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L'ère des dauphins !
Publié dans El Watan le 30 - 08 - 2014

La seconde tient dans la demande récurrente de limitation des mandats présidentiels à deux, telle que formulée, avec insistance, par tous ceux qui se sont rendus aux auditions présidées par Ahmed Ouyahia dans le cadre des réformes constitutionnelles envisagées par le pouvoir ; a priori, cette demande va être prise en compte et, très certainement, constitutionnalisée. En conséquence, certains candidats dans et en dehors du pouvoir commencent, dès à présent, à affûter leurs armes en perspective de 2019.
Ces présidentiables, ou se prenant comme tels, ont commencé à y penser bien avant le 4e mandat mais pour quelques-uns d'entre eux ils ont dû vite déchanter face à la réactivité du Président en exercice qui a décidé de rempiler, pour être ensuite réélu le 17 avril 2014. Aujourd'hui, ces candidats-là ne s'en cachent plus ; oui, ils y pensent chaque matin à cette échéance de 2019 et pas qu'en se rasant. Ils sont, globalement, militants :
1- de l'opposition, où l'on recrute les plus impatients présidentiables : Ali Benflis, Abdelaziz Mokri, Abdallah Saâdallah Djaballah, Ahmed Benbitour, voire même Mouloud Hamrouche.
2- des partis qui participent régulièrement aux élections présidentielles : FNA, PT, AHD 54, avec les inévitables Louisa Hanoune, Moussa Touati et Ali Fawzi Rebaïne.
3- des candidats indépendants avec à leur tête un certain Rachid Nekkaz qui ne manque pas l'occasion de se manifester et de faire parler de lui «comme quelqu'un avec lequel il faut compter désormais».
L'agitation autour de la présidentielle de 2019 est perceptible, aussi, dans les rangs de ceux qui se sont regroupés dans ce qu'ils ont appelé «la Coordination nationale des libertés et de la transition démocratique» (CNLTD) ; ils exigent des élections anticipées et une période de transition, à croire qu'ils veulent le pouvoir tout de suite. Cette agitation-là, par contre, n'est pas visible dans les arcanes du pouvoir ou peu ou prou, car elle est plus feutrée, pour ne pas dire secrète pour l'instant. Et ses acteurs, qui font encore dans le politiquement correct, ont pour noms Abdelaziz Belkhadem, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal. Le premier d'entre eux n'étonne même plus et ne s'en cache d'ailleurs même pas, puisqu'on connaît son ambition d'accéder, à tout prix, à El-Mouradia.
Il a toujours voulu forcer le destin, allant même jusqu'à dire bien avant le 17 avril 2014 «que si Abdelaziz Bouteflika ne se représenterait pas, lui serait candidat». Comment est-il parvenu à se faire à l'idée, bien ancrée dans sa tête, qu'il pourrait devenir président de la République ? Et que son projet de la conquête de la magistrature suprême est possible et réalisable ? Plusieurs raisons plaideraient, semble-t-il, en sa faveur :
1- son retour sur la scène politique, comme ministre d'Etat, et son ambition de reprendre les rênes du FLN lui ont donné des ailes, même si ce n'est pas encore acquis.
2- son ascension, il l'a doit au président de la République, qui en a fait son ministre d'Etat.
En quelques années seulement, le député d'Aflou a gagné le perchoir de l'APN et a fait le tour de plusieurs postes de responsabilité, dont le prestigieux ministère des Affaires étrangères. Il a été aussi chef du gouvernement, ce qui lui a permis, à coup sûr, d'installer ses réseaux qui ne manqueront pas de lui témoigner leur gratitude le moment venu. Loin d'être populaire, il ne fait pas également l'unanimité dans les hautes sphères, mais il tient grâce à l'appui du président de la République, du moins c'est ce que tout le monde croit et lui, bien sûr, laisse dire !
Pour l'instant, il s'applique à «guerroyer» dans les coulisses du FLN, sachant que le parti est un faiseur de Présidents qu'il doit, par tous les moyens, récupérer et, cerise sur le gâteau, éliminer, dans la foulée, Amar Saadani (potentiel présidentiable), histoire de lui rendre la monnaie de sa pièce ; la partie semble mal engagée pour lui pour l'instant. L'autre présidentiable du pouvoir se nomme Abdelmalek Sellal qui a tout connu des dorures de la République : wali, plusieurs fois ministre, ambassadeur et Premier ministre. Vingt-et-un jours durant, le temps de la campagne présidentielle, il a joué le rôle de la «doublure» du Président. Il a été sa voix, ses jambes et le premier représentant du Président face à tous ses adversaires politiques.
Même s'il s'est forgé une stature de tribun et d'homme d'Etat, il a ensuite repris, docilement, la place de Premier ministre qu'il avait mise entre parenthèses, en politique déçu de n'avoir pas pu placer tous ses fidèles adjoints qui l'ont accompagné durant la campagne électorale et qui normalement devaient trouver leur place dans la nouvelle équipe gouvernementale. Il se murmure que n'eût été le veto de puissants militaires, Abdelmalek Sellal était sur la trajectoire pour succéder au président de la République, avant bien sûr que celui-ci ne décide de postuler.
L'homme qui pendant la campagne a affirmé «qu'il n'était candidat à rien» est pourtant compatible avec tous les pôles du pouvoir et en tous les cas il semble jouir de la confiance et de l'estime du Président. Mais est-ce que cela ferait de lui un présidentiable potentiel, lui qui aurait lâché cette phrase rapportée par la presse : «Le service que l'on pourrait me rendre, c'est de me donner une ambassade le plus loin possible.» Difficile à croire à partir du moment où c'est connu, celui qui goûte aux délices du pouvoir, une drogue douce, en fait, reste «accro» à vie ! Sur qui des «dauphins désignés» faut-il miser alors ?
– Abdelaziz Belkhadem, qui ne désespère pas d'y aller ?
– Abdelmalek Sellal qui laisse entendre que la présidence «c'est l'endroit à fuir…» ?
– Ou Ahmed Ouyahia pour qui El Mouradia est «the place to be» ?
Ahmed Ouyahia, l'énarque à tout faire, présentement chargé de mener, en tant que Ministre d'Etat, directeur de cabinet de la présidence, un cycle de consultations autour de la révision de la Constitution : un remake, dit-on, de la commission Bensalah ; lui s'en défend et justifie sa mission. Tel Dominique De Villepin sous Chirac, il s'applique à faire ce qu'on lui demande, comme un métronome. Il aura reçu, presque au terme de sa mission, quelque 70 invités entre leaders de parti, personnalités nationales, associations de la société civile et universitaires.
Stoïque, droit dans ses bottes, il aura tout entendu et noté de ce qu'on lui a présenté comme propositions. Il a dû se faire violence, diplomate qu'il est, pour ne pas réagir aux propos «hors du temps» d'Abdelmadjid Menasria contestant la parité hommes-femmes et défendant un projet d'un autre temps. Distrait aussi par les platitudes servies par quelques-uns de ses invités, il s'est peut-être mis à rire, sous cape, se rappelant des séquences du film de Jacques Veber, avec Jacques Villeret et dans lequel Thierry L'hermite campait le rôle de Pierre Brochard, entouré de ses amis où chacun doit amener un invité et rire de ses stupidités.
Parenthèse fermée, disons que parmi les dauphins, Ahmed Ouyahia est, semble-t-il, celui qui tiendrait la corde, et là il n'est plus ce «looser» de Dominique De Villepin mais plutôt ce Sarkozy conquérant ! Grand diplomate, il a été celui qui a réglé le problème survenu entre l'Ethiopie et l'Erythrée et son carnet d'adresses est bien rempli. Son destin l'appelle, et gare à celui qui entraverait sa marche ! Dans une course à la présidentielle, sans Bouteflika, c'est chacun pour soi et Dieu pour tous, et surtout, tous les coups sont permis. Lors de sa conférence de presse, une journaliste-admiratrice lui a même lancé : «Vous nous avez manqué, Monsieur Ouyahia !» Ce qui l'a ravi et il n'a d'ailleurs pas boudé son plaisir.
S'il y avait encore un doute, Ahmed Ouyahia vient de le lever ; il est bien le pilier de base du vrai pouvoir. Du cabinet de la présidence de la République d'où il officie, il a une main sur le gouvernement, comme dans le corps des walis. Ahmed Ouyahia a, en définitive, sans doute, plus d'influence sur la vie politique de l'Exécutif que Abdelmalek Sellal, même s'il n'a, jusqu'à maintenant, jamais envisagé, une seule seconde, une action d'émancipation du président de la République. Il est en tous les cas l'exemple de l'exécutant discipliné, laborieux, infatigable, celui qui peut user rivaux et adversaires. Et Abdelaziz Belkhadem en sait quelque chose. Patient aussi, comme celui qui peut, à la longue, susciter suffisamment de confiance chez ses mentors pour espérer incarner un nouveau personnage dans les fréquents et possibles changements :
– dans un premier temps, comme Premier ministre, juste après la révision constitutionnelle ;
– ou président de la République en 2019.
Il est clair que son parcours est bien protégé, lui qui n'a eu de cesse de répéter, depuis 1999, que «c'est la chose la plus naturelle que de soutenir un homme comme Bouteflika». Il vient d'être remis en scène, confortablement installé, dans l'antichambre du pouvoir, à El-Mouradia ; ironie du sort, il était promu, il n'y a pas si longtemps, à une semi-retraite, après sa démission du RND et son départ du Premier ministère.
Ses concurrents, Belkhadem et Sellal en l'occurrence, l'entendent-ils de la même oreille, eux qui ambitionnent aussi de succéder à Abdelaziz Bouteflika ?
Sellal, surtout, qui aux dernières nouvelles aurait été chargé par le président de la République d'assurer à sa place, insigne en honneur, les auditions des membres du gouvernement pendant le Ramadhan. Tantôt Ouyahia, tantôt Sellal, le président de la République est, assurément, encore aux commandes ! Pour l'instant, il n'envisage pas de transmettre «le code nucléaire» ni à l'un ni à l'autre des dauphins désignés et cela doit, beaucoup, l'amuser !
Les présidentiables de l'opposition ne sont pas en reste, eux aussi ; ils doivent affiner leur tactique : iront-ils avec un candidat unique ou bien c'est le chacun pour soi qui va prévaloir ? En l'état des événements politiques, peut-on conférer un brevet de représentativité à l'opposition «unie» au Mazafran, au regard de la faiblesse de son enracinement social réel, du caractère parfois squelettique du nombre de ses militants, de la pauvreté de sa doctrine et de l'indigence de son programme ?
Et si l'on ajoute à cela les «egos» démesurés de ses chefs, notamment ceux de la CNLTD, ce n'est pas demain la veille qu'émergerait, de leurs rangs, une candidature consensuelle parmi les candidats déclarés ou potentiels. Que faut-il faire alors, si ce n'est d'aller, éventuellement, vers un système des primaires équitables pour les candidats à même de proposer un choix démocratique pour ceux qui seront appelés à voter ? Primaires ouvertes, y compris pour les sympathisants du parti.
Primaires fermées organisées, exclusivement, pour les militants qui auront à choisir parmi les candidats déclarés. Il s'en trouvera quelques partis contre ce système des primaires, ceux notamment dotés de «madjlis-el-choura», et c'est dommage pour la démocratie. Quant aux autres, comme le FNA, le PT et AHD 54, ils devront s'y résoudre, sous peine de risque de dissidence interne, eux dont les chefs ont, lamentablement, échoué dans leurs précédentes tentatives d'arriver à El Mouradia.
Rappelons que les primaires ne sont pas interdites par la loi ; toute l'Europe politique, ou presque, a adopté ce système et les candidats, ex-présidents de la République inclus, s'y soumettront. Défendre l'idée d'une primaire, c'est permettre aux militants politiques de dire leur mot concernant le choix du champion qui portera leurs couleurs à l'élection présidentielle de 2019.
In fine, celui qui est désigné devient, instantanément, incontestable et incontesté dans son camp. Pour les partis politiques qui viendraient à adopter ce système, ils auront l'avantage de montrer la différence qui existe entre leur propre parti jouant la transparence, les pratiques occultes du pouvoir et celles des autres organisations politiquement fermées, refusant l'idée des primaires. On n'en est pas encore là, et a fortiori dans le camp du pouvoir le profil du candidat est peut-être déjà tracé : Belkhadem, Sellal ou Ouyahia, de ce trio sortira, certainement, le candidat consensuel du système.
Et Ahmed Ouyahia a pris, à l'évidence, quelques longueurs d'avance. Il vient de marquer des points avec sa dernière sortie où il a pris tout d'abord une posture plus que présidentielle, pour ensuite déclamer sur un ton aussi péremptoire que sentencieux ses trois «non» au retour du FIS, à une période de transition et au retour de l'armée en politique. A croire, vraiment, la course à la présidentielle de 2019 est bel et bien lancée !


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