Tahar Belabès et ses camarades du Comité national de défense des droits des chômeurs (CNDDC) ont échoué à Aïn Beïda, où ils avaient prévu de tenir un sit-in. Pourtant, la ville est peuplée de chômeurs : des jeunes et des moins jeunes victimes des compressions massives et des jeunes diplômés qui ne trouvent rien au sein d'une administration modeste et moribonde et une zone industrielle fantomatique. L'action a été avortée grâce à une mobilisation sans précédent de la population locale et où les politiques du FLN et du RND ont joué les premiers rôles pour dissuader les jeunes de leur ville de rejoindre les manifestants. A la place du bâton de la police, cette fois, les représentants du pouvoir ont eu recours à la stratégie de la peur pour soulever le barrage contre «les trublions étrangers». C'est d'abord dans les mosquées de Aïn Beïda que cette stratégie a été entamée. L'avant-veille, à l'occasion du prêche du vendredi, tous les imams ou presque ont focalisé sur le sujet, appelant la population locale à dire non à ces «manœuvres qui visent à déstabiliser la ville». Tous ceux que nous avons rencontrés avaient un seul mot à la bouche : la peur d'éventuels dérapages. Cheikh Lazhar, rencontré sur l'esplanade mitoyenne du théâtre, ne cache pas ce sentiment : «Personne ici n'est contre les revendications des chômeurs, c'est leur droit de demander du travail, mais nous avons peur de fâcheuses conséquences.» Avec lui, Mourad Bendada, président d'une association de défense de l'environnement, explique que «la population est très sensible parce que la plaie est encore ouverte. Les autorités locales ont pu déloger les centaines de commerces informels qui occupaient toutes les rues du centre-ville et nous avons certes récupéré ces lieux publics, mais il reste encore quelque 400 jeunes qui attendent toujours une alternative à leurs étals perdus. Ces jeunes n'attendent qu'une étincelle pour exploser». Les autorités locales ont joué avec le feu Autour d'une table au café du Théâtre, des personnes n'ont pas caché leur refus de voir Tahar Belabès ou n'importe qui d'autre venir perturber la quiétude de leur ville. Ces personnes qui composent le forum citoyen jouent les vigiles sur la place publique et tirent une fierté manifeste pour avoir réussi à donner au centre-ville, souillé par l'informel, un visage bien meilleur. Mais leur chauvinisme positif est mêlé à de la naïveté politique, car les commanditaires avaient réussi à mobiliser les vaillants citoyens en faisant croire que les manifestants étaient des monstres potentiels. Mais ceci n'empêche pas que les groupes de jeunes, chauffés à blanc dans l'intention de nuire aux manifestants, avaient fini par comprendre au moins le discours de la CNDDC. Nawfel Chekaoui, licencié en droit et représentant local du Comité, fulmine contre les manipulateurs : «Ils ont voulu créer la fitna à Aïn Beïda en faisant comprendre à des jeunes que nous étions venus casser et créer des problèmes. Heureusement, nous n'avons pas répondu aux provocations et, en expliquant nos intentions, ils ont fini par comprendre et sympathiser avec nous.» De son côté, Belabès broyait du noir et n'en revenait pas d'essuyer un tel revers. «Ce qui nous est arrivé à Oum El Bouaghi est un grave précédent. Le maire et les députés locaux ont incité la population à nous lyncher. Un militant a été blessé et d'autres ont été chassés de la ville, très tard dans la nuit.» Le coordinateur du Comité considère qu'il s'agit là d'un message du pouvoir qui veut, selon lui, circonscrire le mouvement dans une dimension régionale. «Nous dénonçons cette attitude et nous prévenons le pouvoir que nous allons récidiver, mais dorénavant nous n'aurons plus à informer l'administration de nos actions publiques en respectant les délais réglementaires, nous descendrons dans la rue quand on voudra», a-t-il averti, avant de promettre, pour un avenir proche, une grande manifestation des chômeurs dans une grande ville de l'est du pays.