La crise russo-ukrainienne risque à tout moment de se transformer en un conflit armé. Kiev a annoncé, lundi, l'envoi «au front» (Lougansk, ndlr) d'un premier bataillon de la Garde nationale pour reprendre les bâtiments publics contrôlés depuis plus d'une semaine par des militants séparatistes pro-russes. Ceux-ci réclament un rattachement à la Russie, ou au minimum une «fédéralisation» de l'Ukraine, pour donner de grands pouvoirs aux régions. Face à la gravité de la crise, Olexandre Tourtchinov, le président ukrainien par intérim, a pour la première fois, lundi, évoqué la possibilité d'organiser un référendum sur les institutions ukrainiennes. Sa sortie n'a cependant pas réussi à ramener le calme dans la mesure où les contours de ce projet de référendum n'ont toutefois pas été définis. Et les pro-Russes craignent qu'il ne s'agisse là que d'une manœuvre destinée à les neutraliser. Le bataillon envoyé par Kiev à l'est de l'Ukraine, dont la création a été approuvée en mars après l'annexion de la péninsule ukrainienne de la Crimée à la Russie et qui compterait jusqu'à 60 000 hommes, est formé de volontaires ayant fait partie des unités d'autodéfense du Maïdan, haut lieu de la contestation dans le centre de Kiev. Lougansk fait parti du bassin minier de Donbass en proie depuis plusieurs jours à des troubles armés. Des séparatistes pro-russes y tiennent, depuis le 6 avril, le siège local des services spéciaux (SBU). Ils sont repassés à l'offensive lundi dans l'est de l'Ukraine, demandant l'aide du président russe, Vladimir Poutine, face au gouvernement pro-européen de Kiev. Le gouvernement russe a, de son côté, massé près 40 000 soldats le long de sa frontière avec l'Ukraine pour parer à toute éventualité. Le président russe s'est engagé depuis longtemps à assurer «à tout prix» la sécurité des populations russophones de l'ex-URSS. Kiev a ainsi dénoncé encore hier les «projets brutaux» de son voisin russe pour la déstabiliser. Les séparatistes pro-russes qui ne déposeront pas les armes seront «liquidés», a prévenu à partir de l'est de l'Ukraine le général Valeri Kroutov, n°2 des services spéciaux ukrainiens (SBU), qui commande l'opération «antiterroriste». Le général Valeri Kroutov a affirmé en outre que les hommes en armes non identifiés qui avaient pris le contrôle de villes ou de bâtiments publics étaient des «troupes spéciales du GRU (renseignement militaire russe, ndlr) qui ont une grande expérience des conflits». Les avertissements de Moscou De l'autre côté, la Russie maintient la pression à 24 heures des pourparlers à quatre — Ukraine/Russie/Etats-Unis/Union européenne — prévus demain à Genève, les premières négociations internationales depuis le début de crise. Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a ainsi prévenu hier que tout ordre «criminel» de Kiev «d'envoyer les chars» ferait capoter ce dialogue. L'annonce, lundi soir par le Kremlin, que Vladimir Poutine recevait de «nombreuses demandes» d'aide des régions de l'Est ukrainien et suivait la situation avec «beaucoup d'inquiétude», avait déjà renforcé les craintes d'une intervention russe. Kiev et les Occidentaux voient par ailleurs la main de Moscou derrière les récents soulèvements. Le président Obama a ainsi demandé lundi à son homologue russe au téléphone «d'user de son influence» pour convaincre les insurgés de «déposer les armes». M. Poutine a répliqué en qualifiant les accusations d'ingérence russe de «conjectures» reposant «sur des informations infondées». Dans le même temps, Washington a dû reconnaître lundi une visite du patron de la CIA à Kiev, après des protestations indignées de Moscou. Mais fondamentalement, dans cette région, les Européens et les Américains, en dehors peut-être de produire des discours véhéments, n'ont pas réellement les moyens d'imposer leurs desiderata aux Russes. Moscou dispose de beaucoup plus de leviers pour influencer l'Ukraine. La Russie a placé depuis longtemps l'Ukraine au cœur de ses priorités. Poutine ne lâchera vraisemblablement pas le morceau, quoi qu'il lui en coûte. Washington et l'Union européenne ont aussi très bien compris que rien ne pourra se faire sans lui. C'est ce qui explique d'ailleurs le désarroi de Kiev.