Une deuxième édition, bien mieux pensée, bien mieux organisée. Diverse, intéressante. Bref, à découvrir de 7 à 77 ans. La BD aime les onomatopées : « Slurp ! Boum ! Snif ! » Et à propos du 2e festival international de la bande dessinée d'Alger (FIDBA), c'est surtout splash que l'on entend. Comme une grosse pierre amicale (soit une pomme, comme le veut notre proverbe) dans la rade de la ville dont l'impact provoque un bouillonnement de bulles qui vient chasser l'image de la baie avec ses embouteillages de cargos et les surestaries qu'ils occasionnent à l'Algérie, ses collecteurs d'égouts et autres vilenies que le vol des mouettes s'efforce de compenser. Des bulles pour respirer, des bulles pour rigoler et des bulles pour apprendre, penser, réfléchir, échanger… L'an dernier, nous avions eu raison de ne pas tenir rigueur aux promoteurs de l'évènement, des ratés de l'organisation et autres maladresses. D'abord, parce qu'il faut toujours accorder aux débutants une prime de confiance. Ensuite, parce qu'en dépit des difficultés rencontrées par les organisateurs, mais surtout les visiteurs, on sentait une volonté de mettre en place une rencontre de qualité, d'offrir un programme divers, instructif et attrayant. Au bout du compte, il en était sorti une impression mitigée, notamment sur l'idée de démultiplier les lieux dans la ville, très intéressante au demeurant (par ses effets de proximité), mais qui, à l'usage, s'était avérée nuisible, entraînant une confusion des programmes et des frustrations pour ceux qui voulaient tout voir. On imagine aussi la difficulté à gérer et animer tant d'endroits différents et à devoir négocier avec chaque structure d'accueil. Cette année, un grand chapiteau sur un seul endroit, l'esplanade de Ryadh El Feth, disposant d'une bonne centralité dans la ville, accessible par des moyens de transport publics et particuliers. Un dispositif de communication appréciable et surtout une bonne préparation des équipes dont a su s'entourer la commissaire du festival, Dalila Nadjem, avec des artistes (Nedjaï, Rachida Azdaou), des organisateurs (Smaïl Maouchi, Saâdi Chikhi), des communicateurs (Rachid Allik, Nazim Mekbel) et, bien sûr, des gens de l'art comme Slim, Djilali Beskri, Mahfoud Aïder, le Hic, le vétéran Zanoun ou un authentique érudit de la BD comme peut l'être Luc Chaullet. Cette concentration de compétences et de talents mérite d'être soulignée quand certains festivals se limitent à des encadrements rachitiques ou à des mobilisations à la veille ou presque de l'évènement. En effet, le FIDBA a fait l'objet d'un travail en amont appréciable et professionnel. Un déjeuner de presse, plusieurs mois à l'avance pour annoncer l'évènement et en donner les premières lignes. Une information régulière des médias sur les préparatifs, la production et la diffusion de documents d'information, un montage judicieux des programmes. Rien que de très normal en somme, mais si nous en parlons, c'est bien que celui-ci vient trop souvent à manquer et qu'il serait dommage de ne pas tirer des leçons positives susceptibles d'être étendues. Le ministère de la Culture devrait d'ailleurs organiser un séminaire de formation et d'échanges d'expériences des commissaires et organisateurs de festivals. Dans ce travail en amont, on soulignera l'organisation de concours. Celui de l'affiche, ouvert aux créateurs graphiques, et surtout celui des jeunes talents et jeunes espoirs scolaires dont le jury est resté positivement ébahi par la quantité de propositions et le niveau des productions. En regardant les planches des lauréats, les visiteurs du FIDBA pourront se rendre compte de l'extraordinaire engouement des enfants et des adolescents pour le 9e art. Extraordinaire car, comme peuvent l'attester les étals des libraires et buralistes, la pauvreté des titres de cette discipline nous interloque positivement. Où donc ces bédéistes en herbe ont-ils pu trouver les références et ressources de leurs talents naissants ? C'est là un des mystères insondables de notre étonnante Algérie où un groupe de jeunes passionnés ont réussi à créer une revue de mangas, exemple rare sinon unique dans nos contrées d'appartenance. Donc, avant même que ne commence le FIDBA, celui-ci apportait la preuve, en publiant les résultats de ce concours, de l'existence d'une relève. Ces petits-enfants, car l'on peut parler de troisième génération, sont les descendants inespérés de l'équipe de la revue Mkidèche, qui, dans les années 1970, avait lancé des talents qui avaient connu un envol prodigieux avant d'être cassés par la bureaucratie, les servitudes de la vie, puis l'exil, la mort ou tout simplement le découragement. Avant cette période de repli, à l'instar de toutes les disciplines du pays, le 9e art algérien avait réussi dans les années 1980 à organiser un festival international à Bordj El Kiffan. Une œuvre modeste, soutenue par l'APC aux moyens de fortune (et de bonnes âmes comme un poissonnier du coin !), mais qui avait attiré des pointures internationales comme Moebius ou même Milo Manara ! C'est d'ailleurs grâce à ces participations internationales que l'équipe de Bordj El Kiffan, animée par le regretté Sid Ali Melouah ainsi que Bachir Ait Hammouda, aujourd'hui malade et livré à son sort, que l'Algérie avait eu l'honneur de se voir confier le 1er Festival méditerranéen de la BD, expérience peu concluante, car, à ce niveau, les soutiens avaient cruellement manqué et qu'on était en 1988, année difficile s'il en est. Aujourd'hui, le FIDBA se réclame de la filiation de l'aventure aquafortaine (de Fort de l'Eau, ancien nom de Bordj El Kiffan) et apporte la preuve qu'aucune graine n'est plantée en vain. Le programme présente d'ailleurs une excellente visibilité quant à l'intention des organisateurs de relier les générations. Avec les talents naissants, une place honorable est accordée aux pionniers de cet art. Un Prix d'honneur à Slim assorti d'une exposition intitulée « 40 ans de Bouzidisme », idéologie particulière à cet auteur et à son personnage-fétiche, Bouzid, archétype d'un Algérien populaire, rebelle, parfois revêche, mais toujours bon cœur. Un Prix de la reconnaissance à Saïd Zanoun, véritable vétéran de la BD, né en 1938, personnage haut en couleur, étonnamment divers et encore d'attaque pour avoir participé à la préparation de cette 2e édition. Enfin, reviendra à Melouah le Prix du patrimoine pour ses créations, mais aussi son engagement pour la défense et la promotion de la caricature et de la BD en Algérie. On relèvera dans le programme ce clin d'œil à la Palestine, inclus dans El Qods 2009, capitale de la culture arabe, et qui montrera comment les bulles peuvent peser de tout leur humour et leur gravité dans l'expression de drames historiques. La participation étrangère sera en quelque sorte parrainée par une grande figure de la BD internationale, Etienne Schreder, Belge comme il se doit dans la discipline, auteur de chefs-d'œuvre du genre. Né en 1950, ce n'est qu'à près de 40 ans qu'il abandonne une carrière de cadre respectable pour plonger dans la BD. A noter aussi Marzena Sowa, de Pologne, aux traits purs, aux personnages attachants, qui avait obtenu la Bulle d'or du FIDBA 2008. Avec Laurent Galendon, Alexandre Daniel et Jacques Ferrandez, auteur d'une remarquable saga sur la présence française en Algérie, les visiteurs pourront découvrir le regard de bédéistes français sur la guerre de libération, un regard où domine le désir de comprendre objectivement l'histoire et le point de vue du peuple algérien. De nombreuses autres découvertes avec la BD turque, espagnole, mauricienne, et bien sûr algérienne. Des films d'animation. Des conférences dont celle de Francis Groux, président du festival d'Angoulême, le Cannes de la BD. Les stands d'éditeurs. Une boutique FIDBA, etc. Bref, bonne visite dans ce jacuzzi culturel !