Abdesselam Ali Rachedi, ancien député FFS et ancien ministre dans le gouvernement Hamrouche, a vainement tenté de créer le parti El Badil avant de relancer l'initiative sous le nouveau sigle Essabil, pour lequel il n'a pas pu non plus obtenir l'agrément de l'administration. Selon lui, néanmoins, « la liberté fera son chemin en dépit des obstacles dressés par ceux qui se sont auto-désignés tuteurs de la nation. Le mur d'Alger finira bien par tomber ! ». Le paysage politique algérien semble plombé, l'action politique reste l'apanage des seuls partis au pouvoir. Quel commentaire faites-vous ? Il n'y a pas de parti au pouvoir. Il s'agit plutôt des partis du pouvoir, dans la mesure où un pouvoir de fait préexiste à ces « partis » et qu'ils ne sont là que pour le soutenir. Ces formations ne sont nullement représentatives d'une réalité sociale et ne sont donc pas des partis politiques au sens propre du terme. Elles servent surtout à relayer le discours du pouvoir et à recruter des clientèles pour les institutions de façade.Le champ politique est aujourd'hui totalement verrouillé. L'état d'urgence, pourtant anticonstitutionnel, demeure en vigueur depuis 18 ans. Aucun parti politique n'a été agréé depuis 1999. Les syndicats autonomes ne sont pas reconnus comme partenaires dans les négociations sociales. Les médias lourds sont interdits à l'opposition et la presse écrite est soumise à un harcèlement judiciaire permanent. Mais le pouvoir n'a remporté là qu'une victoire à la Pyrrhus : en fermant tous les canaux d'expression pacifique, le pouvoir ne laisse pas d'autre issue que la violence et l'émeute comme moyens pour la société de se faire entendre. Vous êtes vous-mêmes exclu de l'arène politique du fait que votre parti n'a pas été agréé. D'après vous, les arguments du ministre de l'Intérieur pour justifier le non-agrément de nouveaux partis sont-ils convaincants ? Tous les arguments sont bons pour justifier l'injustifiable ! Tous ceux qui ont créé des partis sont des personnalités ayant exercé des responsabilités et qui connaissent parfaitement les lois. Le fait est que c'est le pouvoir qui ne respecte pas les normes qu'il a lui-même édictées. Quand vous déposez un dossier de création de parti politique et que l'administration ne vous délivre même pas un récépissé de dépôt, comment qualifier cela sinon de pratique scélérate ? Pour tenter de justifier le refus d'agrément des partis, le ministre de l'Intérieur se prévaut d'arguments d'ordre administratif. Or, il sait parfaitement que dans un régime démocratique, la création des partis politiques, s'agissant d'un droit politique fondamental, est totalement libre. La plupart des démocraties n'ont même pas de loi sur les partis. Un parti politique ne saurait être sous la tutelle de l'administration ou devoir son existence à la bienveillance de cette dernière, puisque, par définition, il est l'émanation des aspirations d'une frange de la société. Je vous ferais remarquer également que même si un parti dispose d'un agrément, il sera de toute manière réduit à l'impuissance du fait de la fermeture des champs politique et médiatique et de la fraude massive et systématique aux élections. La question n'est donc pas seulement celle de l'agrément ou non des partis, mais bien celle des droits civils et politiques des citoyens et citoyennes, bafoués quotidiennement par le régime en place. Que faire face à cet état de fait imposé par le pouvoir à la société ? La société algérienne semble aujourd'hui en état d'anomie, mais elle se mettra en mouvement tôt ou tard. Avec ou sans partis politiques agréés, les hommes politiques ont le devoir de rester à l'écoute de cette société et de saisir le moment où elle se mettra en mouvement. La tyrannie ne dure qu'un temps. La liberté fera son chemin en dépit des obstacles dressés par ceux qui se sont auto-désignés tuteurs de la nation. Le mur d'Alger finira bien par tomber ! Vingt ans après la consécration du pluralisme politique, quel bilan peut-on faire de l'exercice politique en Algérie ? Le régime algérien est un régime populiste. Il considère le peuple comme un tout indivisible. L'individu-citoyen, fondement de la démocratie, n'existe pas – ou si peu – à ses yeux. Ce type de régime ne conçoit pas l'existence de la diversité et des conflits d'intérêt. Il ne comprend donc pas la nécessité que ces divergences d'intérêt puissent être représentées. Il ne conçoit qu'une relation directe avec le peuple et ne peut donc accepter le pluralisme politique et l'alternance au pouvoir. Dans sa logique, il n'y a aucune place pour les partis politiques. Certes, au lendemain des tragiques événements d'Octobre 1988, il a été contraint de consentir à une petite ouverture démocratique. Mais, prétextant les impératifs de la lutte antiterroriste, le pouvoir a vite fait de reprendre les quelques concessions arrachées au prix du sang des enfants d'Octobre. D'ailleurs, la plupart des partis apparus dans le sillage des événements d'Octobre ont été créés par les officines du pouvoir, avec pour mission de brouiller le champ politique et de ne pas laisser une trop grande place aux partis authentiques qui activaient dans la clandestinité et qui avaient été légalisés. Tant que le régime actuel demeurera en place, il sera vain d'attendre une quelconque avancée démocratique. Face à ce constat, quel est l'avenir de la démocratie dans notre pays ? La démocratie, c'est le pouvoir du peuple. Le jour où le peuple se rendra compte que le pouvoir lui appartient – c'est la fameuse souveraineté populaire – la revendication démocratique apparaîtra alors à tous comme une nécessité. Voyez comme la jeunesse a pu réinvestir massivement la rue à l'occasion de la qualification de l'Algérie à la Coupe du monde. Pour l'observateur attentif, cette mobilisation est riche d'enseignements. On peut y déceler plusieurs points positifs, annonciateurs d'espoir. Les jeunes filles et les femmes, très nombreuses dans les manifestations, ont largement exprimé à cette occasion leur désir d'émancipation. Par ailleurs, la réaffirmation de l'identité algérienne et le rejet de l'hégémonisme égyptien, réel ou supposé, peut se lire également comme un désaveu du panarabisme cher à nos gouvernants. Enfin, la réappropriation de l'emblème national sonne comme un divorce définitif avec les partisans de la « dawla islamya ».