C'est en Suisse que pourraient avoir lieu les audiences au cours desquelles devraient être entendus Chakib Khelil et Farid Bedjaoui, tous deux poursuivis dans l'affaire de corruption internationale Sonatrach-Saipem, a-t-on appris d'un avocat et conseiller juridique d'origine algérienne établi à Genève. En effet, à en croire ce spécialiste en droit pénal qui a requis l'anonymat, «du fait du caractère hautement sensible de l'affaire», nous dit-il, l'ancien ministre de l'Energie et son conseiller financier devraient, à la demande du parquet de Milan, être interrogés par des juges italiens, à Genève et non pas à Paris ou à Vienne. Une demande doit, au préalable, être introduite au tribunal du lieu où se trouvent Chakib Khelil et Farid Bedjaoui. Ce tribunal, précise notre source, est seul compétent pour statuer. Toutefois, la procédure y afférente risque, toujours selon le juriste, d'être lente en raison des voies de recours dont bénéficient MM. Khelil et Bedjaoui avant que la décision d'extradition pour les besoins de l'enquête italienne ne soit définitive. Qu'est-ce qui pourrait avoir motivé l'option Genève pour abriter lesdites audiences ? «Chakib Khelil et Farid Bedjaoui seront vraisemblablement entendus en Suisse car c'est là que se trouve une partie importante des biens et de l'argent de la corruption et c'est par là qu'a transité ou a été recyclé le produit des rétrocommissions en rapport avec le scandale Sonatrach-Saipem», pense le docteur Messaoud Mentri, maître de conférences en droit international. Et le juriste de renchérir : «Il est fort possible que la justice suisse satisfasse la demande du parquet de Milan dans la mesure où il existe des conventions d'entraide judiciaire et de coopération internationale dans la lutte contre la corruption et le blanchiment d'argent.» Aux yeux d'autres juristes interrogés, si les auditions de Khelil et Bedajoui seront, sans conteste, tenues en Suisse, c'est bien parce que dans ce pays de la garantie de la «sécurité absolue» a trouvé refuge l'un des maillons forts dans l'affaire Sonatrach-Saipem : Rédha Hemche. L'ancien chef de cabinet du P-DG de Sonatrach, lui aussi sous le coup d'un mandat d'arrêt international pour «corruption présumée», vit depuis 2009 à Montreux. Incontournable dans la chasse aux contrats internationaux, Hemche est considéré comme le chef d'orchestre du système de collusion internationale mis en place par Chakib Khelil et Farid Bedjaoui, le «facilitateur». Vers la fin du premier trimestre 2014, les magistrats instructeurs milanais ont obtenu des informations faisant état de l'existence de traces de mouvements d'argent suspects en lien avec l'affaire Sonatrach-Saipem, dont des transferts s'élevant à plus de 20 millions de dollars, effectués depuis une banque basée en Asie vers un compte détenu par Farid Bedjaoui dans une banque suisse, argumente, pour sa part, notre source genevoise. Et de souligner que ce type d'informations, déterminantes pour l'enquête en cours, est le fruit d'une collaboration étroite entre l'Unità di Informazione Finanziaria (UIF, cellule de renseignement financier italienne) et son homologue suisse, Money Laundering Reporting Office Switzerland (MROS, bureau de communication en matière de blanchiment d'argent). Cet organe est rattaché à l'Office fédéral de la police (Fedpol) dont peut également disposer le Ministère public de la confédération (MPC) pour les enquêtes pénales internationales qu'il a la charge d'exécuter dans le cadre de l'entraide, à l'image de celle en rapport avec Sonatrach 2 et Chakib Khelil en particulier. C'est justement à ce sujet que notre source de Genève nous révéle qu'une partie des réponses attendues par les autorités judiciaires nationales ont récemment été livrées par le MPC qui, pour mémoire, fut chargé par l'Office fédéral de la justice (OFJ) de l'exécution de l'entraide dont la demande avait été transmise par le parquet d'Alger le 2 juin 2013. Ce que nous avons pu vérifier auprès de Jeannette Balmer, porte-parole du MPC : «En ce qui concerne la demande d'entraide algérienne, je peux vous confirmer que le MPC est toujours en charge de l'exécution de différentes mesures d'entraide à la demande des autorités judiciaires algériennes et a déjà fourni une partie de l'entraide requise.» Inflexible sur le secret des procédures pénales enclenchées hors de son pays, Mme Balmer a veillé à ne rien laisser filtrer sur l'objet des mesures d'entraide déjà finalisées et livrées aux magistrats algériens ni sur celles en cours d'exécution. «Le MPC ne communique pas sur l'existence, le type ou le déroulement de mesures d'exécution», insiste notre interlocutrice. Comme elle éludera la question de savoir si MM. Khelil et Bedjaoui allaient être entendus à Genève par des juges italiens : «Le MPC n'a pas connaissance d'une telle demande», dit-elle laconiquement. S'agissant de la demande de coopération émise par l'Italie où Farid Bedjaoui est recherché pour «association de malfaiteurs finalisée à la corruption», la porte-parole du MPC, implanté dans différents cantons mais dont le siège est à Berne, s'est contenté d'affirmer qu'une partie de l'entraide requise a déjà été fournie et que d'autres mesures sont en cours d'exécution. Qu'en est-il de l'OFJ, première autorité en matière d'entraide et de coopération judiciaire avec des pays tiers ? Là aussi, l'on ne saura rien, les mythes du «secret de fonction» et de la haute «rigueur morale» étant toujours scrupuleusement entretenus. Folco Galli, du Département fédéral de justice et de police (DFJP) qui relève de l'OFJ (à qui revient l'examen de la conformité de la requête d'entraide aux exigences formelles des lois suisses et au contenu de l'accord d'entraide) est resté étanche à notre curiosité d'en savoir plus, prétextant que «le MPC est la seule autorité compétente». En tout cas, une chose est quasi sûre, s'accordent à penser nombre d'observateurs : «C'est sur la base des premiers résultats de l'entraide fournis par la justice suisses aux pays requérants, soit l'Algérie et l'Italie, qu'il a été convenu de prévoir des audiences à Genève pour entendre Chakib Khelil et Farid Bedjaoui. Il est clair que les trois pays concernés ont eu recours à des arrangements par lesquels ils sont liés car s'agissant d'une procédure assez complexe.»