On parlait depuis jeudi dernier d'un retour au pouvoir civil au Burkina Faso, mais celui qui est apparu hier l'est-il réellement ? Il est vrai qu'un civil préside l'instance de transition jusqu'à la prochaine élection présidentielle prévue, cette fois, dans une année, mais la nomination de celui qui a conduit le pays depuis la chute de Blaise Compaoré, le 31 octobre dernier, au poste de Premier ministre ne manque pas de surprendre. Il est vrai qu'à ce stade, rien ne l'interdit, mais l'opposition burkinabé — qui a, il est vrai, participé à toutes les phases du dialogue avec les militaires et applaudi toutes les décisions — semble plutôt dubitative. «Ce ne serait pas une surprise si Zida était nommé Premier ministre», observait mardi un responsable politique qui n'a pas voulu être cité. Aucune «spécification» quant au statut de Premier ministre, civil ou militaire, n'est inscrite dans la Constitution intérimaire, «donc ce n'est pas la peine de s'affoler», a-t-il remarqué, appelant à une transition «inclusive» dans laquelle «tout le monde doit participer». Une telle éventualité confirmerait «la récupération du soulèvement populaire» par la Garde présidentielle, a observé Etienne Traoré, dont le Parti pour la démocratie et le socialisme (PDS/Metba) «participera» pourtant au gouvernement «si on le lui demande». Ainsi donc, le lieutenant-colonel Isaac Zida, qui avait pris le pouvoir dès la chute du président Compaoré, a été nommé hier Premier ministre du Burkina Faso par le président intérimaire Michel Kafando. «Personnellement, je ne serais pas contre que le lieutenant-colonel Zida puisse jouer un rôle essentiel dans la stabilisation même de ce pays et qu'il puisse véritablement avoir une ambition de Premier ministre», avait observé le président de transition peu avant de signer son décret, insistant sur la «place» nécessaire de l'armée dans la transition, au vu du rôle «essentiel» qu'elle a joué dans la «stabilisation» du Burkina. Ce qui vient confirmer une information faisant état d'un accord conclu entre l'armée et les civils. «On a négocié le poste de Premier ministre. Tout le monde est d'accord. On a convenu qu'on laisse le législatif pour entrer dans l'exécutif à travers le Premier ministre», a affirmé un officier proche de l'actuel homme fort du pays, qui doit transmettre symboliquement ses pouvoirs à M. Kafando lors d'une cérémonie, demain. D'après des «accords» passés avec les civils, le poste de Premier ministre «revient au lieutenant-colonel Zida», a-t-il poursuivi. «C'est sur cette entente que nous avons cédé le poste du président du Conseil national de transition (CNT, l'Assemblée intérimaire) aux civils», a-t-il fait savoir. Le lieutenant-colonel Zida, au pouvoir depuis la démission le 31 octobre du président Compaoré, chassé par la rue après 27 ans de règne, a déjà expliqué au président intérimaire les «termes» de l'accord, «tout en lui disant qu'il n'était pas lié» par ce document, a précisé cette source. Le n°2 de la Garde présidentielle devrait par ailleurs obtenir le poste de ministre de la Défense, a-t-elle ajouté. «Après ce qu'on a traversé, il faut quelqu'un qui connaisse bien le corps pour gérer les problèmes», a commenté cet officier proche de M. Zida. Michel Kafando, qui a prêté serment mardi devant le Conseil constitutionnel, devait nommer hier son Premier ministre, qui désignera à son tour un gouvernement de 25 membres aujourd'hui. Le premier Conseil des ministres est attendu samedi, selon le calendrier officiel. Michel Kafando a tourné la page, mardi, au nom du «peuple», de 27 ans de pouvoir de Blaise Compaoré. M. Kafando a assuré n'«être là que pour une période transitoire». Ou encore que l'exercice du pouvoir «ne doit souffrir d'aucun abus, aucun excès»; en clair: référence aux 27 années de règne de Blaise Compaoré. Le président Compaoré a été chassé après avoir tenté de réviser la Constitution afin de se maintenir au pouvoir. Les dérives de son clan et la corruption engendrée ont alimenté le ressentiment populaire. «Notre pays ne saurait être une république bananière», a lancé Michel Kafando, 72 ans, devant plusieurs centaines de personnes. Que sera la transition, alors même que l'on croyait que les militaires allaient regagner leurs casernes ? Ne serait-ce plus le cas, ou bien, alors, une présence dans cette même transition qui fait penser tout compte fait que l'armée n'a jamais quitté le pouvoir ? D'où cette interrogation relative à la marge de manœuvre dont disposera le président intérimaire.