L'art de la bande dessinée se conjugue-t-il uniquement au masculin ? Les avis sont partagés. Hier, lors d'un débat organisé à la faveur du deuxième Festival international de la bande dessinée d'Alger (FIBDA) qui s'achève aujourd'hui à l'esplanade Riadh El Feth, des expériences de plusieurs pays ont été évoquées. Sous le thème « Les femmes à l'assaut de la BD », des intervenantes venues de Tunisie, d'Egypte, du Liban, du CongoBrazzaville, de Belgique, des Etats-Unis et du Canada ont expliqué la difficulté d'être passionnée du neuvième art. Manquait au débat une bédeiste ou une caricaturiste algérienne. Mais où est-elle ? Aucun journal algérien, à titre d'exemple, n'emploie une caricaturiste femme. Ce n'est pas le cas aux Etats-Unis, mais même dans ce pays, selon Jan Eliot, le nombre des femmes est limité dans les publications. « Dans la BD, les femmes sont frappées d'ostracisme, comme c'est le cas dans d'autres arts. Cela dit, 80 % des lecteurs de BD sont des hommes », a remarqué Youcef Sayah qui a introduit le débat. Au Québec, l'expression des femmes, selon Pascale Bourguignon, se fait surtout à travers les Fanzzine éditées par de petites maisons d'édition. « La présence des femmes dépend des maisons d'édition. La proportion varie entre 10 et 50 %. Il reste que les bédéistes anglophones ont plus de moyens », a-t-elle remarqué. Pascale Bourguignon a, pendant longtemps, fait de l'illustration virtuelle. « Ma carte de visite était illustrée par une voiture modélisée. Beaucoup me prenaient pour un homme », a-t-elle dit. Elle est revenue à la BD sur papier après le début de la vogue des vidéogames, conçus par « des jeunes hommes qui travaillent sans arrêt sur ordinateur ». La Belge Laurent Titan, qui porte le prénom d'un homme, ne voulait plus faire carrière dans le marketing. « Il y avait trop d'argent », a-t-elle lancé devant une salle étonnée. Laurent Titan est une artiste dans l'âme. Elle est partie tenter sa chance en Nouvelle Zélande. « Je suis venue à la BD par accident. J'ai participé à des cours par correspondance financés par le gouvernement. J'ai commencé avec des dessins sur Dieu, je n'avais pas une autre idée ! » nous a-t-elle expliqué. Sa carrière n'est lancée qu'après un accord favorable du grand quotidien australien The Sunday Times de publier ses BD en remplacement des Simpson. La collaboration a duré une année avant que Laurent Titan ne décide de s'installer à l'Île Maurice où elle va publier un album. Au CongoBrazzaville, le neuvième art commence à connaître une certaine renaissance, selon Jussie Nsana Banimba. « La BD a perdu de sa valeur parce que nous n'avons pas le soutien des institutions étatiques. Il existe trois associations qui militent pour la promotion de cet art. Les jeunes tentent de relancer la machine », a-t-elle expliqué. Elle souhaite que la BD congolaise soit mieux connue en Afrique. « La BD congolaise traite surtout de sujets sociaux, le vécu. Il existe peu de sujets politiques. Il n'est pas facile de se faire éditer. On peut dire qu'il n'existe pas d'éditeurs de BD au Congo. Pour l'instant, on se contente des Fanzzine, des BD à petits budgets », a ajouté Jussie Nsana Banimba. Même si elle existe depuis les années 1960, la BD n'est pas encore développée en Tunisie, selon Gihan Ben Mahmoud. « Il y a des dessinateurs, mais il y a peu de publications. La plupart des bédeistes font dans la BD pour enfants, pas pour adultes », a-t-elle relevé. Gihan Ben Mahmoud, qui est également artiste peintre, a publié à Tunis Passion Rouge. « Je voulais montrer les femmes autrement, pas dans l'image qu'a l'Occident de nous. Des femmes courageuses et battantes qui savent ce qu'elles veulent », a-t-elle noté. En Egypte, selon Marwa Kamel, directrice artistique de la revue pour enfants Magd (éditée par la chaîne de télévision du même nom), la question de la présence de la femme dans le neuvième art ne se pose pas. Si les célébrités sont des hommes, tels que Fawaz, Mustapha Hussein, Bassem ou Aladin, les femmes ont, d'après elle, leur place. Pas de problème d'édition. « Dar Echourouk et Safir publient régulièrement des album de BD. Le marché est vaste. Mais le nombre de revues est faible. Les films d'animation attirent beaucoup les jeunes, filles ou garçons, surtout que les chaînes de télévision produisent ce genre de films », a expliqué Marwa Kamel qui a étudié le dessin animé à la faculté des beaux- arts d'El Menia. Selon elle, il n'existe pas de crise de scénario mais d'idées. Au Liban, selon Lina Mirhaj, les femmes n'ont pas trop de difficultés à publier leurs œuvres, mais pas où elles veulent puisque les grandes maisons d'édition sont toujours réticentes. Elle a lancé une revue qui publie des planches de jeunes du Liban et du monde arabe. « 35 à 40% des auteurs qui participent à notre revue sont des femmes », a-t-elle dit. En 2006, après l'attaque israélienne contre le Liban, Lina Mirhaj s'est lancée dans le monde du neuvième art avec la publication d'un album au titre éloquent : Je pense qu'on sera beaucoup plus calme lors la prochaine guerre. Nazim Mekebel, membre du comité d'organisation du Fibda, a prévenu que le débat n'avait pas pour but d'opposer hommes et femmes mais de discuter d'un sujet intéressant. A l'orgine, selon lui, la conférence devait aborder la thématique des femmes africaines et la BD. « Nous avons décidé de l'élargir compte tenu de la présence d'autres invités », a-t-il souligné. Il n'a pas manqué de rappeler que le comité du Fibda a édité l'album d'une jeune fille qui a eu le deuxième prix lors de la précédente édition.