Un enjeu qui serait payant pour le Parti québécois (PQ). Celui-ci tente d'obtenir une majorité pour avoir les coudées franches dans l'application de son programme. A moyen ou long terme, il pourrait lancer un troisième référendum sur l'indépendance de la province et sa séparation du Canada. Dans la série d'entretiens avec les Algériens du Québec et l'élection du 7 avril (à ne pas confondre avec celle du 17 avril en Algérie), le militant laïc Ali Kaidi s'est prêté au jeu des questions-réponses. Il est convaincu que « les islamistes sont derrière cette compagne contre la charte de la laïcité » au Québec. Car l'islam politique est « idéologiquement, contre toutes formes de laïcité ; républicaine ou ouverte, elle ne lui est qu'un cheval de Troie pour arriver à ses fins ». Pour ce membre fondateur de l'Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité (AQNAL), « la charte de la laïcité est une opportunité qui s'offre aux immigrants pour s'imposer en tant que citoyens ». D'autant plus que, dans le cas des musulmans, « l'islam est une religion qui n'impose aucun signe aux croyants ou croyantes. C'est une religion qui peut se pratiquer dans l'intimité et sans le recours à un intermédiaire », rappelle-t-il p. Amoureux des débats avant d'être un défenseur de la laïcité, Ali Kaidi estime qu'il est important d'arrêter « d'accuser les autres qui ont des opinions distinctes de racistes et de xénophobes et cesser par la même occasion d'arborer la sempiternelle posture victimaire ».
Quels sont les objectifs de l'Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité (AQNAL) dont vous êtes l'un des membres fondateurs? AQNAL est une association qui regroupe des citoyens et des citoyennes qui croient aux vertus de laïcité, en l'occurrence la neutralité de l'Etat, l'égalité et la liberté de conscience et de religion. La cible du discours d'AQNAL est la promotion de la citoyenneté. Ce faisant, les personnes qui s'identifient à ce discours refusent d'être identifiées par leur appartenance religieuse. Elles veulent être identifiées par leur appartenance à la cité, c'est-à-dire par leur citoyenneté. Notre but est d'empêcher que les problèmes sociaux de notre communauté se transforment en problèmes identitaires et par ricochet religieux, comme les islamistes le préconisent sournoisement. En fait, nous pensons que l'immigrant revendique un travail digne de ses compétences, par conséquent des espaces pour pratiquer et exprimer son appartenance religieuse est le dernier de ses soucis. D'autant plus, faut-il le rappeler, que l'islam est une religion qui n'impose aucun signe aux croyants ou croyantes. C'est une religion qui peut se pratiquer dans l'intimité et sans le recours à un intermédiaire. Avec AQNAL, nous voulons dire à la société d'accueil que les immigrants provenant de l'Afrique du Nord sont multiples, ils ne sont pas tous musulmans ; il y a parmi eux des juifs, des chrétiens et aussi des athées. Cependant, nous sommes convaincus que c'est la laïcité qui nous rassemble. C'est pour ces raisons qu'AQNAL soutient la charte de la laïcité. .
La charte des valeurs québécoises, qui est un des enjeux des élections du 7 avril, est-elle nécessaire au Québec ? N'y a-t-il pas déjà séparation entre l'État et la religion ? Certes, il n'y a pas de crise et il n' y a aucune urgence, mais cela n'empêche pas de penser que cette charte est nécessaire. Grâce à elle, les institutions de l'Etat seront au diapason avec le principe de séparation entre l'Etat et la religion. À mon sens, si l'on n'interdit pas les signes religieux, le principe de séparation entre les deux n'aura aucun sens; car dans ce cas, il n'y aura pas une grande différence entre une église, une mosquée et une synagogue d'une part, et les institutions de l'Etat de l'autre. C'est pour cette raison, pensons-nous, qu'il est nécessaire au personnel incarnant l'Etat d'être neutre et d'éloigner les signes indiquant l'appartenance religieuse de chacun et de chacune pendant l'exercice du service public.
Y a-t-il un danger islamiste ou intégriste au Québec? D'abord, je tiens à préciser que le danger intégriste n'est pas islamiste seulement ; l'islamisme en fait partie. Le retour de la religiosité est un phénomène mondial qui concerne toutes les religions. Ce n'est pas par hasard, à mon sens, que nous constatons les islamistes en état d'alerte dans ce contexte des élections. Ils sont à l'origine d'une mobilisation contre le PQ sans précédent au niveau de la communauté musulmane. Ils sont en train d'utiliser les ressources des immigrants non pas pour se positionner contre le programme économique et social du PQ, ce qui serait compréhensif et acceptable, mais seulement pour s'opposer à ce parti parce qu'il est l'auteur et le promoteur d'un projet de société laïc qui ne correspond pas aux aspirations des immigrants islamistes. En réalité, ils sont contre l'interdiction du port de l'un de leurs signes idéologiques. Du reste, je trouve que c'est légitime qu'ils s'y opposent. Mais le problème est qu'ils se cachent derrière des principes auxquelles ils n'ont jamais cru comme la liberté de conscience et de religion, la laïcité fût-elle positive ou ouverte. Cependant, ce qui est condamnable dans leur démarche est l'utilisation des structures communautaires destinées pour l'intérêt de tous les immigrants et immigrantes de toutes obédiences politiques et croyances. Ils exploitent des moyens censés être apolitiques, du moins non partisans, et agissent comme si tous les musulmans et musulmanes partagent leurs thèses idéologiques. Leur mot d'ordre est de ne pas laisser passer le PQ parce qu'il propose une charte de laïcité qui cible les musulmans, les musulmanes plus précisément. Ce qui est ironique dans la mesure où leur manipulation politique travaille en faveur des islamistes; car, en réalité, la charte de la laïcité légifère pour la neutralité de l'Etat et le respect de la liberté de conscience et de religion. En principe, elle doit être davantage la revendication des minorités religieuses que de la majorité. Tout bien pensé, si nous laissons les personnes travaillant dans les institutions de l'Etat exprimer leurs appartenances religieuses, comme les islamistes et les libéraux le revendiquent, l'Etat québécois non seulement perdra sa neutralité, mais il aura l'apparence d'une institution catholique. Toutefois, il ne faut pas oublier que la quasi-majorité du personnel de l'Etat n'appartient pas aux minorités religieuses. Ainsi, contrairement à ce que les islamistes pensent, la charte de la laïcité est un moyen politique et juridique qui protège les minorités religieuses contre une éventuelle hégémonie d'une seule religion, en l'occurrence la religion catholique, la religion de la majorité des Québécois et des Québécoises.
La charte ne va-t-elle pas créer plus d'exclusion en congédiant et en fermant la porte du travail à certaines femmes musulmanes? On peut voir la situation sous cet angle, mais cela suppose que l'islam est si dogmatique, si exigeant envers les croyants et croyantes musulmans qu'il leur demande de sacrifier leur travail, de mettre leur vie en péril donc pour un simple signe religieux. Cependant, le voile au sein de la communauté des oulémas est l'objet de discussions. D'ailleurs, beaucoup d'entre eux ne le voient pas comme une exigence religieuse. Il ne faut pas oublier aussi qu'historiquement le voile islamique a fait son apparition dans certains pays dans les années quatre-vingt seulement, notamment après la révolution islamique d'Iran. Nos femmes, nos mères et nos sœurs étaient musulmanes sans porter ce voile. Peut-on dire d'elles qu'elles sont moins musulmanes que les femmes qui le revendiquent aujourd'hui au Québec? Évidemment, non. Elles sont aussi musulmanes que les femmes et les hommes qui défendent le voile. La seule différence que nous estimons fondamentale à ce propos, est que les premières, contrairement à ces dernières, ne faisaient pas de la politique. La religion qu'elles pratiquaient n'était pas polluée par la politique comme est le cas des femmes qui revendiquent le voile aujourd'hui. L'islam politique est en train de contenir l'islam et de le remplacer graduellement. Cette montée en force des islamistes contre la charte de la laïcité est l'une des expressions de cette confusion entre islam et islam politique que les islamistes tentent d'imposer.
Le débat sur la charte semble avoir donné carte blanche au discours islamophobe et d'exclusion. Qu'en pensez-vous ? Pour moi, islamophobie est une nouvelle phobie inventée, défendue et promue par des islamistes dans le but d'empêcher la critique et le débat sur des questions sociétales qui ont des relations avec la religion. Ainsi, après avoir fermé le débat à l'intérieur de la communauté musulmane en accusant toute critique venant des musulmans eux-mêmes d'apostasie, les voilà maintenant qui essayent avec tous les moyens de fermer toute critique provenant de l'extérieur en l'accusant d'islamophobie. Il n'y a pas d'exclusion. Le débat par définition implique des opinions différentes, voire opposées. Il faut arrêter d'accuser les autres qui ont des opinions distinctes de racistes et de xénophobes et cesser par la même occasion d'arborer la sempiternelle posture victimaire. Aujourd'hui, on est face à un débat sur une question importante qui engage l'avenir du Québec, il faut que chaque immigrant prenne ses responsabilités de citoyens et participer au débat et expose ses idées sur la question. En général, la victimisation est une stratégie qui exprime un refus de débat et un manque d'arguments. Combien de grands intellectuels musulmans, croyants ou non croyants, ont été assassinés, censurés, exilés, apostasiées dans les terres dites d'islam depuis que l'islamisme a le vent en poupe? Étaient-ils islamophobes, avaient-ils peur de l'islam ou des islamistes ? Poser la question, c'est y répondre. Cela étant dit, pour moi la charte de la laïcité est une opportunité qui s'offre aux immigrants pour s'imposer en tant que citoyens; car elle fait de la religion une question qui relève de l'ordre de l'intime où la liberté de conscience s'exerce sans contraintes ; elle ouvre la voie à la citoyenneté, par conséquent elle offre une opportunité pour revendiquer une intégration citoyenne qui prend en considération les valeurs universelles des immigrants et non par leurs particularités religieuses. Ces valeurs sont celles de la laïcité, de l'égalité, de la liberté mais aussi celles de nos connaissances scientifiques, de nos expériences professionnelles et de nos expériences de la vie quotidienne. Malheureusement, toute cette richesse est éclipsée par la religion comme si l'immigrant est un être humain unidimensionnel, ne réfléchit que dans le cadre stricte dicté par la religion. Ce n'est pas anodin que certaines femmes revendiquent le voile comme une identité. Par ailleurs, revendiquer cette identité religieuse comme certaines femmes le font renvoie immédiatement, à mon sens, au cœur de l'idéologie islamiste; car selon celle-ci, la religion est l'identité du musulman et de la musulmane. Les islamistes dans leur majorité pensent que le musulman naît avec cette identité, par conséquent il est condamné à ne pas l'abandonner, ce qui, faut-il le rappeler, ne résiste même pas à une analyse minimaliste. En fait, pour ces raisons et bien d'autres, je suis convaincu que les islamistes sont derrière cette compagne contre la charte de laïcité. Je viens d'un pays qui a expérimenté l'idéologie islamiste, j'ai vu comment les islamistes se sont accaparés la société et l'espace public ; j'ai vu aussi comment les libertés ont reculé graduellement à cause de l'hégémonie de leur idéologie. On peut me dire que l'Algérie n'est pas le Québec, heureusement d'ailleurs et je ne peux que souhaiter à notre pays un Etat aussi démocratique et libre que celui que les québécois ont bâti, mais je pense que l'islam politique, dans son ensemble, instrumentalise la religion pour des fins politiques et, par la même occasion, – ce que l'on néglige souvent de signaler- exploite la politique pour des fins religieuses. L'islam politique fait cela de la même façon ici ou ailleurs dans le monde. Je le rappelle encore : idéologiquement, il est contre toutes formes de laïcité ; républicaine ou ouverte, elle ne lui est qu'un cheval de Troie pour arriver à ses fins.
Les enjeux pour la communauté ne sont-ils pas ailleurs (travail, éducation des enfants…) ? Et les nouveaux arrivants ne doivent-ils pas se tenir à l'écart du débat sur l'indépendance puisqu'ils n'ont pas émigré pour ça ou contre ça ? Certes, les enjeux de notre communauté sont d'abord d'ordre social: l'immigrant veut gagner sa vie dignement, il veut une bonne éducation à ses enfants; mais cela, à notre avis, ne doit pas l'empêcher d'avoir des idées sur des questions politiques comme la souveraineté et de les exprimer publiquement. Il ne faut pas ignorer que la majorité des immigrants sont des universitaires, donc ils ont un niveau intellectuel qui les incite à se mêler des grandes questions politiques comme la souveraineté et la laïcité. D'ailleurs, je me demande pourquoi le débat sur la laïcité n'a pas provoqué chez les musulmans l'envie de manifester leur opinion sur les questions éthiques comme mourir dans la dignité [un projet de loi qui autoriserait l'euthanasie sous certaines conditions, NDLR]. En ce qui concerne la question de l'indépendance du Québec, on ne peut pas affirmer que tous les immigrants provenant de l'Afrique du Nord sont des fédéralistes, des souverainistes ou sans opinion. Il ne faut pas ignorer que ces immigrants partagent avec la société d'accueil l'un des fondements de l'identité québécoise, à savoir la langue française. Personnellement, je pense qu'il faut que l'immigrant participe à tous les débats politique, sans limites et ouvertement, s'il veut vraiment s'imposer en tant que citoyen. Toutefois, j'estime que le débat sur la souveraineté tel qu'il est posé aujourd'hui est loin d'intéresser les immigrants nouvellement installés seulement. Par contre, ceux qui ont la citoyenneté et qui sont ici au Québec depuis de nombreuses années, il est de leur intérêt d'y participer et de donner leurs avis sur cette question; car celle-ci les concerne aussi; leur avenir et celui de leurs enfants en dépendent énormément.
Le PQ vient de présenter quatre candidats d'origine algérienne Poteaux ? Je ne suis pas d'accord avec vous sur cette façon de qualifier ces candidats. Vos propos expriment un certain mépris à leurs égards et une stigmatisation. Car la situation est loin d'être facile pour tous les candidats et candidates à ces élections. En fait, la situation de ces quatre candidats est semblable à celle de soixante-dix pour cent (70%) des candidats et candidates qui sont dans leur majorité des Québécois et des Québécoises dits de souche. Ces candidats d'origine nord-africaine ont du courage politique qu'il faut saluer. En plus de leur engagement pour la laïcité, on peut ne pas partager leurs opinions, mais on ne peut cependant dire qu'ils ne connaissent pas la situation des immigrants.
Quel commentaire faites-vous sur le peu de candidats d'origine maghrébine au Parti libéral du Québec ? Ce n'est pas étonnant de la part de ce parti. J'ai écrit deux articles sur le site KabyleUniversel sur leur position envers la charte dans lesquels j'ai signalé leur cafouillage sur cette question. D'ailleurs, dans l'un de mes articles ainsi que dans l'intervention d'AQNAL au parlement, j'ai insisté sur le paradoxe inhérent à la position de ce parti. D'un côté, il fait appel aux femmes voilées pour rejoindre son parti, de l'autre, il exclut la seule femme musulmane dans l'Assemblée. Pour moi et pour beaucoup d'immigrants, le geste des libéraux démontre qu'ils sont inclusifs pour les islamistes et exclusifs pour les femmes laïques. Pour conclure, je saisis la tribune qui m'est offerte, et je vous en remercie, je lance un message aux laïcs immigrants provenant de l'Afrique du Nord de mettre en valeur leur citoyenneté et de s'engager dans les débats publics.