A l'embouchure du Chéliff, c'est ici que tous les soirs, lorsque le soleil entame lourdement sa descente vers l'horizon, des marins pêcheurs d'un autre âge viennent chercher un peu de réconfort. Entre ceux qui ramondent leurs filets et ceux qui s'enfoncent dans les eaux clémentes de la rivière, d'autres préfèrent s'en remettre à la pêche au moulinet. Munis souvent de solides cannes à pêche, ils choisissent toujours les eaux tourmentées par les vagues pour y quêter quelques gros mulets. Mais la pêche la plus spectaculaire et certainement la plus ancienne, c'est celle que pratiquent la plupart des riverains. Ici, c'est le filet ancestral appellé Et-tarrah ou filet épervier qui prédomine. Sans doute le mode le plus antique dont la technique est si ancienne que les historiens éprouvent beaucoup de peine à la dater. Porté sur les épaules, le filet se lance avec une dextérité éprouvée. Il n'est pas donné au premier venu de le lancer avec grâce, celle sans laquelle on ne parvient pas à le déployer. Ce qui a pour conséquence d'effrayer le banc de poissons tant convoité. Car la technique aussi primaire ne supporte aucune désinvolture. Le spectacle des ces nombreux pêcheurs à l'épervier est saisissant d'élégance et de dextérité. Jeunes et moins jeunes, à l'heure bénie où les poissons remontent secrètement le courant d'eau, ils se retrouvent à plusieurs à tenter leur chance. Pour balayer toute l'étendue d'eau, ils procèdent par étape, n'hésitant jamais à s'enfoncer calmement dans les flots, balayant méthodiquement toute l'étendue. Profitant allègrement de la turbidité du plan d'eau, ils parviennent souvent à tromper la vigilance séculaire des mulets. Se déplaçant toujours en bancs de quelques dizaines de poissons, le mulet n'hésite pas à sauter au dessus des filets qui l'encerclent. A la grande déception des pêcheurs qui ne peuvent que regarder avec désolation ce spectacle peu commun de superbes poissons filant à l'indienne. C'est pourquoi, l'usage de l'épervier, parce qu'il enferme les poissons dans un sac édifiés à cet effet, permet de contourner l'obstacle du franchissement. Une fois pris, les poissons n'ont aucune chance de s'évader. On peut rester jusqu'au coucher du soleil, contemplant ce spectacle où l'ingéniosité de l'homme parvient à tromper la vigilance de l'animal. Un duel presque à armes égales. Surtout lorsque le pêcheur pénètre délicatement dans l'eau boueuse, à la recherche d'une hypothétique et insaisissable proie. Parfois il faut refaire le geste ample et mesuré qui dépose le filet, là où le poisson est censé se trouver. Ce rituel est répété sans cesse, sans jamais lasser ceux qui le pratiquent.