeports, ils sont difficilement expulsables par la police suisse. C'est un grave problème pour les Suisses et surtout pour notre communauté algérienne qui est si bien intégrée et respectée par les Suisses. Le gouvernement algérien, malgré l'accord de réadmission signé avec la Suisse en 2005, peine ou traîne à ratifier le protocole d'application de ladite convention. La condition de l'Etat algérien : pas de retour forcé de degré 4 (vol spécial avec menottes, scotch et gendarmes Rambo). Mais, à cause de ses crimes et incivilités, notre communauté est stigmatisée et nos enfants de plus en plus contrôlés par la police suisse. Si Alger ne fait rien, nous craignons un scénario à la française à cause de quelques Algériens sans avenir en Suisse. – Peut-on donc parler de la naissance d'un phénomène «Zizou» à Genève ? Si c'est le cas, comment la Confédération helvétique s'y prend-elle pour le contrer ? Oui, on peut le dire. Les opérations de la police de Genève face au phénomène des «Zizous» se multiplient : première opération en 2010, la police a d'abord réagi par la répression par le biais d'opérations coup-de-poing dans la zone de la gare de Genève. Deuxième opération en 2011, par une action prolongée sous le titre «opération Figaro». Résultats nuls, les harraga sont devenus multirécidivistes, faisant des aller-retour en prison. Ils se sont immunisés contre la prison. Aujourd'hui, ils agressent même les policiers. Troisième opération en 2012 : plan «Maghreb» qui propose aux Algériens et Maghrébins coopératifs de l'argent pour le retour : 500 francs suisses si les harraga déclarent leur vraie identité, 1000 francs suisses s'ils montent dans l'avion sans problème, 2500 francs suisses une fois arrivés à Alger pour les aider à trouver une formation sur place. Mais cette somme sera gérée par une ONG italienne en Algérie. Comme quoi tous les milliards de dinars que l'Algérie met chaque année dans les centres de formation professionnelle dans chaque wilaya et les différents dispositifs tels que de l'Ansej et la CNAC n'ont pas alléché ces jeunes. Alors, les Suisses pensent qu'avec ces aides, on peut leur faire changer d'avis. – Qu'en est-il de notre diaspora ? La majorité des Algériens et Algériennes établis en Suisse sont des universitaires. Ils travaillent dans les administrations, l'industrie high-tech, les banques, hôpitaux, universités suisses, instituts de recherche, et, bien sûr, des avocats et hommes d'affaires, etc. La plupart ont été formés dans les universités algériennes en premier chef dans les années 1970 et 1980 et se sont perfectionnés dans les excellents centres universitaires suisses, dont deux sont dans le top 10 des meilleurs dans le monde. Les autres sont d'anciens diplomates ou dirigeants. – Cette matière grise est-elle prête à se mettre au service du pays ? Quelles sont ses conditions ? Une intégration des compétences de notre diaspora, très bien formée par les universités du Nord en général, serait un plus stratégique qui se traduirait par un véritable et sincère transfert de technologie tant réclamé par l'Etat et jamais concédé par les entreprises étrangères. La solution au retour se ferait via une rétribution financière équivalente à celle d'un expatrié européen ou américain, comme le fait la Corée du Sud, Taïwan et le Maroc, plus récemment. C'est comme cela que ces gouvernements ont réussi à faire rentrer au pays leurs cerveaux. – La Suisse est devenue un refuge idéal pour nombre d'anciens dirigeants et leur progéniture… Effectivement. On constate que la Suisse, pas uniquement à cause du succès de son secret bancaire, mais surtout grâce à l'excellence et la discrétion de son corps médical, est devenue la 49e wilaya d'Algérie et Genève est une «nouvelle Hydra» pour certains dirigeants et hommes d'affaires algériens. La communauté algérienne en Suisse souhaite avant tout autre chose : la dénonciation du recyclage de l'argent sale de la corruption. Elle dénonce l'absence de liberté d'expression pour les syndicats autonomes, d'ouverture de l'audiovisuel aux privés, du droit de manifester librement, pourtant un droit constitutionnel. Mais le plus important reste la révision totale des codes des prérogatives des municipalités, des wilayas et surtout du chef du gouvernement. Rien que pour cela, il faut une tabula rasa démocratique.