C'est en gardien de citadelle qu'il nous accueille à l'entrée de la cité. Sa cité. Mains et jambes bandées, il a été blessé lors des événements. « Mais j'ai dû fuir l'hôpital où mes amis ont été interpellés à leur sortie des urgences ». Toufik a quitté l'école très jeune. « Notre appart' est tellement exigu qu'on ne pouvait réviser ou préparer nos cours », raconte-t-il. Employé dans une entreprise de nettoyage, il gagne 5 460 DA par mois. « Je ne peux même pas louer un lit dans un hammam pour dormir », s'énerve-t-il en brandissant sa fiche de paie. A la maison, ils sont 12 à se partager 25 m2. « Si je rentre tôt, je peux trouver une place dans la chambre des garçons de 4 m2, sinon je dors à coté des toilettes. En été, on se débrouille, on dort dans les escaliers, que même les rats et les cafards ont fuit à cause des odeurs nauséabondes. Nous sommes devenus pire que des animaux... » Mais le plus dur pour Toufik est de « supporter une situation des plus abjectes : écouter le soir les bruits et les chuchotements de mon frère avec son épouse dans leur intimité. » Le matin, c'est la queue devant les toilettes, qui font office à la fois de sanitaires et de lieu pour changer les vêtements. « Pour me laver, je dois aller dans des douches publiques ». Aujourd'hui, Toufik est engagé plus que jamais aux côtés de ses voisins pour arracher leur droit au logement. « Nous sommes sortis réclamer une vie décente, pacifiquement, mais les flics ont insulté nos mères et nos sœurs et les ont tabassées », s'insurge-t-il. Toufik n'a pas dormi depuis trois jours. « Ils peuvent nous tirer dessus, nous sommes prêt à mourir, confie-t-il. Hier soir (mardi dernier) les policiers ont pénétré à l'intérieur de la cité et nous ont injuriés et menacé de s'en prendre à nos sœurs. Si ce n'était l'intervention des akhina (barbus) qui ont lancé des appels au calme à partir des hauts parleurs de la mosquée, on aurait mis le feu à la cité et allumé les butanes de gaz. Si d'ici le 1er novembre rien n'est fait, il faut s'attendre à une autre démonstration de force, beaucoup plus virulente. Nous allons vendre la zetla et acheter des armes » prévient-il avant de changer subitement de propos. « Ma sœur cardiaque est décédée il y environ 7 mois, elle avait 18 ans. Elle n'a jamais connu de salle de bain. »