D'une manière globale, cette loi devrait conforter le livre dans sa position de produit stratégique de communication, d'éducation, de culture et de savoir et assurer à chacun des intervenants de la chaîne du livre une part, la plus équitable possible, des revenus tirés du commerce du livre. Par ailleurs, en tant que composante essentielle du secteur des industries culturelles, le livre, produit spécifique s'il en est, peut contribuer de façon déterminante à l'effort de développement du pays et à l'épanouissement de la société. Le projet de loi contient un certain nombre d'objectifs qui concourront à l'essor de la lecture, du livre et de l'infrastructure qui en assure la production et diffusion. Ainsi, l'Art. 47 énonce l'objectif de «susciter chez les jeunes, dès la petite enfance, l'éveil à la lecture et former le citoyen-lecteur de demain», tandis que l'Art. 16 parle de «l'ouverture du manuel scolaire aux compétences nationales». Il s'agit également de développer une infrastructure industrielle et commerciale concurrentielle dans le domaine du livre (Art. 16, 47). Enfin, le projet vise à «augmenter l'accessibilité territoriale et économique du livre, en encourageant l'implantation d'un réseau de librairies dans toutes les régions du pays». Cet objectif doit se réaliser à travers deux mesures. La première est l'obligation faite aux institutions d'effectuer leurs achats dans les librairies situées dans la wilaya d'implantation (Art. 27). La seconde se traduit par l'instauration du prix unique du livre, assurant l'égalité des citoyens devant le livre, puisque ce dernier sera vendu au même prix sur tout le territoire national (Art. 29, 31, 32). Mais comment susciter, dès la petite enfance, l'éveil à la lecture ? La chose n'est pas aisée car, en dépit de phénomènes circonstanciels, tels les fortes affluences aux foires et salons du livre, le constat dans la durée est l'absence de véritable lectorat dans la population de moins de quarante ans, y compris une part très importante de la population scolaire et estudiantine qui n'a jamais lu un livre. Il s'agit d'inverser cette tendance. Cet objectif est contenu dans l'Art. 47 du projet qui stipule : «Le développement de la lecture est assuré au moyen de la généralisation de l'accès à la lecture publique et de la lecture de livres dans les établissements d'enseignement primaire, moyen et secondaire.» Ainsi, la loi devra permettre de développer très tôt chez les jeunes le goût de la lecture. Le rôle de l'école en la matière est fondamental et demeure la seule garantie de formation et de développement du citoyen-lecteur de demain. Il est donc crucial que la lecture de livres retrouve sa place de matière obligatoire et essentielle dans les programmes scolaires, et ce, dans les trois paliers. L'application effective d'une telle disposition créera un marché considérable, dynamisant en conséquence toute l'industrie du livre (éditeurs, imprimeurs, distributeurs, libraires) pour la production de livres (littérature, jeunesse) destinés à 8,5 millions d'élèves. Par son Art. 16, le projet précise que l'édition, l'impression et la commercialisation du livre scolaire, sont prises en charge par le ministère de l'Education Nationale et sont ouvertes aux compétences nationales en obéissant au principe d'égal accès à la commande publique. Cette ouverture stimulera l'ensemble de la chaîne du livre. Avec une demande qui avoisine 70 millions d'exemplaires par an, le livre scolaire donnera un nouveau souffle à l'industrie du livre. Dans l'actuel état des choses, il est patent que le circuit du livre est réduit aux seuls distributeurs et importateurs, essentiellement concentrés à Alger. Ils alimentent directement les institutions, sans passer par le libraire et, de plus, vendent leurs produits à ce même libraire avec la même remise que celle qu'ils accordent aux institutions. Ces pratiques ont mis en péril le commerce de la librairie, pratiquement écartée de la chaîne de distribution, puisque les institutions préfèrent s'adresser directement au distributeur, le seul public restant au libraire étant les particuliers dont les achats, dans les conditions actuelles, restent très limités. Les conséquences sont néfastes et visibles sur ce maillon de la chaîne, fragilisé et menacé de disparition, puisque non seulement il y a très peu d'investissements dans ce secteur déjà gravement affecté par le sort du réseau de librairies de l'ex-ENAL (Entreprise nationale du livre) cédées aux employés et, pour la plupart, vendues et transformées en commerces bien éloignés du livre. En réponse à cette situation préoccupante, le projet de loi dispose en son Art. 27 que : «Toute acquisition de livres, par ou pour le compte d'une institution publique, d'une collectivité locale ou d'un établissement public doit être effectuée auprès des librairies situées dans la wilaya d'implantation de l'entité publique auteur de la commande. Cette disposition ne s'applique pas aux commandes publiques régies par le code des marchés publics». Cette clause relative aux achats institutionnels va changer complètement les pratiques d'achat, mais dictera également les grandes lignes des pratiques commerciales des diffuseurs et distributeurs. Ainsi, un diffuseur — sauf les éditeurs-diffuseurs de manuels scolaires n'étant pas concernés — ne pourra vendre un livre directement à une institution publique, que ce soit une école, une bibliothèque ou toute autre institution financée par l'Etat. Tout achat par ces institutions sera effectué dans une librairie située dans la wilaya d'implantation de l'entité publique auteur de la commande. La Loi sur le livre instaure un ensemble de mesures assurant la consolidation et la rentabilité des librairies. Aujourd'hui, leur baisse de rentabilité fait craindre l'effondrement du système de diffusion du livre et, en conséquence, la remise en cause de la diversité de l'édition. Le soutien aux librairies est donc essentiel au maintien de la pluralité de la création et de l'édition. D'ailleurs, dans le monde, ce soutien fait partie intégrante des politiques du livre et de la lecture. Si les mesures varient considérablement d'un pays à l'autre, l'objectif d'assurer la diversité de l'édition fait cependant en sorte qu'elles ne sont jamais absentes des dispositions. En fixant une marge minimale accordée par les éditeurs et les distributeurs aux libraires (la marge actuelle est fixée à 30%) et en obligeant les institutions et bibliothèques publiques à acheter au prix public dans les librairies de leur wilaya, la loi permettra d'assurer à ces dernières un certain volume de ventes avec une marge de profit honorable. Ces mesures contribueront largement à l'atteinte de l'objectif visant à garantir l'accès à la diversité du livre dans toutes les régions du pays. En outre, la loi introduit la possibilité d'un label de qualité : «Les maisons d'édition du livre et les librairies qui exercent à titre professionnel peuvent obtenir un label de qualité délivré par le ministre chargé de la culture» (Art. 46). A notre avis, les libraires candidats à la labellisation devraient, comme en de nombreux pays (Canada, Pologne, etc.), répondre à un minimum de critères tels que : la surface minimale de la libraire ; le nombre minimum de titres avec un pourcentage établi de publications algériennes ; la diversification du fonds en réservant une part considérable aux sciences humaines, littérature et à certains ouvrages difficiles ; l'offre d'un service bibliographique aux institutions et particuliers et, enfin, la disposition d'outils de gestion et d'information répondant aux normes de la profession. L'Art. 27 va réhabiliter le métier de libraire et encourager l'investissement dans ce maillon de la chaîne du livre. La librairie va retrouver la place qui lui sied et investira de nouveau les artères des villes du pays, y compris dans les régions éloignées, jusque-là privées de librairies. Autre disposition essentielle, le prix unique du livre conduira à limiter la concurrence entre détaillants au moyen de l'imposition d'un prix de vente public unique (100% du prix fixé par l'éditeur ou l'importateur, prix qui doit être imprimé sur la couverture des ouvrages édités ou importés). Sur cette question, le projet comprend trois dispositions : «L'éditeur ou l'importateur du livre est tenu de fixer, pour les livres qu'il édite ou importe, un prix de vente unique au public» (Art. 29) ; «Les librairies doivent pratiquer le prix de vente au public fixé par l'éditeur ou l'importateur» (Art. 31) ; «Des remises non plafonnées peuvent être pratiquées par les participants étrangers lors des festivals, salons, foires et manifestations organisés autour du livre. Les remises pratiquées par les libraires, les éditeurs et les importateurs nationaux pour la vente de livres lors des festivals, salons, foires et manifestations autour du livre, ne peuvent dépasser un seuil dont le montant est fixé par voie règlementaire» (Art. 32). Les résultats attendus du prix de vente unique sont suffisamment attractifs pour en justifier le bien fondé. Ce système réduit considérablement la possibilité d'une concurrence en prix, incitant les libraires à rivaliser sur le terrain de la qualité des services en améliorant l'accueil et en augmentant l'information et la gamme des livres proposés. Le prix unique dispense l'acheteur de comparer les prix d'un point de vente à l'autre et incite ainsi les lecteurs potentiels à acheter en librairie, puisqu'ils savent qu'ils ne pourront pas trouver le même titre moins cher ailleurs. La pratique du bradage se voit bannie car elle entraîne, à long terme, une raréfaction du nombre de titres disponibles, chacun s'attachant à proposer des ouvrages à «rotation rapide», touchant un vaste public au détriment des œuvres de création originale ou des rééditions de titres jugés «difficiles» qui sont pour la plupart des livres à «rotation lente». Enfin, le prix unique apporte la garantie qu'aucun détaillant ne peut profiter d'une situation de monopole pour augmenter ses prix, assurant ainsi leur uniformité sur l'ensemble du territoire national et une égalité géographique d'accès au livre. L'un des aspects importants du projet de loi réside aussi dans la modification du statut de l'éditeur qui passe de celui de prestataire de service à celui de producteur. Ce changement est primordial. Dans la pratique, l'éditeur est le moteur de l'industrie du livre puisqu'il produit des contenus (littéraire, pédagogique, scientifique…) et que, par son activité, il anime l'ensemble de la chaîne du livre (auteurs, imprimeurs, diffuseurs, distributeurs, libraires…). Le projet de loi modifie radicalement son statut en affirmant que «l'édition du livre est une activité de production» (Art. 18). Ce changement engendrera un positionnement fiscal différent et avantageux. En effet, l'Impôt sur le bénéfice des sociétés (IBS) pour un producteur est fixé à 19%, alors que celui du prestataire est de 25%. En changeant de statut, l'éditeur bénéficiera d'une réduction de 6% sur cet impôt. De plus, en tant que producteur, il pourra gérer des stocks de papier et donc importer la matière première nécessaire à la fabrication de ses ouvrages. A ce titre, en tant que producteur importateur de matières premières destinées à être transformées, il pourra bénéficier des mesures liées à ces opérations (pas d'obligation d'ouverture de crédit documentaire). Ce changement de statut se traduira par une réduction de plus de 20% des coûts de production avec une répercussion sur le prix de vente du livre au public. Un réseau plus dense de librairies, une concurrence loyale et des livres moins chers, les aspects économiques du projet de loi sur le livre apportent une bouffée d'oxygène et des perspectives réelles de développement de l'industrie du livre dans notre pays.