Peines de prison, lourdes amendes, saisie de titres et interdiction d'écriture. Au Maroc, « la parenthèse démocratique » se referme sur la presse. Au lendemain de la mort de Hassan II en juillet 1999, on parlait de « printemps marocain ». Un printemps qui commença en plein été, avec l'accession au trône de Mohamed VI, à l'âge de 35 ans. Mais voilà que l'espoir suscité par le jeune roi s'effiloche rapidement sous les giboulées de la censure et d'interdiction de toute forme d'expression libre. Au bout de dix années de règne, un triste bilan en terme de liberté de la presse. Le constat est bien celui de Reporters sans frontières (RSF) qui est allé jusqu' à interpeller la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, afin d'intervenir pour desserrer l'étau sur les médias marocains. Bien que mieux classé que l'Algérie, la Tunisie et l'Egypte, le Maroc est accablé dans le dernier rapport de RSF sur l'état de la liberté de la presse dans le monde. En 127e position, le Maroc fait, selon le rapport de RSF, un sacré bond en arrière, perdant en une année cinq places dans ce classement qui a concerné 175 pays. Ainsi, RSF estime qu'il y a une « vraie dégradation de la liberté de la presse ». « A notre avis, il y a un vrai durcissement, une vraie dégradation de la liberté de la presse au Maroc », a déclaré à Casablanca le secrétaire général de RSF, Jean-François Julliard, lors d'une conférence de presse. « On pensait en avoir fini avec les journalistes en prison au Maroc. Mais visiblement ce n'est pas le cas, a-t-il ajouté, et la liste commence à être longue de journalistes qui ont été emprisonnés au Maroc ». Santé du roi : un tabou Finie donc la récréation ! Les autorités marocaines ferment le jeu et entaillent le seul espace de liberté (la presse) dont dispose la société. Plusieurs condamnations et amendes, parfois très lourdes, ont été prononcées récemment contre des journalistes et des journaux. Le directeur de l'hebdomadaire Al Michaâl ,Driss Chahtane, a été condamné à un an de prison et une amende de 10 000 dirhams (1000 euros) pour un article sur la santé du roi Mohamed VI. Les autorités semblaient ainsi lancer un message d'avertissement au reste de la corporation pour que plus jamais un journaliste n'oserait évoquer, ne serait-ce qu'au détour d'une phrase, la santé du roi. Sujet tabou qui pourrait coûter trop cher à celui qui serait tenté de l'aborder. Aussi, le journal Akhbar Al Youm a été poursuivi en justice pour avoir publié une « caricature en relation avec la célébration, par la famille royale, d'un événement à caractère strictement privé ». Cela, aux yeux du palais royal et les serviteurs du roi, « constitue manifestement une atteinte au respect dû à un membre de la famille royale ». Intolérable donc ! Le verdict du procès sur mesure devait être connu hier, vendredi. En août dernier, TelQuel, un hebdomadaire critique (francophone) et Nichane sa version arabe avaient été saisis pour avoir publié un sondage sur la monarchie. La liste est encore longue. Tel Quel a déjà été condamné, dans plusieurs autres affaires similaires, à des amendes qui ont lourdement grevé ses finances. Al Massae et son directeur, Rachid Nini, ont été condamnés, en octobre 2008, à verser 6 millions de dirhams (550 000 euros) d'amende pour diffamation à l'encontre des procureurs du roi dans la région de Ksar El Kébir. Le 29 juin 2009, les trois quotidiens Al Jarida Al Aoula, Al Ahdath Al Maghribia et Al Massae, ont été condamnés à verser, ensemble, la somme de trois millions de dirhams (270 000 euros) de dommages et intérêts pour « atteinte à la dignité d'un chef d'Etat », suite à la publication de tribunes d'opinion critiquant le président libyen Mouammar El Gueddafi. Une affaire qui affirme la solidarité entre les dictatures au Maghreb. Ainsi, le directeur du mensuel francophone Economie & Entreprises a écopé, en juin dernier, d'une peine de prison avec sursis, assortie d'une amende record : 5,9 millions de dirhams (près de 600 000 euros). Cela pour avoir écrit sur l'entreprise Primarios, qui fait partie de l'empire économique du roi. Devant le risque qui pèse sur ce mensuel, le directeur de la publication avait publié un communiqué, où il s'est excusé au nom de la rédaction. Saisie de numéros de journaux étrangers Le cas de Ali Lemrabet est également ahurissant. Ce journaliste a été frappé, en mai 2005, d'une interdiction d'exercice de dix ans pour avoir mis en doute, dans un reportage pour El Mundo, que les réfugiés sahraouis dans les camps de Tindouf sont séquestrés par le Front Polisario comme l'affirment à chaque occasion les autorités marocaines. Certains journalistes étrangers, critiques envers le palais, sont interdits de séjour ces dernières années. Même la presse internationale n'a pas été épargnée. Des journaux étrangers (Le Monde, El Pais et l'Express) ont été interdits de distribution au Maroc pour avoir traité de sujets qui touchent au royaume. Un numéro de l'hebdomadaire français L'Express a été interdit d'entrée au Maroc à cause de sa Une du 30 octobre 2008 (N° 2991) sur l'Islam titrant : « Le choc : Jésus-Mahomet. Leur itinéraire. Leur message. Leur vision du monde ». Les autorités se sont appuyées sur l'article 29 du code de la presse les autorisant à interdire des publications « lorsqu'elles portent atteinte à la religion islamique, au régime monarchique, à l'intégrité territoriale, au respect dû au roi ou à l'ordre public ». Plus récemment, le numéro 975 (du 9 au 16 juillet 2009) de l'hebdomadaire français Courrier International a été interdit, le 16 juillet 2009, par le ministère de la Communication. « Au cours des quatre dernières années, la diminution du nombre de condamnations à des peines de prison ferme a, par contre, augmenté le nombre de procès initiés officiellement ou non par le palais à l'encontre des responsables de journaux. Ces condamnations à des amendes exorbitantes et disproportionnées visent à asphyxier les publications », souligne RSF qui exprime à l'occasion sa solidarité avec les journalistes marocains condamnés, ces derniers mois, à des peines de prisons assorties d'amendes exorbitantes. Selon cette ONG, les journalistes marocains ont été condamnés, depuis l'accession de Mohammed VI au trône, à près de 28 ans de prison (ferme ou avec sursis) et à plus de deux millions d'euros d'amende. RSF attire l'attention de l'opinion publique internationale, dénonçant, en plus du harcèlement judiciaire, la volonté des autorités marocaines d'étouffer sur le plan économique les entreprises de presse en leur infligeant à chaque fois des amendes qui donnent le tournis. RSF espère ainsi qu'Hillary Clinton, qui viendra au Maroc la semaine prochaine pour participer au « Forum du futur » à Marrakech les 2 et 3 novembre, « évoquera cette question de la liberté de la presse et le manque de pluralisme de l'information aujourd'hui au Maroc ». Cette ONG internationale de défense de la liberté d'expression considère que le code de la presse, à la fois répressif et vague, est comme une menace permanente qu'il faudrait anéantir. Les peines de prison représentent l'épée de Damoclès sur la presse marocaine. En 2002, le palais royal, par sa réforme du code de la presse, a durci les peines de prison qui peuvent aller jusqu'à cinq ans de prison ferme. Ainsi, RSF réclame « l'abrogation des articles avec peine privative de liberté, une plus grande proportionnalité des peines notamment financières et une formulation plus claire des dispositions les plus répressives, comme l'article 41 qui laisse trop de place à l'arbitraire du pouvoir judiciaire ». Après dix années de règne, le jeune roi Mohammed VI, auquel on attribuait des vertus de démocrate, a réussi une prouesse, celle de prouver au monde entier que la monarchie n'a pas changé, que la tyrannie n'est pas partie avec la mort de Hassan II. Bien au contraire, il vient de lui insuffler un nouveau souffle.