Redoutée par la communauté internationale, une offensive militaire de grande ampleur dans l'Est séparatiste de l'Ukraine semble hautement improbable à l'approche de l'hiver, estiment des experts internationaux. La multiplication de convois militaires lourds vus ces derniers jours dans les régions tenues par les insurgés pro-Russes, et l'intensification des tirs d'artillerie autour de leur bastion de Donetsk alimentent la peur d'un embrasement. Mercredi, l'ONU a dit craindre «le retour à une guerre totale» et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), chargée d'observer son application sur le terrain, a admis le même jour que la trêve du 5 septembre entre l'armée ukrainienne et les séparatistes était de plus en plus virtuelle. Mais, aux yeux des experts, une vaste offensive n'est pas imminente, essentiellement parce que la saison ne s'y prête pas et parce que les forces en présence restent insuffisantes. «Rien ne dit que les deux camps ont d'autres intentions que passer l'hiver bien au chaud, tout en essayant de se mettre à l'abri d'une mauvaise surprise», affirme Philippe Migault, directeur de recherche à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) de Paris. «Comme on en faisait déjà l'expérience il y a 100 ans, cette période de l'année est propice pour s'enterrer dans les tranchées ou dans des bunkers et pour se tenir prêt à une reprise des opérations au printemps», ajoute-t-il. Les récents mouvements de chars, camions et canons — des renforts «pas si massifs qu'on veut bien le dire» et qui ont lieu des deux côtés, souligne le chercheur français — auraient donc une finalité défensive. L'origine des équipements dépourvus d'identifiants divise l'Occident et la Russie, qui traversent actuellement leur crise la plus grave depuis la fin de la guerre froide. Pour l'OTAN comme pour Kiev, il s'agit de troupes et équipements russes, alors que Moscou dément tout engagement militaire chez son voisin. «Il y a une guerre de position et d'usure en cours», renchérit Pavel Felgenhauer, analyste militaire indépendant à Moscou. «Pour une opération majeure, vous avez besoin de milliers de chars et il y en a beaucoup moins que cela» sur le terrain aujourd'hui. «En théorie, des actions majeures pourraient avoir lieu en début d'année, en janvier ou février, mais je doute que cela se produise en hiver, plutôt au printemps», dit-il. Les terrains actuellement boueux au nord de Donetsk compliqueraient une offensive, fait-il valoir, et la Russie refuse de se laisser entraîner dans «un conflit long et sanglant» par des séparatistes plus désireux d'en découdre. Une guerre ? Natasha Kuhrt, chercheuse du King's College de Londres, dit ne pas y croire, voyant plutôt dans l'actuelle concentration de forces «une tactique d'intimidation» de la part de Moscou. «C'est aussi une façon de dire à l'intérieur du pays qu'on doit garder une ligne dure», dit-elle. Directeur de l'Institut russe Groupe d'expertise politique, Konstantin Kalatchev estime qu'«il n'est pas dans l'intérêt de la Russie de passer d'un conflit semi-gelé à une phase chaude. Le but de la Russie est de faire (des républiques séparatistes de Donetsk et Lougansk) des morceaux autonomes d'une Ukraine faible pour garder l'Ukraine en laisse». Pour lui, la Russie a besoin d'une présence militaire dans la région pour réfréner les ardeurs des dirigeants insurgés, «des faucons prêts à aller plus loin que Poutine». «Les bruits de bottes sont aussi nécessaires pour dissuader l'Ukraine d'essayer de reconquérir les territoires», ajoute-t-il. Imbroglio diplomatico-militaire La France a jusqu'à fin novembre pour livrer un premier navire de guerre, Le Mistral, à la Russie si elle ne veut pas s'exposer à de «sérieuses» demandes de compensation, a déclaré hier une source russe «haut placée». «Nous nous préparons à différents scénarios. Nous attendrons jusqu'à la fin du mois (la livraison du 1er Mistral, ndlr), et ensuite nous présenterons nos sérieuses réclamations» financières, a déclaré cette source. Le Vladivostok et le Mistral, des bâtiments de projection et de commandement vendus par la France à la Russie en juin 2011 pour 1,2 milliard d'euros, sont au centre d'un imbroglio diplomatico-militaire depuis la décision du président François Hollande de lier leur livraison au règlement politique de la crise ukrainienne. Fin octobre, Moscou avait affirmé avoir été invité à recevoir le 14 novembre le premier de ces navires, le Vladivostok. L'annonce avait été immédiatement démentie par le constructeur et le gouvernement français sur fond de critiques des pays de l'OTAN.